En ces temps de rentrée scolaire, consacrons une chronique à l’école buissonnière, celle d’autrefois, car il faut bien admettre qu’elle a depuis perdu de son intensité et de son charme. Sûrement par le fait que sa dimension campagnarde a disparu.
Car le mot « buissonnier » est bien en lien avec la nature : un animal buissonnier est un animal qui vit dans les buissons. Faire buisson creux, c’est trouver vide un endroit où on croyait un gibier caché. Battre les buissons, c’est les parcourir en tout sens, mais c’est aussi les frapper pour faire lever le gibier. Buissonner, c’est aller dans les buissons, spécialement pour un chien.
Mais dans le fond, comment pourrait-on définir ce lieu dont Anatole France disait : « De toutes les écoles que j’ai fréquentées, c’est l’école buissonnière qui m’a paru la meilleure et dont j’ai le mieux profité » (Le Petit Pierre).
Le dictionnaire culturel de la Langue Française indique que « Faire l’école buissonnière, c’est flâner, se promener au lieu d’aller en classe, et par ext. ne pas aller travailler » (A. Rey, le Robert).
Combien sont-ils, tous nos ancêtres à avoir tenté la grande aventure ? Quels étaient les loisirs des jeunes Millavois ? Qu’allaient-ils faire durant leur temps libre ? Léon Roux (1858 -1935) qui évoquaient les « jeudis de gosses », jour de congé pour les élèves, disait que « les uns allaient sur les bords de la Dourbie essayer de prendre- ils disaient attraper- quelques écrevisses o groti paoutos. D’autres traversaient le Pont-Lerouge – traverser le pont de fer eut été plus court, mais ça coûtait un sou – pour aller à la Terro Négro, jeunes prospecteurs, y chercher des… diamants. Ces diamants étaient des pyrites de cuivre natif, de forme ronde dont la pointe des minuscules pyramides qui les formaient rayait parfaitement le verre. Nous y trouvions aussi des ammonites, cornes d’Ammon, que nous appelions, nous dé cogoraoulos et bélemnites qui, pour nous étaient des quilles… Pendant ce temps-là, les petites filles sautaient à la corde, seule ou à deux… » (En Rouergue, au siècle dernier, Vieux souvenirs, l’Auvergnat de Paris, 9 avril 1932)
Le même auteur ajoute : « Il est des parents, sans doute ont-ils raison, qui ne veulent pas que leurs enfants s’éloignent de la maison. Ceux qui demeurent dans les rues étroites du centre de la ville ne pourront certes pas jouer ol saoutorel, sinon gare à la casse des vitres, inéluctablement suivie de gifles pas toujours sur les joues » (Jeudis de gosses, L’Auvergnat de Paris, 18 mars 1932).
Si le jeudi était le jour de repos tant attendu des petits Millavois, certains n’attendaient pas d’avoir ce jour-là, pour aller excursionner. La tentation était grande, bien que répréhensible, quand le soleil brille, de ne pas aller s’enfermer dans une classe. En chemin pour aller à l’école, ils s’arrêtaient pour s’amuser , tuter les grillons ou cueillir des fleurs. Quelques garnements tiraient aussi des pierres aux oiseaux avec leur fronde. Ils allaient dénicher des chardonnerets dans les mûriers ; d’autres encore, non moins méchants, longeant la rive droite du Tarn au champ du Prieur, depuis la Crous de Gobenc (Croix de Gaven) jusqu’en face del Gourg dé Bados, faisaient la « pêche assommante », c’est-à-dire étourdissaient d’un coup de marteau le fretin qui s’abritait sous les pierres du bord de l’eau et le cueillaient.
L’école « Buissonnière », ce joli mot, qui pour beaucoup révélait de l’exploit a bien tenté un temps le jeune Edouard Mouly (1883-1964) alias Mylou du Pays Maigre, surtout ce jour où il lui est arrivé un grand moment de solitude, laissons-le nous le raconter : « Il me souvient qu’une fois, en pleine étude, il m’arriva un petit accident. J’avais laissé échapper non un bruit lourd, brutal, mais une modulation fine, légère, s’évanouissant dans un ton suraigu. Que celui à qui pareille chose n’est jamais arrivée me jette la première pierre. Vous savez ce qui se passe en pareil cas : dans toute l’étude, une rumeur s’était élevée, tous se bouchaient le nez et tous les yeux étaient tournés vers moi, le coupable, et M. Vidal, dit Tapet, furieux, m’avait mis à la porte de l’étude.
Malchance suprême ! Juste comme je traversais la cour pour voir s’il me serait possible de prendre la clé des champs, je me cassais le nez devant M. le Principal :
– Que faites-vous là ? me fit-il assez rudement ?
– On m’a mis à la porte de l’étude…
– Pourquoi ?
Pas de réponse. On comprend mon embarras.
– Eh bien, répondrez-vous, oui ou non ? Si vous ne répondez pas, je vous mets à la porte du Collège.
Tout rouge, tout humilié, tout confus, je laissais tomber :
– J’ai pété, M. le Principal ! et aussitôt j’éclatai en larmes.
