La fontaine Saint-Martin (Causse Noir)

Marc Parguel
Marc Parguel
Lecture 12 min.
La fontaine Saint Martin, 2 octobre 2007.

A 1500 mètres au sud-ouest de Saint Jean des Balmes, un petit chemin en bordure de la route départementale 29 descend en zigzaguant entre rochers et broussailles dans un ravin qui mène, au bout de 200 mètres, auprès d’un grand auvent de rochers.

Sous ce dernier, coule la Fontaine Saint Martin, dans le bathonien, sur les pentes rive droite du Riou sec, à 825 mètres d’altitude. Son débit est de 4 litres/ minute (relevé du 21 octobre 2017).

De la route même, ce lieu est difficile à voir, car masqué par la végétation. En 1950, une cocarde dressée sur les rochers marquait nettement l’endroit.

La mare sous l’auvent de rocher.

La source est située à la limite de la commune de St André de Vézines et Veyreau, à 200 mètres des sources des Rious. A son sujet, voici ce qu’écrivait E.A. Martel dans son article intitulé « Pâques neigeuses » : « Nous repartons pour aller voir, entre la Croix de Montfraisse et Saint-Jean des Balmes, la jolie source, très haut placée de la fontaine Saint Martin, qui jamais ne tarit : elle est la providence des bergers d’alentour ; le vaste et pittoresque auvent de roche qui l’abrite serait une délicieuse place pour les déjeuners d’été des touristes, qui se rendent par là à Roquesaltes ou au cirque de Madasse ». (Bulletin trimestriel du Club Cévenol, n°3, 1er juillet 1896).

La source sous l’auvent de rocher.

Albert Carrière aimait vanter ses mérites : « La « Fontaine Saint-Martin » jaillit sous le vaste surplomb d’un rocher mesurant 100 mètres carrés de surface et 5 mètres sous voûte. Son ouverture fort étroite indique que son débit n’est jamais considérable, qu’il n’est point tributaire de quelque aven, que son eau est lentement filtrée par la roche dolomitique et, par conséquent, nullement suspectée. Faut-il ajouter qu’elle est fraîche à souhait ? Rien n’a été fait pour la puiser commodément, pour y rafraîchir une gourde de vin ou une boite de pâté de foie gras ! J’ai vu des gourmets le regretter amèrement. Dédaignée, la belle eau traverse un creux vaseux et se perd quelques pas plus loin sans aucun profit. Cette incurie paraît atavique, on ne trouve en effet aucun vestige de l’industrie des primitifs dans cette station, qui présenta cependant les principales conditions d’habitabilité ; sécurité parmi un chaos de rochers, abri sous le surplomb d’un roc, bonne exposition, eau en abondance pour eux, pour leurs animaux et pour un rudiment de culture. Quoique perdue, cette eau crée une minuscule oasis dont la flore au printemps tranche par sa précocité, sa fraîcheur et des espèces qui lui sont propres, entre autres la renoncule à feuilles de graminées et la grassette que les profanes, au premier abord, prennent pour la violette. Son nom vulgaire de « grassette » lui vient de ses feuilles grasses ». (Par Monts et par Vaux, Midi Libre, 10 mai 1953).

A droite de la vasque dans laquelle la source descend, on remarque qu’un autre petit bassin avait été creusé afin de recevoir la précieuse eau. La roche avait été entaillée pour faire la jonction, d’une part de la vasque qui reçoit toujours l’eau limpide, mais également de par la roche située juste au-dessus. Cela fait bien longtemps que ce petit bassin est à sec.

L’ancien petit bassin.

Un droit d’usage permettait aux troupeaux de Saint André de Vézines de venir s’y abreuver. En temps de forte sècheresse, on s’y rendait, comme le mentionne le Livre de Paroisse en 1870 : « Sècheresse désastreuse et générale. Cette sècheresse a commencé au mois de février et depuis a toujours augmenté. Les récoltes en céréales ont été pauvres, le fourrage rare s’est vendu 15 l. les 100 kgs. L’eau a manqué. Marlavagne, Brunas, Vessac, Veyreau conduisaient leurs brebis aux Rious ou à St-Martin. C’était pitié de voir les bêtes exténuées de faim, de soif, de fatigue. »

Nous sommes ici à 4 kilomètres au nord-ouest du village de Saint André de Vézines. Long parcours pour des brebis assoiffées comme nous le rappellerait Madeleine Vernhet (1914-2008) : « On souffrait beaucoup de la sècheresse et les bêtes aussi, on allait faire boire les brebis à la fontaine Saint Martin, et quand elles revenaient ici, elles avaient de nouveau soif, elles buvaient un bon coup, mais avec la chaleur qu’il faisait c’était comme si on n’avait rien fait. » (entretien oral, 16 mars 2004).

