Le pont de La Cresse permet à la route départementale 512 de franchir la rivière du Tarn. Construit de 1879 à 1880, c’est un ouvrage métallique dont la portée s’élève à 61,35 mètres. Voici son histoire.
[dropcap]J[/dropcap]usqu’au milieu du XIXe siècle, seuls les bacs permettaient de passer l’eau à Paulhe, à la Cresse, à la Muse. Il n’y avait qu’à Rivière sur Tarn, que l’on trouvait un pont déjà considéré en ruine en 1852 :
« Le 16 juillet, un propriétaire de la Cresse, nommé Sahuc Jean, âgé de soixante ans, était victime d’un accident bien déplorable. Il revenait de Boyne, vers dix heures du soir, conduisant une charrette attelée d’un mulet, sur laquelle il était monté avec sa belle-fille et un enfant de cette dernière. Un orage ayant, quelques jours auparavant, emporté le pont de Rivière et intercepté la route, Sahuc, en arrivant dans ce village, prit un chemin de traverse. Au moment où il passait dans une rue étroite, l’une des roues monta sur une grosse pierre, qui fit verser la charrette. Il tomba entre les jambes du mulet, qui lui lança de violents coups de pied. Le pauvre vieillard fut relevé dans un état affreux, et expira quelques minutes après. La jeune femme et l’enfant n’ont reçu aucun mal. » (Echo Dourbie, 24 juillet 1852).
La traversée de la rivière était de tout temps risquée et nombreux étaient les accidents relatés dans la presse locale de l’époque, ainsi on pouvait lire en novembre 1849 : « Le 16 du courant, vers six heures et demie du soir, le nommé Paul Cauquil, âgé de 47 ans, menuisier à Millau, a péri victime d’un bien triste accident, près du village de la Cresse. Il venait d’entrer dans le bac sur lequel on traverse le tarn en cet endroit. Pendant qu’il payait au batelier le prix du passage survinrent d’autres personnes conduisant un mulet ; au même instant, on ne sait pour quelle cause, Cauquil perdit l’équilibre et tomba dans l’eau. L’obscurité de la nuit ne permit pas de lui porter secours, et ce malheureux disparut, après avoir lutté quelque temps contre le courant qui l’entrainait. Le cadavre n’a été trouvé que le lendemain » (L’écho de la Dourbie, samedi 24 novembre 1849).
Voici un autre accident relaté parmi tant d’autres en 1857 : « Un bien triste évènement est arrivé le 25 novembre, près de Boyne, commune de Rivière. Les nommés Jean Sahuc, de la Cresse, et Louis Biau, de Pinet, revenaient, vers midi, de Boyne. Les pluies ayant fait déborder le Tarn et rendu impossible le passage du bac de la Cresse, ils voulurent traverser la rivière au- dessus de la chaussée du moulin de la Galinière, et montèrent dans un bateau conduit par deux habitants de Boyne. Au moment d’arriver sur la rive gauche, l’embarcation fut entraînée par la rapidité du courant vers la chaussée et la franchit. L’un des bateliers, à la vue du danger, s’était jeté dans l’eau et avait gagné le bord à la nage ; l’autre, lancé par le choc vers la rive, put saisir un osier et se sauver. Quant aux malheureux Sahuc et Biau, ils parvinrent à s’accrocher au bateau qui s’était renversé dans sa chute ; mais, bientôt vaincus par la violence du courant, ils disparurent, sans qu’il fût possible à leurs compagnons de leur porter secours. On n’a découvert jusqu’à ce jour qu’un seul cadavre, celui de Sahuc : il a été trouvé, le 2 du courant, sur la rive droite du Tarn, au-dessous de Vignals, à un kilomètre et demi de Rivière. » (Echo de la Dourbie, 5 décembre 1857).
Le droit de passage qui appartenait à l’Etat s’adjugeait périodiquement à la Préfecture de Rodez, ainsi le 5 novembre 1859 devait-on bailler pour 6 ans les bacs de Lumenson (en face de Paulhe) et de la Cresse (annonce Echo 1859).
