Patrimoine millavois
A la Une

Caylusset (entre Paulhe et Millau), son cap barré et ses fourches patibulaires

« Caylusset » dont le nom ne figure sur aucune carte actuelle de la commune de Millau et qui n’apparaissait déjà plus sur la carte d’État-Major (1820-1866) était situé au-dessus et à l’est de Carbassas (Querbassacio), et de Paulhe, visiblement aux limites de cette commune et de celle de Millau.

D’où vient ce nom de Caylusset ? D’après André Soutou : « Diminutif du toponyme Caylus, qui désigne un château situé à une dizaine de kilomètres plus au nord, dans la commune de la Cresse, sa position topographique était particulièrement favorable à l’établissement d’un castellucium, c’est-à-dire d’une « sorte de fortification ». Étant donné que dans le cas de Caylus, le nom du lieu n’était pas dû à la présence relativement récente d’un château féodal, mais à l’existence antérieure, sur le même emplacement, d’une forteresse beaucoup plus ancienne « poteries gauloises et samiennes » observée en 1929 par Albert Carrière dans ses notes paroissiales, il était prévisible qu’à Caylusset, où aucun château fort n’a été bâti à la période historique, le choix du nom ait été motivé par le fait qu’il y avait en ce lieu les vestiges archéologiques d’une fortification plus ancienne encore » (Revue du Rouergue, n°29, printemps 1992)

Le cap barré vu du ciel en 2022 (les traits bleus représentent les autres murs qui étaient encore visibles en 1956) (DR)

Le cap barré

L’accès au cap barré se fait assez commodément en partant à pied de la ferme de Betpaumes (figurant sur la carte d’État-Major sous le nom de Betbalmes). Alain Bouviala qui m’a emmené sur les lieux m’a permis de retrouver les vestiges d’un rempart transversal, à environ 200 mètres au sud de la croix de Paulhe.

Cet éperon (aujourd’hui masqué en partie par les buissons) était destiné à interdire l’accès de cette partie avancée du plateau, à partir de la surface plane du Causse. Ce long amas de pierres, situé à 836 mètres d’altitude, de 4 mètres de largeur environ et environ 1 mètre de hauteur s’étire sur 52 mètres de longueur.

Publicité

Une vue aérienne de 1956, montre que chacun des côtés de ce mur était fermé par d’autres murs jusqu’en bordure du promontoire à l’à-pic de la vallée du Tarn jusqu’au début de la pente du ruisseau de Font-Frège, donnant à l’ensemble une forme rectangulaire.

Albert Carrière qui fut le premier a étudié les caps barrés de notre région, pourrait nous dire : « C’est là, parait-il, que se retiraient, en cas de danger, les populations de ces plateaux avec leurs familles et avec leurs troupeaux. » (Mémoires Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron, tome 21, 306-316).

Un alignement de pierre bien énigmatique (DR)

Sur ces murs devaient s’appuyer des cabanes, mais on n’y trouve n’y brique à rebords, ni poteries sigillées. On voit cependant sur une longueur de 5 mètres, un alignement de pierres, la base d’une muraille possible vestige d’un fanum de forme rectangulaire.

Ce cap barré est aussi intéressant par les vues magnifiques qu’il offre sur la vallée du Tarn.

Vue prise en bordure du plateau (DR)

Les fourches patibulaires

Bien après l’aménagement de ce refuge fortifié protohistorique, le  nom de Caylusset devait apparaître au XIIIe siècle où des fourches patibulaires furent élevées au nom du Roi par la ville de Millau sur les limites de sa juridiction. Une juridiction de tout temps disputée avec la communauté de Compeyre voisine. Les consuls de cette communauté disaient que les communaux de Millau n’allaient « que jusqu’au dites fourches de Caylusset et au sommet de lad. Montagne de Barri » (couronne du Causse Noir).

