Patrimoine millavois
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Patrimoine Millavois. Quand le patois était interdit dans les écoles millavoises

Le 10 février 1935, s’éteignait à  l’hospice Debrousse, rue de Bagnolet  à Paris, Léon Roux. Il y était entré depuis le 24 octobre 1918. Dans cet établissement, il se plaisait de se retrouver dans son « pigeonnier » comme il aimait à l’appeler, c’est-à-dire la bibliothèque de l’hospice. Il y restait longtemps, grand vieillard droit aux longs cheveux blancs, parmi un fatras de livres et de papiers, rassemblant des notes pour ses articles, car il écrivit jusqu’à son dernier jour. Une écriture robuste, bien lisible, montait au long des lignes comme à l’assaut des petits feuillets que Léon Roux couvrait sans hâte jusqu’à la signature dont l’X final ressemblait à quelques croix des chemins penchées par la tempête. Ces articles, tout gais, tout vifs, il les portait à la rédaction de « L’Auvergnat de Paris », où Raymond Decup, malicieusement, s’amusait à lui faire raconter d’innombrables anecdotes.

Agé de 74 ans, il écrivait dans ce journal : « Ce n’est donc pas l’histoire de Millau que j’écris. Ce sont des histoires de Millau que j’essaye de conter. Ce sont des petits tableaux ou même de simples esquisses crayonnées sans aucune prétention sinon celle de la vérité. Ce sont des peintures de mœurs, des portraits, brossés sans couleurs vives ou éclatantes, rien qu’en nuances, comme le voulait le bon poète Verlaine » (Au siècle dernier, vieux souvenirs, l’Auvergnat de Paris, 9 avril 1932).

Il le connut Verlaine, racontant les nuits de beuverie, suivies de crises de repentir dont il ne doutait pas de la sincérité. Mais ses plus beaux souvenirs étaient ceux de son enfance millavoise.

La tenue de l’écolier (DR)

Dans ses notes éparses, il évoquait ses souvenirs d’écolier : « J’avais dix-ans (1868), l’école primaire de Millau était divisée en deux groupes, ou fréquentaient les enfants des deux paroisses alors existant : Notre-Dame et Saint-François. Certains gosses de la paroisse Notre-Dame, ceux qui demeuraient « sur le Quai » ou aux alentours de la Place d’Armes, avaient presque toute la ville à traverser pour se rendre à l’école. La plupart y allaient par la rue Droite et je les y vois encore à la rentrée d’après-midi… Pas un seul chapeau : les écoliers étaient coiffés de casquettes, mais le plus souvent de « toques » de forme écossaise. Les beaux habits étaient réservés pour les dimanches et fêtes quitte de finir cependant leur usure sur les bancs de l’école. Beaucoup d’écoliers étaient chaussés de sabots ou de galoches. Les uns portaient, pendant à des courroies tenues à l’épaule et battant le bas des reins, une gibecière de cuir fauve ou noir – lou sac grossièrement fabriquée de débris de cuir de la tannerie où travaillait le père. Les « riches » seuls avaient le beau sac de cuir jaune… Ils allaient les gosses par petits groupes de voisins et aussi par affinité, groupe grossissant en route. On bavardait en patois, car dans la rue on se gaussait de la stupide interdiction de parler la langue de nos ancêtres » (Films rouergats, sur le chemin de l’école, l’Auvergnat de Paris, 30 septembre 1933).

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En allant à l’école. (DR)

En effet, il était rigoureusement interdit de parler patois à l’école, et ce depuis 1835 !

Bien que proscrite des actes officiels depuis près de trois siècles, la langue vulgaire telle qu’on la définissait était encore parlée couramment dans les écoles publiques du Département. Aussi en 1835, le comité d’Instruction primaire de Rodez prit-il l’arrêté suivant, relatif à la prohibition dans les écoles de la langue vulgaire désignée sous le nom de « patois », en exprimant le vœu que la même mesure fût prise par les Comités des autres arrondissements : « M. le Préfet propose au comité d’interdire dans toutes les écoles de la circonscription l’idiome vulgaire appelé patois, dont l’usage ne peut que nuire aux progrès d’une instruction primaire vraiment nationale. Le comité appréciant tous les avantages de cette mesure, attendu qu’il importe à tous les Français de connaître et de parler la langue dans laquelle sont écrits, les actes qui règlent leurs rapports d’intérêts et ceux qui fixent leur état civil, les lois et règlements auxquels ils doivent obéissance et les ouvrages dans lesquels ils peuvent puiser une éducation intellectuelle, morale et religieuse ; attendu que l’unité de langage contribuerait nécessairement à établir plus de facilité dans les communications, plus d’intimité dans les relations, et, par conséquent, plus d’homogénéité  dans le caractère national et plus d’énergie dans le sentiment de patriotisme qui fait la force du pays, Arrête : « L’usage du dialecte patois est interdit dans toutes les écoles primaires de l’arrondissement ; la langue française sera seule employée dans les communications qui s’établiront, soit entre les instituteurs, soit entre les élèves eux-mêmes. Les instituteurs qui contreviendront à cet arrêté seront passibles de peines disciplinaires, conformément à la loi ». (D’après Jules Artières, Annales de Millau, XIXe siècle, p.279-280, 1900).