Mais, dès l’année suivante, fut entreprise la construction d’un premier pont de La Cresse : l’enquête préalable était ordonnée par arrêté préfectoral en date du 18 mai 1860. Etaient nommés commissaires MM.De Bonald, propriétaire au Monna, Villa banquier à Millau, conseillers généraux, Julien propriétaire à Rivière, conseiller d’arrondissement, Combes, juge de paix de Peyreleau et Louis Bion (de Marlavagne) propriétaire à Millau (Archive de Millau, 4 D 70). L’ouvrage, exécuté sans doute dans les deux années suivantes, n’eut qu’une existence éphémère : le Tarn le jetait à bas lors de la crue de septembre 1866. Et un an plus tard, on pouvait lire par voie de presse : « Nous apprenons que M. le ministre de l’Intérieur vient de mettre à la disposition de M.le Préfet une somme de 87 000 francs pour concourir à la réparation des dégâts causés par les inondations aux chemins vicinaux du département. Cette subvention sera, dit-on, employée en partie à aider les communes intéressées à restaurer les ouvrages d’art qui ont été emportés ou fortement endommagées par les crues d’eau. De ce nombre seraient les ponts de la Cresse et du Navech sur le Tarn. » (Revue religieuse du diocèse de Rodez, 8 mars 1867).
Une arche qui avait résisté fut emportée à son tour, fin octobre 1868 (Echo de la Dourbie, 31 octobre 1868).
Reconstruit rapidement, le pont se composait de trois arches en plein cintre de 18 mètres d’ouverture. Il devint comme celui du Rozier, un pont à péage. La crue du 13 septembre 1875 qui fut une des plus mémorables, car la plus importante du XIXe siècle emporta en partie trois grands ponts : le pont du Rozier, le pont de la Cresse, le pont de Navech ou de Broquiès.
Tous ces ponts étaient à péage, comme devait l’être celui qui était projeté entre Aguessac et Paulhe au début de 1869 (Echo du 2 janvier 1869). La guerre de 1870 retarda sans doute cette dernière construction, qui eut lieu en 1879, comme celle du pont actuel de la Cresse, les deux ouvrages étant du même type. Revenons-en à nos ponts mutilés. Le gouvernement estima que la reconstruction ou la réparation de ces ouvrages devait incomber aux concessionnaires, mais il promit une subvention en rapport avec les sacrifices faits par les particuliers et le département.
Pour le pont de la Cresse, le montant des dépenses s’éleva à 45 000 francs, l’Etat lui versa 13 500 francs, le conseil général vota un crédit de 6000 francs, et à la charge du concessionnaire fut de 25 000 francs. Comme les trois arches de 18 mètres d’ouverture avaient été emportées, la commune commença à se lasser, elle qui avait construit deux fois ce pont et avait ainsi dépensé plus de 70 000 francs, sans compter les subventions de l’Etat et du Département. En 1876, elle supportait encore une imposition extraordinaire au principal des contributions.
Un projet de pont en pierre de deux arches en arc de cercle de 30 m fut alors établi, mais on retint finalement le projet du pont métallique actuel. Il fut construit en 1879, terminé en août 1880 et sa portée fut de 61,35 mètres. Les poutres en fer du pont furent fabriquées aux aciéries de Decazeville en 1879.
Une plaque a l’entrée du pont le rappelle. Augustin Paloc, curé de la Cresse de 1880 à 1910, écrit dans le Livre de Paroisse : « En peu de temps deux ponts avaient été emportés. On bénit le nouveau métallique le 15 août 1880, avec procession (statue Notre-Dame-de-Lourdes) ».
Rénovation
Le pont n’avait pas été repeint depuis 1968 et la rouille avait envahi 40% de l’ouvrage. De septembre 2013 à janvier 2014, le conseil général de l’Aveyron a investi 750 000 euros dans des travaux, qui seront suivis au printemps par une rénovation sur le Pont en fer de Paulhe. La vieille peinture a été décapée puis remplacée par une nouvelle protection anticorrosive respectant les normes environnementales d’aujourd’hui.
Au-delà de sa fonction routière, le pont est aussi utilisé comme lieu d’exercices de secours pour les sapeurs-pompiers (Midi Libre, 9 février 2008).
Le 7 et 8 février 2018, d’autres travaux consistant à changer les coins de traverse abîmés par le passage des camions trop volumineux ont eu lieu et le pont est désormais en parfait état pour le plus grand bonheur de tous les usagers.
Marc Parguel