Promenons nous cette semaine, près du village de Vessac (commune de Saint-André-de-Vézines) et longeons la route qui mène vers Lanuéjols. Nous y voyons sur notre droite, à 30 mètres de la D29 un menhir. Ce précieux monolithe, situé dans une plaine à 829 m. d’altitude, est communément appelé : la pierre plantée ou la peira levada. Certains la nomment « Quilha del Jaiant » (la quille du Géant). Cette dernière pourrait bien dater de 3000 ans, mais une datation précise en est très difficile. A la fin du XIXe siècle, les habitants de Saint-André croyaient que cette pierre avait été mise en cet endroit par les tribus gauloises, alors que l’on sait très bien que cette pierre a été dressée là en plein Néolitique. Un élève de Saint-André appuyé par son instituteur F. Doy, écrivait du haut de ses douze ans : « Nous avons parlé de cette grande pierre qui avait été plantée par les Gaulois » (Justin Bion, Promenade scolaire du 6 janvier 1890).
Grande, la pierre l’est assurément, géante même, elle mesure 3,90 m de hauteur, faisant d’elle la plus haute pierre dressée du Causse Noir, pour un poids estimé à 6,5 tonnes.
Les menhirs, des deux mots celtiques men « pierre », et hir « long », sont de longues pierres fixées en terre : « Stèles funéraires, limites de territoire, souvenir d’un évènement, hommages à la divinité ou au pouvoir, aspirations religieuses, les menhirs paraissent avoir été tout cela », dit Caro dans son Voyage chez les Celtes (1857). On remarque chez tous les anciens peuples des monuments de ce genre. Ces pierres, aux proportions parfois gigantesques, étaient généralement l’objet d’un culte idolâtrique. Les Phéniciens les adoraient comme un symbole du soleil, et la même pratique superstitieuse a été constatée chez les Gaulois.
Le menhir de Vessac est pour la première fois mentionné dans les mémoires de la Société des Lettres sous la plume de M. Valadier dans une étude intitulée « Les monuments celtiques de l’Aveyron » en date du 4 juin 1863, il dit en parlant de celui-ci qu’il mesure « 2 mètres et demi à 3 mètres d’élévation, se trouve sur le plateau du Causse Noir, près Millau, entre Saint-André-de-Vesines et le domaine de Sarraliès ». II est signalé à nouveau par Boisse mais sans aucune information complémentaire (Antiquités Celtiques, Mém. Soc. lettres tome X, pg 300, 1874). Louis Balsan s’y intéressa davantage et signala qu’il est « Situé a une trentaine de mètres à droite de la route (sens la Roujarie à Lanuéjols) au sud du village de Vessac. Monolithe de Calcaire ; hauteur au-dessus du sol 4 mètres ; penche vers le Nord-Ouest. » (Visite Balsan 7 novembre 1924).
La tradition orale veut qu’au XIXe siècle, le propriétaire du champ dans lequel se dressait le menhir décidât de le faire tomber, car il en avait assez de voir cette pierre fichée en plein milieu de son champ. Afin de faire tomber le monolithe, il prit une paire de bœufs qu’il accrocha avec une corde autour du menhir, mais rien n’y fit, la pierre ne bougea pas. Le propriétaire dut se résoudre à la laisser à sa place initiale.