Le frère Illide, un homme mi-savant

Remontons en 1868 et suivons la plume de Léon Roux : « Naturellement, à cette époque, l’école primaire officielle était celle des frères des écoles chrétiennes. Mon Dieu, les programmes d’enseignement y étaient les mêmes que ceux des autres écoles primaires dont les « maîtres » laïques n’étaient pas moins chrétiens que les « chers frères »… Le frère Illide, qui enseignait à la première classe de la primaire du quartier Notre-Dame, n’était pas un savant, mais il savait de tout un peu. Il raclait un violon de façon passable, tenait l’harmonium de la chapelle, jouait même de l’ophicléide. Il pouvait vaguement enseigner le dessin… Le frère Illide, que ses élèves avaient surnommé Simon, on n’a jamais su pourquoi, n’avait rien d’un Bossuet, même d’un Bridaine. Les demi connaissances du bon frère s’étendaient aussi au-delà des programmes de l’enseignement primaire, il eût pu pratiquer l’enseignement professionnel, puisque, au moyen d’une caisse d’emballage, il reliait assez proprement un livre. »

En classe. (DR)

La chasse au patois

« A la primaire de la paroisse Notre-Dame, c’était le frère Illide qui veillait à la discipline, non seulement de sa classe, mais qui était, en outre, chargé de la discipline générale… Et, dans cette école d’une ville d’origine entièrement latine, d’une commune dont les archives possédaient le manuscrit du Livre de l’Epervier, l’un des plus beaux monuments de la langue romane, cette la langue, ce patois, qui pendant de longs siècles à servi de transition entre le latin et la langue française dans cette école, même pendant les récréations, il était interdit de parler patois. Parler la langue maternelle, la seule langue qu’avaient parlée les ancêtres, travailleurs, remueurs de glèbe, artisans ou bâtisseurs d’églises et de moutiers (monastère) était un délit. »

Un coup de « Pal » (pièce de bois longue et aiguisée par un bout)

« Un délit !… Et comment trouver le délinquant ? Dans la cour de l’école, avant l’entrée en classe du matin, le frère Simon se promenait, semblant absorbé par la lecture d’un journal…mais le frère était en réalité l’oreille aux écoutes, et s’il entendait un mot de patois, il se dirigeait vers celui qui l’avait prononcé, et, gentiment, lui remettait un bout de manche à balai, long d’environ dix centimètres, lui recommandant de remettre à son tour ce petit bout de bois à celui de ses camarades qu’il entendrait parler patois, celui-ci devant en faire autant. Le soir, avant la sortie, celui qui possédait lou pal recevait deux coups de férule qui lui engourdissaient les doigts, mais étaient impuissants pour tuer, même engourdir, une langue vieille dans le pays de près de deux millénaires.

DR

Ce passage de main en main del pal, donnait lieu à un jeu de mots, souvent répété. Un élève s’approchait avec un compère du côté de celui qui avait en poche le pal, mêlé aux billes et aux toupies ; l’un des deux copains contait que le soleil l’aveuglait, l’autre répondait : « Cal cluta ». Vite le pal lui était présenté.

Pourquoi ?
Tu as dit en patois : il faut fermer les yeux.
Mais non, j’ai dit Calcutta.
Donc, tu as dit en patois ce qui se dit en français : il faut fermer les yeux, ou, autrement dit encore : clore les paupières.
Non. J’ai dit le nom de l’une des principales villes de l’Inde. Je sais la géographie, moi : Calcutta, Chandernagor, Mahé, Karikal…Vois donc ta géographie, bougré d’azé !…

Cette fois, le mot patois, les deux mots patois étaient bien lâchés. L’instinct, l’atavisme séculaire, la race, avaient vaincu les vaines et idiotes prescriptions du cuistre qu’était M. l’inspecteur primaire. Et le possesseur momentané del pal préférait en somme être un bougre d’âne que de recevoir deux coups de férule » (Souvenirs de la vie d’autrefois en Rouergue, « Lou Pal », L’Auvergnat de Paris, 10 octobre 1931)

DR

Il faudra des décennies pour faire admettre « le Patois » à l’école. Pourtant de nombreux auteurs ont tenté de défendre la langue si chère au poète Claude Peyrot  et ses Géorgiques patoises ou à l’abbé Bessou, figure tutélaire de la littérature occitane en Rouergue. Henri Mouly, instituteur de Compolibat, se battait pour l’introduction de la langue d’oc dans les écoles en 1921 : « L’idéal serait d’apprendre les deux à l’école. Redresser le Rouergat serait une petite affaire, et le Français deviendrait d’une simplicité inouïe en le faisant découler du premier ». Mais il faudra attendre encore 30 ans, le 11 janvier 1951 pour voir la première entrée officielle de la langue d’oc dans les écoles avec la loi Deixonne, une question de survie d’une langue trop longtemps bannie et disparaissant de concert avec les vieux outils et les anciens costumes de nos ancêtres. Cette langue revit désormais tout doucement, elle est apprise et sauvegardée notamment dans des écoles occitanes appelées Calandretas , rendant hommage à tous ces hommes et femmes, nos grands-parents qui la parlait au quotidien.

Marc Parguel

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