Patrimoine millavois

Patrimoine Millavois : La place du Maréchal Foch

La place Foch, ainsi nommée depuis la délibération du conseil municipal du 22 septembre 1944 porta au cours des siècles tour à tour le nom de Place Mage, Place d’Armes, Place du vieux marché puis Place de l’Hôtel de Ville.

Dans la mémoire des Millavois, c’était tout simplement « la Place » puis place Vieille par opposition à la place Emma Calvé qui à la fin des années 1930 portait le nom de « Place Nouvelle ».

C’est le creuset de l’histoire de Millau qui a, pendant longtemps, installé là ses quartiers, pris ses aises, dicté ses jugements. C’est le seul grand espace non bâti quand Millau était clos d’une enceinte.

Dans les temps anciens, les actes importants étaient passés sur cette place publique.

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La place et l’hôtel de Pégayrolles ©DR

Ainsi, en 1133, Bérenger Raymond, vicomte de Millau, fit une donation à l’abbaye St Guilhem-du-Désert sur cette place ; le prieur de l’abbaye, Hugues, était présent, et Béranger-Raymond l’embrassa en signe de foi.

En 1184, Sanche d’Aragon, autre vicomte de Millau, fait aux Templiers une donation importante sur cette même place : et aysso fo fag, est-il dit dans l’acte, as Amelhau, en la grand plassa publiqua.

Là, le consul de la ville, Guy de Vanc, fut adoubé et armé chevalier en 1361 par Gui, seigneur de Séverac.

C’est encore sur cette place, ornée de tentures, que, pendant cinq jours, en 1416, eurent lieu les prédications de St Vincent Ferrier, car aucune église de la ville n’aurait pu contenir la foule. Millau conserva longtemps le souvenir de ce grand apôtre de l’Evangélisation, que se disputaient toutes les villes de France, d’Italie et d’Espagne. Là, le 24 décembre 1470, à la sortie de la messe, Guillaume de Sully, sénéchal du Rouergue, leva une milice armée pour aller soumettre un désagréable voisin : Charles d’Armagnac, vicomte de Fézensaguet et de Creissels. Un féodal plutôt faisandé, un chef de bande plutôt qu’un noble chevalier et que Louis XI fera macérer longtemps dans un cachot de la Bastille.

Là, lors des guerres de Religion, des calvinistes détruisirent des statues religieuses. Ainsi le 17 janvier 1562, furent brulées ou détruites, sur cette place, les statues des saints prises dans les églises : « L’on print toutes les idoles que estoient ès temples…et, au milieu de la plasse, l’on en fist un bon feu qu’il i avoict beaucop de Dieus de bois et de Vierges Maries et saincts et sainctes de bois et de pierre. Seles de bois furent bruslées et seles de pierre toutes froiscées, sans que nul dise mot. » (Mémoires d’un Calviniste).

Là, eurent lieu, sur cette place, en présence des officiers municipaux, des membres du District et d’un détachement de Gardes Nationaux, deux « brûlées » de titres féodaux.

Là, le pilori (voir article le pilori de la place Foch, Millavois.com, 25 mars 2018), encore en partie visible, attendait les malfaiteurs et les consuls « tous gantés » qui venaient prêter serment autour d’une lourde table ronde. (voir article La Table Ronde, Millavois.com, 1er avril 2018)

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Sur trois de ses quatre côtés, la place est entourée de maisons dites en encorbellement. Ces habitations s’appuient sur des portiques que l’on appelle « couverts », pouvant être apparentés à des chapiteaux, rendant la place semi-couverte, notamment pour abriter les commerçants. La diversité des piliers fut récupérée, d’après la tradition, dans les cloîtres détruits pendant les guerres de Religion, à la fin du XVIe siècle.

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L’un de ces couverts est daté de 1611, on y voit des initiales et la date sur le tailloir du dernier chapiteau, côté place Lucien Grégoire, laissant penser que des travaux ont été effectués à cette période, afin de moderniser la place.

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Le seul îlot « aéré » de la cité millavoise, c’est bien la place Mage, lieu de marché avec attenante l’église paroissiale Notre-Dame de l’Espinasse et son prieuré. La place est pourtant loin d’être un espace vert.

Le cimetière tout proche jouxtant l’église paroissiale empiétait sur l’espace (devant l’actuelle école Paul Bert). Il était souvent trop plein pour y ouvrir de nouvelles fosses. Des cadavres à demi pourris élevaient parfois des odeurs nauséabondes, des miasmes dangereux, capables d’infecter l’air et d’occasionner des maladies contagieuses. On cessa de l’utiliser en 1782 et on comprend pourquoi les travaux d’urbanisme et le développement des faubourgs furent d’une urgence vitale pour les habitants.