Philippe Auguste Causse (1831-1907), dans sa légende intitulée « Le palet du géant », évoque un autre menhir qui se situerait sur la commune de Saint André de Vézines portant lui aussi le nom de « quille du Géant », voici la légende telle qui la racontait dans son manuscrit :
Le palet du Géant
« Sous Vessac, tout près de la route de Montjaux à Meyrueis, à proximité de l’ancien chemin dit Comi Ferrat, allant de Peyreleau au Vigan, presque dans le bas-fond du cirque, se trouve un grand menhir, appelé dans le pays Peyro Ficado (pierre plantée. On lui donne aussi le nom de quille du géant (quillo del geogon). Ce monolithe, incliné au nord, mesure hors de terre 3,85 m. de hauteur, et près de 1,90 m. de tour dans sa partie moyenne. C’est un bloc calcaire, qui a dû être porté là de deux ou trois cents mètres de distance. Que l’on se transporte maintenant au Midi, sur le domaine de Brunas distant de Vessac d’environ 8 kilomètres… Tout près des bâtiments d’exploitation se trouve un second menhir de moindres dimensions que celui de Vessac, il porte aussi le nom de quille du Géant. La légende raconte que Gargantua c’était le nom du géant, à ses moments perdus jouait au palet d’une de ces quilles à l’autre. Sa haute stature lui permettait de voir de Vessac le but de Brunas, et vice-versa. Car il est à remarquer qu’entre les deux buts se trouve la chaîne des Puys de Marlavagne élevée à 922 mètres, ce qui donne à ce point plus de 300 mètres d’élévation au-dessus des deux menhirs. La haute taille du géant n’a rien de surprenant pour qui connaît sa manière de boire. Lorsqu’il était altéré, par suite de sa passion au jeu du palet, il se rendait près de la Jonte. Là, posant un pied sur la crête du rocher de l’Arayré (Causse Méjean), et l’autre sur la cime du rocher de l’Aigle (Causse Noir), deux des plus grandes falaises de la Jonte, il tournait la tête en bas, et buvait à long trait dans la rivière qu’il mettait complètement à sec. Or, sur le déclin de l’âge, comme tout être humain ici-bas, Gargantua sentit ses forces l’abandonner. Un beau jour enfin fut celui de sa dernière partie. De la quille de Vessac, il lança son palet qui ne parvint qu’à 400 mètres. Les forces du géant l’avaient quitté ; la vie ne tarda pas à faire de même. Il fut enterré au sommet du Puy de Cabrié, ou l’on voit encore son tombeau, qui porte le nome de Tombeau du Géant (Toumbo del Geogon). Ce tombeau n’est autre qu’un dolmen ; il a été fouillé et refouillé par divers qui n’y trouvèrent que des dents et des ossements n’ayant rien de gigantesque. Quant au célèbre palet, on le voit encore au milieu du chemin de Marlavagne à Vessac, au terroir appelé Treize-vues, en patois du pays Tréché Bistos. C’est un énorme quartier de pierre calcaire, plat, incliné du côté de Brunas, et pesant certainement plus d’une tonne. Il était digne du bras destiné à le lancer et du but à atteindre. » (Légendes du Causse Noir, Journal de Millau, 21 octobre 1962)
Le menhir près du domaine de Brunas dont parle Auguste Causse dans sa chronique n’en est pas un, Albert Carrière au début des années 1950 écrivait : « Citons enfin le menhir bien connu de Vessac, à trois kilomètres au nord de Marlavagne. Un second signalé près de la ferme de Brunas, après vérification, ce menhir était un monolithe naturel » (Par Monts et par vaux, Au pays de Bion Marlavagne, Midi Libre, 3 mai 1953).
Si les dolmens sont nombreux en Aveyron, on dénombre beaucoup moins de menhirs. Il faut dire que plusieurs prescriptions formulées par divers conciles ont eu pour but de faire disparaître, du sein de nos populations devenues chrétiennes, le culte idolâtrique qu’elles persistaient à rendre, après leur conversion, aux menhirs et à leurs autres fausses divinités.
Ainsi le concile d’Arles, tenu en 452, s’exprime en ces termes dans son canon vingt-troisième : « Si, dans le territoire de quelque évêque, les infidèles allument des flambeaux ou révèrent des arbres, des fontaines ou des pierres, l’évêque qui néglige d’abolir cette pratique commet un sacrilège, et si le maître ou celui qui la provoque ne se corrige, il sera soumis à l’excommunication ». En 567, le concile de Tours ordonne aux pasteurs de chasser de l’Eglise ceux qui célèbrent la fête appelée Terminalia et établie pour rendre un culte aux termes ou bornes des champs. Il prononce la même peine contre tous ceux qui honorent des pierres, des arbres ou des fontaines » (Dom Cellier, tome XI, page 890). Il ne faut donc pas s’étonner qu’on ne rencontre pas beaucoup de menhirs. (Revue Historique du Rouergue, n°3, 15 mars 1914).
Marc Parguel