Causses et vallées

Le volcan de Tournemire

A 2,5 km de Roquefort, dans la vallée du Soulzon, le village de Tournemire, situé à 498 mètres d’altitude s’étire tranquillement, à l’abri des corniches du Larzac. Ce village qui, grâce à l’arrivée du chemin de fer en 1874 et l’essor de l’industrie du fromage de Roquefort atteignit plus de 1.000 habitants, possède de vastes étendus de « terres noires ». Ces Terres Noires sont riches en fossiles de l’ère secondaire.

En 1986, la découverte par un jeune du village d’un Plésiosaure fut l’objet de rencontres scientifiques. Les restes de cet animal datant de 180 millions d’années et mesurant 3,5 mètres de long peuvent être observés au musée de Millau, une reproduction est présente à la mairie de Tournemire. Mais ces « terres noires » aux abords de Tournemire firent la une de la presse locale et même nationale à partir du mois de mai 1925, date à laquelle ces terrains marneux se mirent à fumer, on parla alors du Volcan de Tournemire. Voici comment cette manifestation terrestre fut présentée dans le Journal de l’Aveyron :

« Une nouvelle montagne qui brûle. Depuis quelques mois, on constate aux environs de Tournemire, un phénomène étrange. A 1500 mètres au sud de la gare et à 150 mètres de la voie du chemin de fer, au pied du contrefort du Larzac, dans le ravin dit du Gang Nègre, sur une surface d’environ huit mètres, le sol brûle et, par moments, il se dégage de la fumée. Les roches marneuses qui se trouvent dans cette faille sont calcinées et tombent formant un éboulis ; un arbre campé, au-dessus de ce point, ayant son tronc brûlé, s’est abattu dans le ravin, ces jours derniers. De nombreux curieux sont allés se rendre compte de ce phénomène ; on a même essayé de donner quelques coups de pioche ; mais impossible de travailler longtemps, la terre étant brûlante.
Ce phénomène n’est pas nouveau pour nous, aveyronnais, qui avons plusieurs montagnes brûlantes dans le bassin houiller d’Aubin ; mais, ce qu’il y a de particulier dans le cas qui nous occupe, c’est que le feu n’a apparu, sur ce point, à la surface du sol, que depuis quelques semaines. Avis aux personnes que cela pourrait intéresser. » (Journal de l’Aveyron, 24 mai 1925).

Près de la montagne qui fume.

Ce phénomène attira curieux et touristes, qui vinrent comme en pèlerinage voir cette montagne brûler, et qui allait peut-être devenir pour eux une nouvelle richesse économique. On disait même que le sol pouvait détenir du pétrole, on remua la terre brûlante… mais en vain.

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Cependant, le mystère restait entier sur ces fumées qui ne s’étaient manifestées que depuis le mois d’avril 1925, et dont personne n’avait remarqué l’existence auparavant. Aussi, chercheurs et scientifiques allèrent sur les lieux très rapidement et voici leurs premières impressions :

« Le volcan de Tournemire. Intrigués à juste titre par divers articles parus ces temps derniers, nous avons tenu à honneur de nous renseigner par nous-mêmes sur une question qui paraissait être du plus haut intérêt. Nous sommes allés voir le prétendu volcan de Tournemire… Le chemin du Volcan n’est pas difficile à trouver : d’autres curieux nous ont précédés. Nous montons vers le cirque en suivant la route capricieuse qui va de Tournemire au Viala-du-Pas-de-Jaux. Après 1500 mètres, voici un tournant. Quelques autos ont stoppé. Des groupes de promeneurs descendent les pentes d’un ravin, d’autres remontent. Evidemment, c’est là. En quelques enjambées nous arrivons au fond de ce torrent presque à sec qui a nom Gang Nègre. A un endroit, une différence de niveau doit produire, en temps d’orage, une romantique cascatelle. Des chênes, des hêtres, des érables, enlacés par de longues lianes, forment un assez joli bouquet de verdure qui cache la nudité des roches calcaires ou schisteux. Mais de volcan, point. Si ; en regardant bien au pied de la roche, parmi les éboulis, sort un peu de fumée d’une odeur de suie, comme celle qui se dégage des fours incinérateurs près des dépotoirs des casernes. Aucune odeur de soufre, aucune odeur de pétrole. Sans être compétent en la matière, on peut affirmer qu’il n’y a rien, là, qui puisse troubler la tranquillité des Tournemirois ou faire naître de grands espoirs au cœur de ceux qui cherchent la fortune dans le sein de la terre. D’ailleurs la science ne reste pas inactive à l’endroit de cette fumée géologique et nous espérons publier sous peu le résultat d’une étude très sérieuse à laquelle se livre en ce moment un vrai géologue. » (Le messager Saint-Affricain repris dans le Journal de l’Aveyron, 7 juin 1925).

L’avenue de Roquefort et l’hôtel café de la gare.

Pour clarifier la chose et faire taire les rumeurs, de nombreux examens furent entrepris, mais la plupart étaient fantaisistes, on fit appel alors à un ingénieur attitré des mines de Gages afin de fournir une explication sur ces terrains marneux qui fumaient sans s’arrêter depuis deux mois. Voici le rapport qu’il envoya à l’abbé Teissier qui l’avait dépêché :

« Le nouvel examen que j’ai fait du phénomène signalé par vous m’a conduit à cette conclusion que les gaz chauds observés proviennent de la combustion des débris de la roche pyriteuse et charbonneuse, éboulés et accumulés sur la berge droite du ravin. Le commencement de la réaction a été déterminé en un point où se trouvaient réunies des conditions particulièrement favorables de température, d’humidité, de circulation d’air, de concentration de la matière pyriteuse et charbonneuse. Elle s’est ensuite étendue à toute la masse, ainsi qu’on peut le constater en creusant des trous qui, à très faible distance de la surface, montrent des matières complètement dépouillées de toute trace charbonneuse. Ce phénomène est fréquent dans les déblais de mines de houille qui, une fois la combustion commencée, brûlent complètement même dans leurs parties très peu charbonneuses. Vous avez eu, peut-être l’occasion d’observer ce fait à Firmi, où vous étiez dernièrement. Je n’ai rien vu qui me permette de rattacher à un phénomène géologique, la manifestation qui nous occupe et, en ce qui me concerne, je m’en tiens à cette interprétation. Elle ne devait pas être admise à la légère et on conçoit que l’on ait été d’abord porté à l’attribuer à une autre cause, étant donné que la roche paraît peu inflammable. Il a fallu des conditions exceptionnellement favorables pour déterminer la combustion ». (Journal de l’Aveyron, 28 juin 1925).

En haut de Tournemire. © Françoise Tichit

Les choses en restèrent là, et les fumées géologiques ne firent plus parler d’elles. Pour autant, on n’abandonna pas la recherche de pétrole dans le secteur puisqu’on essaya de forer la terre mais en désespoir de cause. Ces recherches pétrolifères devaient être à la mode, car on essaya un an plus tard, près de Saint-Rome-de-Cernon, à Nouzet, de procéder à des sondages, après avoir remarqué que « d’une petite source naissant dans une prairie en bordure de la route jaillissait une eau légèrement huileuse » (Journal de l’Aveyron, 16 mai 1926). C’est la société Mareschal, de Venissieux, qui, après une étude des couches géologiques fouilla le sol, à l’aide d’ingénieurs, à la recherche d’une nappe importante d’huile minérale. Là aussi, les espoirs furent vite déçus.

Marc Parguel

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