A chaque pas de travers sur le patus voisin, chaque communauté n’hésita pas à condamner l’autre. En 1495, un procès eut lieu contre un habitant de Carbassas, qui fut condamné à 4 livres d’amende pour avoir abîmé « les patus de Barri », à Betpaumes.  C’est pour marquer les limites de chaque juridiction que furent érigées les fourches patibulaires sur le « Puy de Caylusset ».

Un acte de 1444 mentionné par Jules Artières situe ces fourches au-dessus de Carbassas, en haut du ravin descendant du Causse Noir, non loin d’un bâtiment nommé le Jas del Teule, pour délimiter le domaine de la communauté de Millau par rapport à celui de la communauté de Compeyre à laquelle étaient rattachés à cette époque les villages de Paulhe et de Carbassas.

D’après André Soutou : « Un autre texte de 1461, précise que les fourches elles-mêmes devront être rebâties sobre lo pinhet appellat Caylusset, sive Lo Teule, que es sobre lo loc de Paulhe. Le mot pinhet…ne signifie pas « bois de pin », mais plutôt « piton »…et il s’applique à une formation pointue, qu’il s’agisse de l’angle d’un toit ou d’une éminence rocheuse. »

Ce même auteur pense que les fourches étaient situées à environ 20 mètres au sud du cap barré, à proximité des limites des communes de Paulhe et de Millau, et que le Jas del Teule ne peut s’apparenter qu’à la bergerie du Pouzet, appartenant autrefois à Louis Pailhas (1902-1996), généreux donateur et initiateur de la nouvelle croix de Paulhe (1981).

Enluminure tirée d’un manuscrit  Les Grandes Chroniques de France, f° 361v, manuscrit réalisé à Paris à la fin du XIVe siècle (DR)

On y voyait jadis deux piliers maçonnés distants d’environ 2 mètres, servant à supporter une poutre de bois où l’on pendait les condamnés, et des pierres armoriées comme le mentionnait l’acte de 1461 : « deux piliers carrés, de 2,5 pans de côté (62,5 cm) et de 12 pans de hauteur (3m), sur lesquels étaient gravées les armoiries du Roi et de la ville de Millau : dos pialas sive forcas…que devon aver de tot cayre II pams ½ et d’aut XII pans defora terra…e deux far sive (=aussi) grevar en cascum piala las armas del Rey nostre senhor et de la viala ».

Ces fourches patibulaires étaient placées bien en évidence à la limite de deux juridictions. Sur ce lieu élevé, bien en vue, on coinçait le cou des criminels dans l’angle d’une branche fourchue. D’ordinaire les corps des suppliciés y restaient suspendus quelque temps après leur mort, pour servir d’une manière durable de leçon aux vivants.

C’est aux fourches de Caylusset que furent pendus en 1286 deux voleurs qui avaient été arrêtés et emprisonnés à Compeyre et que le juge de Millau, pour bien marquer sa prééminence, avait fait amener dans sa ville avant de les faire étrangler ensuite en las forcas deldich Millau. Mais le juge de Compeyre protesta contre cet enlèvement qu’il considérait comme illégal et demanda la restitution des corps, afin qu’ils soient rependus en bonne forme dans sa juridiction. Toutefois, après force palabres, il fut entendu que les cadavres resteraient en place et que deux sacs pleins de foin seraient emportés à Compeyre au lieu des deux suppliciés (Jules Artières, documents sur la ville de Millau, 1930)

L’alignement de pierre faisant face à l’à-pic de la vallée du Tarn (DR)

Le droit de condamner au gibet les malfaiteurs ne fut exercé bien librement par les seigneurs que dans les premiers temps de la féodalité. Sur ce point comme sur beaucoup d’autres les rois de France restreignirent progressivement les attributions de la justice seigneuriale, à mesure qu’ils devinrent plus puissants, et ils avaient  fini par n’en laisser plus guère qu’un simulacre quand la Révolution survint.

Aujourd’hui, de ces temps presque oubliés, il ne reste que des vestiges d’un éperon barré et un nom empreint d’histoire que l’on pourra désormais aisément placer sur une carte.

Marc Parguel

Bouton retour en haut de la page