Patrimoine millavois

Patrimoine millavois : L’église du Sacré Cœur (1891 – 1926) (2/2)

Travaux à l’intérieur de l’église et culte de Marguerite Marie

A la mi-mars 1891, l’édifice était complètement couvert et, à l’intérieur, les travaux allaient bon train, tout comme si les fonds abondaient. Il faut dire que le curé Massabuau débordait d’énergie et d’initiatives pour se procurer de l’argent (annonce dans les journaux, porte-à-porte, loterie, etc.). Aussi, les ravalements des piliers, des arceaux, des cordons, s’avançaient : la crypte destinée à soutenir la chapelle du Sacré-Cœur était déjà voûtée : on posait les degrés servant à gravir les chapelles latérales et le sanctuaire ; le crépissage commençait à revêtir les murs des bas-côtés ; les briques destinées aux voûtes des trois nefs s’amoncelaient sur le chantier. Tout faisait présager un prochain et notable avancement des travaux.

En mars 1891, le peintre verrier M. Lachaize posait les vitraux de la coupole. Il s’occupa au commencement de 1892 des peintures à fresques des voûtes et de la coupole. Tous ces motifs ont disparu lors d’une restauration en 1955. 86 ex-voto matérialisés par des plaques de marbre furent apposées, mais inesthétiques dans l’édifice, ils furent retirés.

Le curé Massabuau voulant sensibiliser davantage les Millavois au culte, demanda au Musée Grévin à Paris de confectionner une effigie en cire de la bienheureuse Marguerite Marie, l’apôtre du Sacré-Cœur. M. Léopold Brenstamm, artiste russe de grand renom réalisa l’œuvre et en fin don au curé. Il comportait, en cire, la tête si expressive et les mains. Le costume de la religieuse fut confectionné sur le modèle envoyé par le couvent du Paray-le-Monial où reposent les restes de Marguerite Marie. Mgr Bourret se chargea de procurer les reliques.

L’entrée de cette belle effigie fut fixée au dimanche 31 juillet 1892. Ce fut une grande célébration appelée « Fête fleurie ».

Publicité
Effigie de Marguerite Marie, la sainte (mains et figure en cire, don du Musée Grévin)

Inauguration et construction des deux clochers

La nouvelle église du Sacré Cœur fut inaugurée le 27 septembre 1892. « Il ne faut pas confondre la cérémonie d’inauguration avec celle de la consécration qui aura lieu ultérieurement », nous rappelle le Journal de l’Aveyron du 24 septembre, car avec la bénédiction et la prise de possession de la nouvelle église ne se terminait pas la totale édification de ce monument.

Après avoir vu s’inaugurer la majestueuse église du Sacré Cœur, voyant sa santé décliner, l’abbé Rouquette, premier curé de cette paroisse, se retire et décède le 27 décembre 1892.

Quelques mois après, l’Evêque de Rodez ayant offert 25.000 francs pour la construction d’un des deux clochers, une nouvelle souscription couvrit les frais du second ; mais pour cela le pauvre curé Massabuau dû chercher des fonds, s’épuisant à la tâche. Il dédia le futur clocher à Jeanne d’Arc dont le culte était alors à l’honneur.

A bout de souffle, il mit au mois de mai 1893, les deux clochers en adjudication. Il échut à un entrepreneur de Millau, sérieux et compétent, M. Jeanjean, qui sut faire diligence, à tel point qu’en moins de deux ans, dès le commencement de l’année 1895, ce gros œuvre était terminé et les fonds étaient parvenus pour payer. La dépense des deux clochers s’était montée au total à 43.000 francs.

Entre temps Mgr Bourret fut nommé cardinal le 21 juillet 1893.

Alors que les clochers atteignaient leur point culminant, la foudre frappa sur l’un d’eux, dans la nuit du 24 au 25 juillet 1894. Les quatre pinacles angulaires de la plate forme furent renversés : jeté en bas, sur les chantiers, d’une hauteur de près de 40 mètres, avec une partie de leur piédestal.

