Patrimoine millavois

Patrimoine millavois : L’église du Sacré Cœur (1875 – 1890) (1/2)

En 1875, Millau ne possédait que deux paroisses, celle de Notre Dame de l’Espinasse et Saint François. Deux paroisses pour une ville en constante évolution, c’était vraiment trop peu.

Aussi, Mgr Bourret décida de modifier les structures paroissiales de Millau. Il créa donc deux nouvelles paroisses, leur donnant comme nom : Saint Martin et le Sacré Cœur.

Pour le Sacré Cœur, ce fut l’abbé Joseph Rouquette, alors vicaire à Notre Dame de l’Espinasse, qui reçut le lourd mandat à la fois de fonder la paroisse, mais aussi de bâtir son lieu de culte.

La paroisse créée, et avant de commencer des travaux, Mgr Bourret acheta pour 23 500 francs, un vieux théâtre privé, le seul de la ville, sis sur « l’Esplanade » (place de la Capelle) qui une fois transformé en chapelle, servira de lieu de culte temporaire dans l’attente de bâtir une grande église.

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Cette chapelle provisoire en l’honneur du Sacré Cœur de Jésus ouvra ses portes le 1er mars 1875.

La chapelle provisoire était située à l’emplacement du Foyer Capelle. Dessin de Cyprien Vaissac (1879), extrait de l’Atlas diocésain.

A partir de ce moment, l’obsession première du curé et de l’évêque fut de trouver un terrain assez spacieux pour construire une église digne de ce nom. Leur choix commun s’arrêta sur un vaste jardin potager que possédait, derrière la Tine, Maître Dieudonné Lubac, avoué.

Le 27 novembre 1875, l’abbé Rouquette signa une promesse de vente à raison de 31 000 francs pour l’achat de cet espace. Mais il fallut trouver des financements et ce n’était pas chose aisée. Ce n’est que le 1er novembre 1879, que le terrain destiné à l’église fut finalement payé devant notaire Me Monestier, l’évêque ayant négocié avec le vendeur, 26 000 francs et pour les 5000 francs restants, il inscrivit la famille Lubac comme bienfaitrice de l’église.

Le plan de la discorde

Mgr Bourret (1827-1896), Evêque de Rodez, futur cardinal.

Evêque et curés étant tous les deux un caractère têtu, quand on dû décider de faire le plan de l’église, le curé Rouquette la voulait avec une seule nef, aux formes modestes et aux proportions réduites tandis que Mgr Bourret, voulait du clinquant, du grandiose : « une église à trois nefs ». S’ensuivent des échanges épistolaires assez musclés de part et d’autre.

Excédé, Mgr Bourret écrit à Joseph Rouquette le 5 juillet 1877 : « Nous ne pouvons pas, mon cher ami, adopter le plan que vous proposez et faire tout simplement une grande chapelle sur le calque de Notre Dame… Il faut que l’église du Sacré-Cœur, sans dépasser les limites des ressources que l’on peut avoir, ait un cachet architectural ; il faut une église à trois nefs, avec deux tours ou clochers, une belle chapelle de la Sainte Vierge au chevet, et deux autres chapelles latérales… Nous ferons cela pour cent trente, cent quarante mille francs, et nous nous mettrons à l’œuvre aussitôt que vous justifierez des cent premiers mille francs souscrits. Voilà des choses claires et nettes ; dites-le à vos paroissiens ».

L’abbé Joseph Rouquette (1818-1892)

Et puis ce fut le silence, ce qui provoqua la colère du curé Rouquette. Ainsi écrit-il à l’Evêque : « J’ai fait faire un plan d’église (par M. Grinda) que vous avez rejeté et nous attendons depuis six mois celui que vous nous avez promis ; sans plan arrêté et approuvé, nous ne pouvons rien faire… Je ne dois pas laisser ignorer à Votre grandeur que tous mes notables paroissiens n’accepteront pas une église à bas-côtés ; ils préfèrent une église à une seule nef, Saint François les a dégoûtés des églises à colonnes » (Lettre du 29 avril 1878).

Sept années passèrent, et c’était toujours l’impasse. L’évêque, suivant son idée première, s’adressa alors à l’architecte Pons qui dressa un plan qui fut définitivement arrêté, consacrant l’église à grande nef avec collatéraux à colonnes. Mgr Bourret fit savoir catégoriquement au curé que sa volonté expresse était que l’église se bâtit sans plus de retard et qu’elle se fit sur le plan qui, sur son ordre, avait été confié à M.Pons.

Epuisé, l’abbé Rouquette, las de onze années d’échanges vifs démissionna aux premiers jours de l’année 1886 et se retira tout près de sa future église au numéro 10 de la rue du sacré cœur dans la maison qu’il avait fait bâtir.