Si jamais j’ai vu une figure déjà rouge rougir encore, et un rire formidable se livrer cours, ce fut bien cette fois-là. Je m’attendais à un châtiment terrible et c’était le rire qui se déchaînait. M. Colombain me prit par la main, me ramena à l’étude, dit deux mots à l’oreille de M. Vidal, qui ne dut pas en être satisfait, car il rougit violemment et l’incident fut clos » (Alades, un nouveau principal, Artières et Maury, 1948)
Ludovic Vidal (1882-1960) dont le nom de plume fut Lud’Oc nous raconte ses souvenirs d’école buissonnière du temps où il était élève à l’école Eugène Selles.
« J’étais un assez bon élève…ce qui ne m’empêcha pas qu’un beau jour une envie folle me prit de faire l’école buissonnière. Je rêvais d’aller seul revoir ces jolis coins des environs de Millau… Un de nos voisins avait un gros et beau chien noir qu’on appelait Taup. Nous étions bons amis, et il était heureux de me suivre dans mes promenades. Donc, ce jour-là, bien décidé à faire l’école buissonnière, j’avais pris un goûter copieux, double ration de pain pour moi et pour Taup. Je sifflais Taup. Empruntant le chemin habituel de l’école, mais bientôt, faisant un détour, nous voilà partis, Taup et moi pour le « balat » de la Mère de Dieu.
Il m’arrivait bien d’avoir quelques faibles remords, mais cette liberté, ce soleil déjà tiède d’avril, cette senteur de violettes, cette haleine du renouveau avaient vite fait de les dissiper.
De retour, j’eus la malencontreuse idée de passer sur le Mandarous. En effet, voilà que Taup, qui me suivait jusque là pas à pas, s’élance tout à coup et va se jeter…dans les jupes de ma mère. Ma mère, trouvant étrange que ce chien fût sur le Mandarous, assez loin de chez nous, et sachant que Taup ne marchait pas sans moi, jeta un regard autour d’elle… Je cherchais bien à me cacher derrière une charrette, mais elle me découvrit vite…
A la maison, tout de suite ! Et nous allons régler cela !… Je la suivis, piteux, tandis que Taup, lui, gambadait gaiement.
Le lendemain, elle m’amena à l’école, raconta mon odyssée et demanda pour moi une peine sévère. Ce fut « le dîner à l’école ».
A onze heures, tous les maîtres et élèves partis, je restai seul dans la cour, un peu honteux, je l’avoue. Je ne tardai pas à voir arriver ma brave mère.
Elle voulait bien prendre un air sévère, mais son bon cœur transpirait et on sentait qu’au fond, elle était heureuse de sortir de son panier les éléments d’un succulent repas. O vous toutes, chères mamans, ne lui jetez pas la pierre, vous toutes en auriez fait autant. Voici le menu : frites bien rissolées et dorées, côtelette grillée qui promettait d’être savoureuse, gâteaux secs, une orange et, en plus, mon goûter habituel. Mais ma mère repartit sans m’embrasser ; et ce fut là ma plus grande punition… Pour elle aussi sans doute. Je m’installai au pied d’un arbre et fis le plus grand honneur au menu. Vous ne vous étonnerez pas d’apprendre que je gardais l’os de la côtelette pour Taup.
Notre bon Directeur, M. Pourcel qui avait assisté au déballage de mon repas, me demanda, après le départ de ma mère : « Alors ! Que doit-on te donner à la maison lorsque tu n’es pas puni ? ». Et moi, qui étais plutôt timide, j’eus le front de lui répondre : « Oh ! Monsieur le Directeur, ce n’est pas toujours fête ! » (Mon Millau, Ecole Buissonnière, Journal de Millau, 30 octobre 1954).
Comme dit plus haut, ce terme d’école buissonnière a quelque peu disparu. Maintenant, les élèves qui font preuve d’absentéisme font « péter les cours », voire « péter » tout cours.
Jacques Bruyère (1945-2017) définissait l’école buissonnière comme suit : « Vagabonder au lieu de se rendre en classe, jouer plutôt que d’aller à l’école. Manquer… Certains adultes utilisent encore l’expression pour signifier qu’ils ne vont pas travailler. Les élèves ont toujours fait l’école buissonnière ? Ce sont les maîtres qui ont commencé ! Rappel historique : « L’école buissonnière est l’école clandestine tenue en plein champ au Moyen Age. Ecole buissonnière ou furtive. Pour se soustraire à la redevance qu’exigeait le chanoine chargé de l’enseignement (l’écolâtre), certains maîtres d’école tinrent leur classe dans des lieux écartés, les champs, les buissons. Plus tard, au XVIe siècle, ce nom fut appliqué aux écoles huguenotes établies sans l’autorisation de l’évêque. Avant les édits de pacification, il en existait beaucoup dans les Cévennes, le Béarn, le Poitou. Les parlements les frappaient durement. Les écoles buissonnières reparurent de 1790 à 1795 ; c’étaient, cette fois, des prêtres et des religieuses insermentés qui les avaient ouvertes et les tenaient. » ( Nature et Patrimoine, Midi Libre, 2 septembre 2007).
Merci Monsieur le Professeur.
Marc Parguel