Il fut sans doute l’un de nos plus grands historiens millavois, si ce n’est le plus fécond. Tout chercheur de notre région ne peut se passer de puiser dans l’ouvrage majeur qu’il nous a laissé en 1943, véritable bible historique qu’est « Millau à travers les siècles ».
Jules Artières est né à Millau Boulevard de Bonald (anciennement appelé Boulevard du Mandarous) le 16 décembre 1864, fils d’Alexandre Artières et de Palmyre Navech, d’une vieille famille originaire du Causse Noir.

Il entra en 1883, ses humanités terminées, dans les services des Ponts et Chaussées où son frère Hilaire Artières fit toute sa carrière. Jules Artières collabora ainsi avec ses autres compatriotes les Henri, les Portal, à l’étude des lignes de chemin de fer régionales alors en construction. Mais, ces travaux terminés en Aveyron, l’administration envisagea, en 1885, d’envoyer son collaborateur sur de nouveaux chantiers hors du département. Trop attaché à sa ville natale, le Millavois ne voulut pas s’expatrier et préféra abandonner les Ponts et Chaussées. Aussi, il donna sa démission cette même année.
Associé avec Jean Maury
C’est alors qu’il acheta, en 1886, avec son ami Jean Maury, l’imprimerie Pigelet qui, entre autres labeurs, éditait le journal régional le « Messager de Millau » fondé en 1875.
Pour alimenter et rendre intéressant son hebdomadaire, le nouveau directeur projeta de publier quelques notes historiques sur la région. Il trouva en la personne de l’abbé Rouquette, passionné de recherches historiques et auteur de plusieurs études importantes sur Millau et le Rouergue, un maître tout qualifié pour l’initier dans les arcanes de la paléographie. De 1894 à 1900, il réunit les éléments nécessaires à son projet. Ces matériaux lui permirent d’éditer, à la fin du XIXe siècle, le volume des « Annales de Millau ». Cet important ouvrage de près de 400 pages illustré de nombreux hors-textes, tiré à 200 exemplaires connut un tel succès qu’il fut rapidement épuisé. C’est dans ce livre qu’il publia ses premières notes sur la Graufesenque. Lorsqu’en 1901, l’abbé Hermet, rouvrit les tranchées de La Graufesenque, il fut aidé par notre historien local qui s’associa d’ailleurs deux autres esprits curieux de Millau, Dieudonné Rey et Antoine de Carshausen : une telle entreprise ne pouvait laisser indifférente sa soif de découvrir les origines de Condatomago.

Chercheur obstiné et scrupuleux
Il fut l’un des premiers à s’intéresser, avec l’abbé Cérès et l’abbé Hermet aux fouilles de la Graufesenque et c’est ainsi que de 1901 à 1906, il prospecta, avec ses amis, le sous-sol des rives de la Dourbie. Il recueillit dans ses fouilles faites à ses frais une remarquable série d’échantillons des productions rutènes : bols et plats tournés, vases moulés, moules, outillage, et, surtout, un graffite, c’est-à-dire une comptabilité de potier tracée à la pointe sur une assiette ; objet précieux s’il en fut, car ces graffites de Condatomago représentent les plus anciens écrits découverts sur le sol de la Gaule et leur insigne rareté n’a d’égale que l’intérêt qu’ils présentent pour l’étude de notre industrie primitive millavoise, des origines de notre dialecte aussi. Jules Artières était fier, avec juste raison de ses collections ; il les classa méthodiquement. À sa mort, Mme Jules Artières et ses enfants voulurent bien offrir au Musée de Millau ces précieux documents. Amoureux de son passé, l’historien ne pouvait voir disparaître sans réagir tous ces vestiges qui nous viennent des âges passés, trop souvent abandonnés à l’indifférence d’un modernisme outrancier si ce n’est au vandalisme ! Il fondit en 1904, le Musée de Millau dont il restera le conservateur vigilant près d’un demi-siècle. La longue période qui suivit après la parution des Annales en 1899 fut jalonnée par des découvertes de documents intéressants publiés aussitôt sous le titre de «Documents inédits sur la ville de Millau » dans les Mémoires de la Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron, société où il fut admis dès 1894, comme dans les colonnes du Messager de Millau. Ces diverses notes, complétées par une longue série d’autres heureuses découvertes, relevées dans des fonds d’archives régionales ou locales, furent réunies, en 1930, dans son précieux volume « Documents sur la ville de Millau » in 8° de 578 pages, qui forme le tome VII de la belle collection des Archives historiques du Rouergue, éditée par la Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron. Enfin, en 1943, groupant tous les résultats de ses recherches, Jules Artières nous donnait le remarquable volume de « Millau à travers les siècles » dont il fut l’auteur, l’imprimeur et l’éditeur. Cet in 8° de 558 pages, abondamment illustré, met à la portée de tous les Millavois les annales de leur petite patrie.

Reconnaissance
En 1938, il fut nommé vice-président de la Société des Lettres, une reconnaissance juste, car depuis son admission en 1894, il n’a cessé de s’impliquer et s’était révélé comme étant le chercheur le plus assidu.
Mainteneur du Félibrige en 1913, promu « Mestre d’Obro » en 1954, prix Cabrol de Société des Lettres de l’Aveyron en 1951, Grande Médaille d’honneur du Club Cévenol, ces distinctions honoreront son culte envers notre petite patrie.
Il avait eu, de son mariage avec Berthe Montet, deux enfants : un fils, André, qui assura la suite de son imprimerie jusqu’en 1975 et une fille devenue Madame Gaston Rapin.
Comme aimait à le rappeler son disciple Louis Balsan « Rien ne serait dit de Jules Artières si l’on ne parlait pas de l’homme, car il fut un honnête homme. Sa personnalité était attachante : d’une politesse sans faiblesse, sa serviabilité fut sans limites, sa modestie sans affectation. Le tout résultant d’une probité intellectuelle allant de pair avec un grand cœur. Jules Artières n’a jamais été jaloux de ses recherches et en fit toujours profiter ceux qui eurent recours à lui. Il comprit bien ce que l’esprit d’équipe peut porter de facilité dans la vie, ce qui explique sans doute le succès de sa maison comme la portée de son œuvre dans le domaine historique et touristique… Si j’ai consacré ma vie à la recherche et à l’étude du Rouergue et des Causses, c’est en grande partie à Jules Artières que je dois cette vocation. Je le lui ai souvent dit : par delà le tombeau je l’en remercie encore » (Revue du Rouergue, juillet septembre 1961). Ces mots furent écrits peu de temps après la disparition de l’historien. Le 8 avril 1961, alors âgé de 96 ans, Jules Artières fermait ses yeux à jamais dans sa maison de la rue Alsace-Lorraine en sa bonne ville natale de Millau qu’il a tant aimée, où il a toujours vécu et dont il reste l’historien le plus notable.
La ville de Millau lui a rendu hommage en donnant son nom à une avenue du quartier du Crès (délibération du conseil municipal du 27 février 1962)
Marc Parguel