Nouveau curé et début des travaux

Mgr Bourret nomma l’abbé Théophile Massabuau, âgé de 44 ans, pour succéder au curé Rouquette, le 29 janvier 1886. Son installation eut lieu le dimanche 7 février 1886 dans l’église provisoire, place de la Capelle. Il lira en chaire cette lettre que lui avait envoyé Mgr Bourret : « Je donne le terrain que j’ai acquis au prix d’environ 30 000 francs, la valeur de l’église actuelle qui coûté 23500 francs. J’y ajoute une souscription, comme évêque de Rodez, a être payée par moi en cette qualité ou par mes successeurs de 50 000 francs. Vous voyez, cher ami, que si vous trouvez quelques souscripteurs comme moi le succès de votre œuvre ne sera pas douteux. Le plan de la nouvelle église est fait en partie. Ce sera une basilique archaïque dans le goût des basiliques romaines avec colonnes et mosaïques, d’un aspect qui, je l’espère, sera à la fois riche et religieux ».

Le curé Théophile Massabuau (1841-1895)

Le 24 février 1886, l’abbé Rouquette remettait entre les mains de son successeur papiers, titres et souscriptions qu’il détenait. Au total, en arrivant au Sacré Cœur, l’abbé Massabuau recevait ainsi 36 100 francs auxquels il fallait ajouter le prix de l’emplacement de l’église future payé par Mgr Bourret et la valeur de l’église provisoire que la municipalité de Millau semblait décidée à racheter pour 25 000 francs, avec de plus une promesse écrite de 50 000 francs.

Un architecte de 40 ans à peine, un curé de 44 ans, le projet avait tout pour être mené à bon train. En effet, la Revue Religieuse de Rodez du 19 novembre 1886 mentionne : « Avis aux entrepreneurs ! Construction d’une église au Sacré-Cœur de Millau. Le public est prévenu que le 28 novembre 1886, à deux heures de l’après-midi, il sera procédé dans une salle du presbytère du Sacré Cœur, à l’adjudication des travaux de construction du Sacré Cœur de Millau : le montant des travaux à exécuter est de 200 000 francs environ ; cautionnement valeurs immobilières ou immeubles : 10 000 francs. Les entrepreneurs qui désireront se rendre adjudicataires sont invités à prendre connaissance des plans, devis, cahiers des charges, conditions particulières et série des prix, à Rodez, chez M.Pons, architecte du département, chargé de la direction des travaux. »

Quatre entrepreneurs répondirent à l’appel. C’est Emile Fages de Montpellier qui fut nommé adjudicataire. Les travaux commencèrent dans la première quinzaine de février 1887, mais se poursuivirent avec une exemplaire activité.

Les dépenses pour la maçonnerie seule, sans y comprendre les clochers, étaient évaluées à 210 000 francs.

Le curé Massabuau lança alors une souscription à grande échelle, voyez plutôt : « Aux fidèles les plus aisés, il proposait d’acheter, ou une chapelle en versant 5 000 francs, ou l’une des grandes colonnes aux prix de 1200 ou 1300 francs, ou un des piliers du sanctuaire moyennant 2000 francs. A ceux qui l’étaient moins ; il offrit le titre de bienfaiteur de l’église s’ils donnaient au moins 500 francs, ou d’une chapelle s’ils en donnaient au moins 50 francs. A ceux qui ne promettaient que 5 francs et au-dessus, il promettait de faire graver leur nom sur l’une des pierres du transept ou de l’inscrire sur un Livre d’Or qui lui coûta 105 francs chez Engel à Paris. Enfin, à ceux qui donneraient moins de 5 francs, il devait envoyer une image préalablement déposée dans la châsse de la B. Marguerite Marie et un morceau d’étoffe qui aurait touché auparavant à l’un de ses ossements vénérés. » (D’après Georges Girard, l’église votive du Sacré Cœur de Millau, 1992).

Durant les premiers mois de l’année 1887, il visita en personne tous ses paroissiens, sollicitant l’obole du pauvre comme l’offrande du riche et il faut dire que toutes les portes s’ouvrirent bienveillamment devant lui. Le curé lui-même donna 6000 francs.

De la pose de la première pierre à l’achèvement des travaux extérieurs (1887-1890)

Par une note parue dans la Revue religieuse du 8 avril 1887, le curé Massabuau annonçait enfin : « la pose de la première pierre angulaire, dont les fondements sont hors de sa terre sera faite le lundi de Pâques, à trois heures de l’après-midi, par Mgr l’Eveque de Rodez. »

Et le 11 avril 1887, lundi de Pâques, une longue procession parcourut, partant de l’église provisoire de la Capelle, les principaux boulevards de la ville.

