Causses et vallées
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Au col de la Serreyrède

En ce début d’automne, prenons de la hauteur en allant vers les contreforts méridionaux du Mont Aigoual dans le massif des Cévennes entre l’Espérou et Camprieu.

Que ce soit par la route départementale 269, par la RD 986 ou encore par les nombreux sentiers de randonnée, on atteint facilement la maison de la Serreyrède (que l’on écrit aussi Céreirède) à 1299 mètres d’altitude au col incontournable du même nom.

« Porte d’entrée » sur le Massif de l’Aigoual, dont l’observatoire est distant de 7 kilomètres, celle-ci rebaptisée depuis « Maison de l’Aigoual » qui abrite l’Office du Tourisme, les bureaux du Parc Naturel Régional des Cévennes et un magasin de produits régionaux » est idéalement placée sur une étroite arête entre l’énorme cirque où se creuse la vallée de l’Hérault, à l’Est , que dominent au loin les serres cévenoles, et le vallon où naît le Bonheur, à l’Ouest : bien visible derrière la Maison.

La fontaine de la Serreyrède surmonté de son inscription latine (20 août 2023) (DR)

La Serreyrède citée dès 1150 sous le nom de « La Serareda » viendrait d’après Paul Fabre, d’un dérivé avec le double suffixe collectif – areda de l’occitan sèrra « crête de montagne, colline, bord de plateau, de coteau » (dictionnaire Alibert). Le nom est tombé ensuite dans l’attraction de l’occitan cereireda « cerisaie ». (Dictionnaire des noms de lieux des Cévennes, Edition Bonneton, 2000). Son orthographe de « col de Serreyrède » figure sur un plan de 1866).

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La grande draille ou chemin de transhumance passe par la Serreyrède (DR)

Les routes, chemins forestiers ou drailles se croisent en ce lieu qui fut de tout temps un passage.
E.-A. Martel dans les Causses Majeurs (1936) signale « onze routes et chemins se rejoignent au Col de la Serreyrède (1297-1306 mètres). La « crête de partage des eaux européennes » y mesure 13 mètres de largeur et emprunte le toit de la maison forestière. »

Les Guides Bleus, dans leur ouvrage concernant les Cévennes et Languedoc, détaillent le col de la Serreyrède comme suit en 1970 : « Il est traversé par la grande draille de l’Hérault, ou chemin de transhumance, suivi annuellement depuis des siècles au printemps et à l’automne, par près de 30 000 moutons se rendant du Languedoc vers les pâturages d’été des montagnes de l’Aubrac ».

La maison forestière

D’après l’ouvrage « Camprieu et ses environs » : « Une vieille auberge se trouvait là autrefois, et n’avait, dit-on, pas bonne réputation. Ce fut une espèce d’Auberge de Peyrebeille et l’on parlait, dit M. Chante, de voyageurs assassinés et d’un certain four macabre où l’on « crémait » les corps. Mais en 1861 , vint habiter là le forestier Couteau, homme vaillant, hospitalier, secourable qui, remplissant l’office des anciens chanoines, sauva de la mort de nombreux voyageurs égarés au cours des tourments du vent et de la neige. Il reçut en récompense de son dévouement la Croix de la Légion d’Honneur. Cette maison du col, fut « l’Auberge de l’Abîme » du captivant roman d’André Chamson. » (d’après le Général R. Finiels et Aimé Cazal).

L’ancienne auberge devenue maison forestière (en 1896) (DR)

En 1876, y habitait encore la famille Dupont fermier, et Couteau, garde forestier. En 1883, elle fut rachetée par les Eaux et forêts pour en faire une maison forestière. Ce fut d’ailleurs l’un des quartiers généraux du forestier Georges Fabre lors du reboisement de l’Aigoual.

C’est une belle construction dont on aperçoit le toit plat de la route montant de Valleraugue à l’Espérou.
Cet édifice depuis rebaptisé Maison de l’Aigoual avait la particularité d’avoir ses murs recouverts de lames de zinc ; son toit de tuiles vitrifiées écoule les eaux de pluie, d’un côté vers l’Océan, de l’autre vers la Méditerranée, car le col de la Serreyrède est traversé par la ligne de partage des eaux séparant les bassins versants de la Méditerranée et de l’Atlantique, ainsi qu’indiqué par ses panneaux.

La fontaine

Près de la maison, une fontaine salvatrice surmontée d’un distique latin « Hanc Gelidam fontem reserant tibi culmina montis, accipe gratus aquam nee nimis hume vafram » dont la traduction en français met le voyageur en garde contre la fraîcheur de l’eau : « Ces montagnes t’ont gardé cette onde voyageuse. Accepte-la et bois sans hâte en craignant sa fraîcheur extrême ».

L’ancien panneau s’étant abîmé en 2016, il fut remplacé par un nouveau avec une traduction moins poétique : « Les crêtes te réservent cette eau glacée. Recueille-la et bois lentement, en craignant sa fraîcheur extrême ». Plus curieuse est l’inscription récente jaune mentionnée sur la gauche de la fontaine : « eau non contrôlée ». Doit-on seulement y comprendre que cette eau ne rend pas malade celui qui a l’habitude de la boire ? Ce petit panneau visible depuis 2010 ne refroidira certainement pas les quelque 300 000 visiteurs qui passent ici chaque année, et dont les plus fidèles viennent du Vigan, de Ganges, de Sumène, muni de bouteilles, bidons et jerricanes, et ce depuis son aménagement.

En témoigne cette « colle » de vendangeurs de retour au pays qui fait halte pour apprécier cette eau pure et fraîche, sans toutefois oublier la bouteille de vin que semble tenir solidement l’homme sur la gauche.

Une colle de vendangeurs (DR)

Cette fontaine très populaire a été aménagée par les forestiers en 1902. Une plaque en pierre sur la bâtisse mentionne ce millésime. Même en période caniculaire, l’eau reste très fraîche, et son débit reste important, j’y ai relevé 8 litres/minute le 20 août 2023.

Le griffon crache son eau bien fraîche en toute saison (DR)

Une autre plaque mentionne l’altitude. Dès le début du XXe siècle, c’était le passage obligé pour se rendre à l’Aigoual. Comme le rappelle la revue Causses et Cévennes : « En 1901, 1320 touristes ont visité l’observatoire ; en 1902, 1510. Déjà des Villégiatures d’été commencent à se produire dans ce haut pays boisé ; déjà des constructions de plaisance, des auberges, ont été élevées au village de l’Esperou à 1250 m. d’altitude » (Les Cévennes station d’été, Bulletin du Club Cévenol, n°1, janvier-mars 1903). Deux monuments se dressent, en outre au col de la Serreyrède, de part et d’autre de la route : un obélisque rappelant que ce passage fut aménagé pour les piétons en 1887 ; en face un calvaire érigé en 1944 par les paroisses de l’Esperou et de Camprieu à la mémoire de leurs prisonniers et déportés.

Marc Parguel

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