« A Vessac, on allait chercher l’eau dans une immense citerne de la laiterie. Sinon, on allait faire boire les bêtes à la fontaine de Saint Martin dont la mare avait été aménagée et entretenue par M.Vernhet de la Roujarie. Maintenant elle ne coule plus beaucoup, il parait qu’à une époque, des jeunes s’étaient amusés à la boucher. » (Gaston Libourel (1912-2004), entretien oral, 22 janvier 2004).

Le plus vieil acte citant cette Fontaine date du début du XIVe siècle : « Le 26 novembre 1316, Berenger de la Roque, damoiseau, seigneur du château de Montorsier, fils de feu Raymond chevalier, reconnaît tenir en fief franc et honoré de Gaston d’Armagnac, vicomte de Creyssels et baron de Roquefeuil, le château de Montorsier avec ses dépendances, juridiction, seigneurie, cens et usages et spécialement la villa du Maynial et les mas de Villaret, de Veyreau, de Bré, des Gaches, etc., et les territoires de la Fontaine Saint-Martin et de Montfraysse, le tout situé dans la paroisse de Saint Jean des Balmes » (Archives départementales de Haute Garonne).

A une époque, où il n’y avait plus d’eau à Veyreau, une femme de ce village s’en était allée jusqu’à la fontaine Saint Martin pour en ramener (ce qui représente près de trois heures aller et retour !). Alors qu’elle passait en revenant près du château, sa « conque » pleine d’eau sur la tête, le seigneur apparût et lui ordonna de jeter son précieux fardeau sur le chemin ; ce qu’elle fit. Alors, ému par sa soumission, le seigneur regretta son geste et la pria d’entrer chez lui (où l’on ne manquait pas d’eau, bien sûr) pour remplir sa conque à nouveau. La vie en ce temps ne devait pas être drôle tous les jours. (Revue Lou Caussé Nègre, n° 3, prima 1977)

Ce lieu fut fréquenté en son temps par les loups, le plus célèbre d’entre eux était connu dans tout le Causse Noir pour avoir fait des ravages de 1799 à 1801, voici comment Casimir Fages, curé de Veyreau, nous retrace le passage de ce dernier que tous les habitants appelaient la Bête Féroce : « Elle emporta un enfant de Graille, fermier à la Rougerie, qui, en compagnie de son frère aîné, gardait les bœufs près de la fontaine Saint Martin ; l’aîné voulut bien secourir son frère, mais la bête se redressant l’effraya tellement qu’il prit la fuite, et vint chercher du secours à Veyreau ; c’était un jour de dimanche ; une grande foule se transporta sur le lieu, et en cherchant dans la pièce de Malbouche on trouva quelques restes de membres qu’elle avait cachés dans la terre » (Livre de Paroisse de Veyreau, 1848).

St Martin est le saint le plus populaire en Gaule. Les églises anciennes sont souvent placées sous son vocable, évangélisateur des campagnes et saint favori des Francs. Officier partageant son manteau : c’est la figure de légende qu’il ne tarde pas à imposer au monde chrétien, en partageant sa chlamyde pour en donner la moitié à un mendiant grelottant de froid. Pourquoi la moitié et pas tout ? Serait-ce là une charité bancale ? Pas du tout. Il faut savoir que l’état romain ne versait que la moitié des sommes nécessaires à l’achat des armes et de l’uniforme des soldats. Aussi Saint Martin ne pouvait-il donner que la moitié du manteau dont il était propriétaire, l’autre appartenant au service de l’intendance. Son plus grand souci : le monde paysan (la majeure partie de la population de la Gaule) ignorant le christianisme, et toujours acquis aux vieilles croyances (multiplicité des dieux de la nature, superstitions, mythes). Il parcourt toute la campagne gauloise à dos d’âne ou de mulet. Selon la tradition, Saint Martin fit jaillir plusieurs sources sous les sabots de son cheval. Il existe trois autres fontaines dédiées à Saint-Martin sur le Causse Noir : Jules Artières dans le Messager de Millau du 15 septembre 1906 indique celle qui se situe dans la vallée de la Dourbie, près des ruines du château de Pépissou « Au bout de la combe de Pépissou, par-dessus les rochers » se trouve une fontaine appelée fontaine de Saint Martin (acte de 1340), une autre source est située dans la commune de Peyreleau, et jaillit à deux kilomètres à l’ouest du village et à 25 mètres au-dessus du niveau du Tarn. La dernière qui est connue aussi sous le nom de « fontaine Saint Martin » se situe entre Sirgas et Dargilan. Elle est mentionnée au compois de Dargilan en 1759 ; ce n’est qu’un filet d’eau suintant de la paroi et recueilli dans une cuvette rocheuse qui se déverse dans des abreuvoirs, trous d’arbres évidés et disposés en quinconce. Les dégradations du temps les condamnent à disparaître.

Comme nous pouvons le constater, la dévotion à « Saint Martin » était bien vive sur le Causse Noir, à en juger par ces quatre sources porteuses de son nom. A ma connaissance, il n’existe aucune autre source dédiée à un autre saint sur le Causse Noir.

Marc Parguel

Partager cet article