L’emplacement du nouveau sanctuaire et les maisons avoisinantes étaient pavoisés de drapeaux aux couleurs papales.

Le 18 avril 1887, la commune de Millau achetait ferme la chapelle de secours de la Capelle à Mgr Bourret pour 25 000 francs.

De 1887 à septembre 1889 s’élevèrent les bas-côtés de la nouvelle église, les sacristies, les chapelles latérales, le chevet et les transepts sur une hauteur de vingt mètres.
A l’intérieur, les douze colonnes monolithes en marbre jaune de l’Echaillon, avec leurs chapiteaux, et qui soutiennent la grande voûte, étaient en place pour la recevoir ; les arceaux qui s’y arc-bouteront sont en place.

Le Journal de l’Aveyron du 29 janvier 1889 nous apprend que « Des écriteaux ont été placés sur les chapelles, colonnes et piliers de l’église en construction, portant les noms des donateurs. »

Ce même journal en date du 12 novembre 1889, nous informe que « Les travaux de l’église du Sacré-Cœur de Millau sont poussés activement. A la fin de cette semaine, les grandes fenêtres de la façade seront cintrées. Tout nous porte à croire que si le beau temps persiste, au 31 décembre l’édifice sera prêt pour recevoir la charpente dont l’adjudication va être soumise aux entrepreneurs. Dans 15 ou 18 mois, l’église du Sacré Cœur pourra être livrée au culte, sauf retard imprévu. »

Enfin dans son édition du 3 septembre 1889 le Journal de l’Aveyron nous indique que : « C’est sur la façade que se sont maintenant portés les ouvriers. Le magnifique porche, soutenu par deux colonnes en marbre de Norwège, est fort avancé ; d’ici eu, la maçonnerie atteindra sur ce point la même hauteur que les transepts.
Pour l’année prochaine, il ne restera à faire que la voûte de la nef, la coupole du chœur et les deux clochers ou campaniles flanqués aux côtés latéraux du porche.
La largeur totale de l’église est, dans œuvre, de 17 mètres 20 ; celle de la grande nef est de 8 mètres. La longueur totale est, dans œuvre, de 53 mètres. La hauteur de la voûte principale est de 16 mètres. »

Sur la gauche de Notre Dame, au fond, l’église du Sacré Cœur en construction (fin 1889).

25000 francs de souscription supplémentaires sont remis par les Millavois à M. Gely archiacre de Vabres, et en mai 1890, les murs de la grande nef avaient atteint leur point culminant, les croisées jumelles étaient cintrées et la maçonnerie s’élevait au-dessus jusqu’à l’entablement.

Le journal de l’Aveyron nous apprend : « Avant la fin de l’été, toute la maçonnerie extérieure, en ne tenant pas compte des deux campaniles, sera complètement terminée. Des charpentes sont en préparation dans les ateliers de M. Gabriel ; M. le curé va livrer prochainement les vitraux à l’adjudication ; les orgues ont été commandées à M.Merklin, le facteur bien connu, qui se trouvait dernièrement à Millau pour traiter cette affaire. » (Journal de l’Aveyron, 15 mai 1890)

Un chantier bien avancé en 1890.

En juillet 1890, la façade de l’église était achevée et la croix byzantine plantée à vingt-cinq mètres du sol.

Le mois de septembre fut marqué par un premier pèlerinage paroissial : « Le 1er septembre sera une date mémorable pour notre sanctuaire, brillamment illuminé à l’occasion de l’arrivée d’un pèlerinage annoncé quelques jours avant. A 7 heures du matin, plus de cinquante pèlerins de Dourbie (Gard) y faisaient leur entrée solennelle, ayant à leur tête leur sympathique et intelligent curé (M. Jeanjean)… Nous avons admiré la bonne exécution des chants en l’honneur du Sacré-Cœur, la piété des pèlerins, mais surtout l’affection que de ce bon pasteur pour son peuple et l’influence qu’il exerce sur lui. Avant de se retirer, tous les pèlerins voulurent inscrire leur nom sur le registre des consécrations, qui rappelleront toujours que Dourbie (Gard) eut l’honneur, en 1890, d’ouvrir l’ère des pèlerinages paroissiaux au Sacré-Cœur de Millau et visiter en détail la basilique votive en construction, dont ils admirèrent les vastes proportions et la belle architecture. » (Le Moniteur de l’Aveyron, 10 septembre 1890).

Le 18 décembre 1890 se terminait la pose de la charpente, en partie revêtue d’ardoises, ainsi que la belle coupole suspendue à vingt-sept mètres au-dessus du sol. Les travaux extérieurs étaient à présent achevés.

A suivre…

Marc Parguel

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