L’église du Sacré Cœur en 1896.

Comme nous le rappelait Georges Girard : « On crut à première vue que le treuil roulant un châssis qui, pour les besoins de l’entreprise glissait sur l’échafaudage et transportait les matériaux d’un clocher à l’autre sur une longueur de vingt mètres, poussé par la rafale, avait heurté violemment les pinacles. Mais les pierres des assises inférieures, renversées aussi, démontrèrent péremptoirement que c’était bien la foudre qui avait provoqué ces désastres. Fort heureusement, les deux premiers pinacles atteints restèrent suspendus comme par enchantement sur la plate-forme. Leur chute aurait causé des dégâts considérables en éventrant la couverture et la voûte même de l’église, leur poids étant de sept à huit quintaux. Le treuil, malgré la vitesse acquise, s’était arrêté devant un obstacle, au bord de l’abîme. On peut imaginer ce qui serait advenu si ce bélier de dix quintaux était allé s’abattre sur les toits des maisons voisines » (L’église votive du Sacré Cœur, 1992).

En 1895, la redoutable œuvre de construction de l’église du Sacré Cœur était achevée. L’église était bâtie certes, mais elle était vide : le tambour de l’église était à achever et le maître autel était absent. On fit déplacer la croix du calvaire autrefois sur la Capelle dans la cour de l’église.

La percée du boulevard Sadi-Carnot en 1896 permit d’avoir une belle perspective sur l’église qui venait de s’élever.

Epuisé par tant de labeurs, le curé Massabuau donna son dernier souffle le 8 février 1895, à une heure du matin. Neuf ans jour pour jour après sa bénéfique installation à la tête de la paroisse. Il n’avait que 54 ans. Il repose dans la crypte de l’église. Monseigneur Bourret, devenu Cardinal n’allait pas tarder à le suivre au royaume des morts. Agé de 68 ans, il décèdera le 10 juillet 1896.

Vers la consécration

Dans ses annales de Millau, voici comment Jules Artières résumait la situation : « Bien des choses restaient encore à faire, à la mort du regretté M. Massabuau, pour l’ornementation et l’embellissement de l’église. Mais, grâce à la générosité vraiment inépuisable d’une population profondément catholique, grâce au zèle du nouveau pasteur de la paroisse, l’œuvre se poursuit méthodiquement et touchera bientôt à sa fin : le provisoire faut peu à peu place au définitif : un magnifique maître-autel d’une valeur de 10 000 francs, une chaire monumentale et bien d’autres améliorations, représentant au total près de cent mille francs, contribuent à la décence du Culte. »

L’église du Sacré Cœur en 1907.

Comme les principaux initiateurs de cette église étaient tous morts, la consécration se fit le 2 juillet 1898 avec le nouvel évêque de Rodez : Mgr Germain. Il était accompagné de trois autres évêques aveyronnais : Monseigneur Montéty, archevêque de Bérythe, Mgr Livinhac, siégeant en Afrique et Mgr Latieule, le nouvel évêque de Vannes.

Le dimanche 7 juillet 1907, la paroisse du sacré – Cœur célébrait sa fête patronale, marquée par le couronnement de la statue érigée au fond de l’abside (remplacée depuis lors par une autre, due au ciseau d’Ottavy). La cérémonie était présidée par Mgr Dupont de Ligonnès, évêque du diocèse et Mgr Gély, évêque de Mende.

L’après-midi, après vêpres, eut lieu dans la cour de l’église, sur une estrade dressée au pied de la croix, la bénédiction de la couronne.

Couronnement du Sacré Cœur (1907).