Aménagée en forme quadrangulaire, la « vieille Place » devint accessible à chaque angle par une rue au XVIIIe siècle, technique architecturale typique du Midi.

Arthur Young en 1787 évoquait la place en ces termes lors de son passage à Millau : « Il n’y a qu’une seule place, dont un des côtés offre une galerie couverte. Les édifices ne présentent rien de remarquable… » (Voyage en France, T1, p.136-137).

Au milieu de la place, il y avait jadis un calvaire que s’étaient empressés d’abattre les révolutionnaires.

Ces derniers célébrèrent une fête civique en plantant à la place de la croix, un arbre « de la liberté » le 22 mai 1792. Il n’y resta que le temps de la Révolution. Une fois, celle-ci passée, on érigea à nouveau une croix que l’on déplaça lorsque la fontaine de style Empire fut inaugurée, trônant à la place d’honneur en 1835, avec sa ceinture de douze bornes.

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Son devis s’élevait à 784 francs sachant que le salaire journalier d’un ouvrier était aux environs de 1,25 franc, on imagine les sacrifices que les habitants du quartier qui ont du la financer ont dû faire (voir article La fontaine des Lions, Millavois.com, 2 décembre 2018).

Cette fontaine de style Empire avait tellement fait d’effet lors de son inauguration, que le village de Cornus voulut en avoir une copie conforme. Ainsi la fontaine du quai fut érigée à Cornus, dix ans plus tard en 1845. Identiques, seules les décorations du haut de la colonne carrée, qui constitue la centrale ont aujourd’hui disparu, mais les douze bornes dites « élégantes » et surtout protectrices des chariots et aujourd’hui des autos sont toujours en place. Elle est alimentée en eau par la source de la Gloriette.

La fontaine du quai à Cornus ©DR

Léon Roux (1858-1935) évoque sa vieille place : « Ce souvenir est réveillé par l’une des cartes postales que m’adresse l’un de mes compatriotes, des plus charmants, et qui fait tout pour m’être agréable. »

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Cette carte a pour titre : Millau : vieilles colonnades et Notre-Dame. « Qu’ès aquos ? ». me dis-je. A force de regarder, je finis par m’y reconnaître. C’est la place d’Armes ; d’armes, parce que les troupes de passage, faisant « séjour » à Millau, y établissaient un poste de garde. Naturellement, la place est, elle aussi, devenue « de l’Hôtel-de-Ville ». Seul, le beau clocher hexagonal, en pierres jaunes, n’a pas changé ; le cadran de l’horloge est toujours là, et j’aime à penser que la sonnerie des heures est toujours à répétition… La fontaine monumentale est là encore, et en cette année 1934, elle est juste centenaire… Mais ma vieille halle n’est plus reconnaissable. Les cinq grandes portes cintrées et à barreaux de fer sont devenues des fenêtres, sauf une. Là, on ne débite plus dé gros, dé trufos, dé costognos. Ce n’est plus la Halle, c’est l’Ecole Paul Bert ; on doit y enseigner le civisme qui, de plus en plus enseigné est de moins en moins pratiqué.

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Et mon vieux « Couvert ? ». Ce Couvert dont j’ai déjà ici montré pittoresques boutiques, le pavage en cailloux multicolores, ramassés sur les bords du Tarn, au Champ du Prieur et dont l’artiste paveur avait fait des ronds, des losanges, des croix de Malte. Sous ce couvert, j’ai montré quelques bourgeois millavois faisant la promenade digestive d’après-midi, devisant des potins et cancans qui courent en ville, se racontant pour la centième fois, si ce n’est pour la millième, les histoires de jeunesse et même quelquefois des histoires égrillardes, mais gazées et de bon goût. Ce couvert est devenu la « Colonnade ». Puisque Millau à un Hôtel-de-Ville comme Paris, pourquoi n’aurait-il pas une colonnade comme le Louvre ? » (Messager de Millau, 1934).

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Longtemps fermée de tous côtés, la Place connut avec le percement de la grande artère Clausel de Coussergues en 1896 sa fièvre, façon baron Haussmann. On démolit pour cela une grande partie des bâtiments et les piliers composant le couvert. Mais on revint à la disposition d’origine quelque 80 ans plus tard, en reconstruisant à l’identique.
A la belle époque, la place était uniformément pavée de galets venus du Tarn. Pour donner un peu de vie à cette place, on y planta des arbres à la fin de l’année 1906.

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La place du Maréchal Foch reste au cœur un peu désuet, du vieux Millau. Celui d’où part et autour duquel s’entortille tout un réseau de vieilles rues sombres, étroites, tortueuses et dont les noms sonnent comme les chapitres de l’histoire et des mentalités locales.

Marc Parguel

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