Le carillon

En octobre 1922, le curé Pierre Calmels, successeur du curé Massabuau décédé en février 1895 écrit dans le livre de paroisse du Sacré-Cœur : « Dans quatre ans, c’est le 30e anniversaire de la mort du Cardinal Bourret, dans cinq ans ma 32e année de présence dans la paroisse et ma 75e année d’âge. C’est le cas de faire quelque chose qui fut digne de nos héros de la guerre, de la mémoire du grand Cardinal et de la durée de mon ministère… A cette date, la sacristie a déjà ses ornements, l’intérieur de l’église a ses lampes électriques, la tribune a son orgue, seules les deux tours sont encore muettes et n’ont pour appeler les fidèles qu’une cloche de chapelle de 175 kg. Le moment est venu de leur donner de la voix pour exalter les gloires du Sacré Cœur, pour immortaliser le souvenir des grands morts et compléter l’œuvre du Cardinal Bourret. »

Le projet est annoncé et la souscription ouverte. Un projet de grande envergure, voyez plutôt : un carillon de 21 cloches totalisant 15.000 kg dont la plus superbe pièce est un imposant bourdon, sonnant le la grave et dont le poids accuse 3.635 kg pour 1m761 de diamètre.

Le carillon arrive devant l’église du Sacré Cœur (17 juillet 1926)

Fondu par l’entreprise de Georges Renat à Chalette, près de Montargis, dans le Loiret il rappelle, par les noms qui y sont inscrits, le souvenir des enfants de la paroisse morts au champ d’honneur durant la guerre 1914-1918. Le pourtour de la cloche est décoré de guirlandes, de fleurs, de feuillage et de raisins, dans la partie basse.

En 1925, le curé Calmels annonce : « La construction des deux beffrois. 70 mètres cubes de bois brut et au moins 30 mètres cubes de bois œuvré soit 25 000 francs environ. Ce sont les frères Austruy, charpentiers et paroissiens du Sacré Cœur qui sont chargés de cette réalisation en bois de chêne. 9 cloches, dont le bourdon, pourront être sonnées à la volée et les 12 autres seront fixes et serviront qu’au carillon. Le clavier dit « à coup de poing » sera réalisé par l’entreprise Ronat. Le montant global de cette opération s’élèvera approximativement à 165 000 francs sans la construction et la pose des deux beffrois. » (Livre de paroisse du Sacré-Cœur)

Le samedi 17 juillet, le cortège contenant les 21 cloches du carillon après être venu par la gare trois jours avant, traverse sur un char la ville par le Mandarous, puis la place de la Fraternité et arrive enfin sur la place de l’église.

Déposées de leurs chars, les cloches sont introduites dans l’église. Le montage des cloches va durer près de quinze jours. L’inauguration de l’ensemble eut lieu le 24 juillet 1926. L’électrification des quatre principales cloches situées dans le même clocher est réalisée par une entreprise spécialisée de Metz. Le cout de l’ensemble représente un montant de 263 191 francs.

Georges Girard fut le dernier carillonneur du Sacré Cœur jusqu’à son décès survenu en 2009. Aujourd’hui, ce carillon unique en Aveyron est à l’abandon.

Vue de l’ensemble

Jules Artières définit l’église du Sacré Cœur comme suit : « C’est une véritable œuvre d’art. Quand on la visite, on ne sait qu’admirer le plus ou de l’ampleur de ses lignes, ou de l’harmonie des proportions, ou de la richesse de ses décors. Elle a la majesté des cathédrales antiques, et elle ne le cède ni en élégance ni en grâce à nos plus belles basiliques. » (Annales de Millau, 1900). La plupart des décors ont disparu lors d’une restauration en 1955.

L’intérieur de l’église du Sacré Cœur en 1940.

Jacques Cros-Saussol ajoute : « De style romano-byzantin, l’église du Sacré Cœur ressemble à une cathédrale avec ses deux campaniles à galerie et à toiture plate, sa grande nef à bas-côtés et sa belle coupole couronnant le maître-autel à une hauteur de 24 mètres. Elle est bâtie en pierre blanche et ses douze piliers monolithes de 5,60 mètres de haut sont en marbre. Les sobres peintures des murs et des voûtes font bien valoir l’harmonie des grandes lignes de l’intérieur. La longueur totale est de 53 mètres et la hauteur des campaniles est à 36 mètres au-dessus du sol. »

Marc Parguel

Bouton retour en haut de la page