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Les fresques de Nicolaï Greschny à Saint-Victor-et-Melvieu

À la mémoire de Francis Bec (1954-2021)…

L’église de Saint-Victor de Melvieu, située à 11 km au nord-ouest de Saint-Affrique, est l’ancienne chapelle castrale de la famille de Gozon. Elle est surnommée à juste titre « la chapelle Sixtine Rouergate », car une fois la porte d’entrée ouverte, vous vous trouverez face à un trésor : 25 fresques de Nicolaï Grechny, d’influences byzantines recouvrant la totalité de l’édifice.

À notre époque, où le visuel se rapporte davantage aux images qu’aux statues, de celles qui saturent en tous lieux nos regards et font écran à notre vision du monde, celles peintes par Nicolaï Greshny recouvrent en totalité l’édifice. Le long des voûtes, de l’ombre vers la lumière, défilent les temps forts de l’histoire sainte, ils recouvrent les murs pour offrir aux visiteurs le fruit de cette histoire et les conduire, à son aboutissement : la rencontre de l’humain et du divin.

L’église de Saint-Victor fait partie du groupe restreint des édifices totalement peints « à fresque » par les soins de Nicolaï Greschny. La dominante de gris qui se dégage de la chapelle rappelle les paysages des Raspes.

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Nicolaï Greschny, maître des icônes. © DR

Considéré comme l’un des plus grands peintres fresquistes, Nicolaï Greschny, est né le 2 septembre 1912, à Tallin (Estonie). Après un parcours de vie fait de rebondissements, entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, il arrive finalement en France en 1940, alors qu’il subit des persécutions. Il est d’abord interné en juillet 1940 dans un camp de Saint-Cyprien (Pyrénées – Orientales) duquel il parvient à s’échapper.

Il est ensuite caché pendant deux ans chez les jésuites de Toulouse, où il passe sa licence de théologie. Là, les livres saints furent pour lui, outre un soutien, des sources de joie et des inspirations les plus profondes. À l’abri, chez les jésuites, il put y peindre sa première fresque, paiement en nature de son séjour. De 1942 à 1944, il survit en se réfugiant dans de petits presbytères de la montagne Noire dans le Tarn. Tout en participant à la Résistance en tant que passeur, il commence à peindre des fresques dans les églises. Il lui faudra cependant attendre la libération et la fin de sa vie de maquisard pour entreprendre une succession de chantiers d’importances diverses. Au total, il peindra 107 fresques d’art byzantin, dont la majorité en Occitanie (75 en Midi-Pyrénées). Cela représente 10 000 mètres carrés de surface peinte !

S’installant à Albi dans le Tarn, le vicaire général Gilbert Assémat détecte son immense talent, l’encourage et lui ouvre ses paroisses. Il y réalise ses lumineuses créations dès 1949, mû par une frénésie artistique.

D’autant que l’artiste est frugal, demande peu d’argent. Il peint l’intérieur de l’église des treize pierres à Villefranche-de-Rouergue en 1952. Il peint également une fresque murale pour la mairie de Roquefort, commandée par la municipalité de l’époque, elle représente la légende de la naissance du célèbre fromage. Cette fresque remarquable est visible librement dans le hall de la mairie. Sa renommée grandissante, il est contacté par l’abbé Gallonier, en charge de l’église de Saint-Victor et Melvieu.

L’édifice religieux allait doucement vers la ruine. Le curé en accord avec le maire confie ce travail au maître des icônes. Celui-ci accepte le travail est en 1952 ordonne la restauration de l’église. Un an plus tard, lorsque les travaux sont finis, il commence les fresques. Six mois sont nécessaires pour recouvrir la totalité des murs. Chaque jour, Nicolaï Greschny peint entre 15 et 40 m2 de surface ! Au final, c’est le maçon qui met l’enduit, qui ne travaille pas assez suffisamment vite pour le peintre. C’est une œuvre remarquable avec beaucoup de tendresse.

Robert Aussibal aimait à se souvenir de cette période : « Quand en 1952, la paroisse et la commune de Saint Victor lui confièrent, comme la mairie de Roquefort, l’un la décoration de l’église, l’autre de la mairie, par cette dernière, nous fûmes mis en contact avec lui. Il avait comme l’on dit aujourd’hui une “dégaine” extraordinaire. Longiligne, portant un short et de gros brodequins, il flottait littéralement dans une grande cape, sous son béret basque. Avec son grand sac à dos, on devinait chez lui le routard, le poète, l’artiste itinérant du Moyen-âge. » (conférence du 20 mai 1990, Découverte du Rouergue n° 6, annales 1989-1990)

L’art mural au service de la religion

Plus que la chapelle des Treize Pierres, l’église paroissiale de Saint-Victor, mérite le titre de « chapelle sixtine » rouergate. Ici aussi, à un degré bien plus modeste tout le volume intérieur limité par les voûtes, murs, retombées d’arcatures, encadrements, est un espace saisissant, imprégné d’évocations destinées à orienter le chrétien vers la prière. De ce fait, on n’est jamais seul, tant les personnages accompagnent le fidèle, de leur présence sous le regard d’un immense Christ « pantocrator ».

Le Christ pantocrator. © DR

L’ambiance créée par la densité picturale n’est cependant pas oppressante, seule l’envie de « lire », de regarder les diverses et très nombreuses scènes, pourrait au contraire, faire oublier méditation ou prière.

© DR

Francis Bec, qui fut longtemps président bénévole de l’association l’Escapade des Raspes à Saint-Victor et qui nous a quitté l’an dernier pendant l’été expliquait que « l’artiste est le trait d’union entre les deux civilisations présentes : l’art oriental de la fresque et l’architecture occidentale de l’église, l’artiste s’est amusé avec des anachronismes et a fait côtoyer une représentation de Jésus aux côtés de portraits de véritables villageois présents lors de la réalisation de son œuvre. Les symboles y sont nombreux, c’est pourquoi une fresque ne se regarde pas, elle se lit. Tout à une signification, rien n’est laissé au hasard » (Midi Libre, 15 juillet 2014).

Attardons-nous sur un anachronisme en particulier, celui où Jésus côtoie des villageois présents au moment de la réalisation de son œuvre.

La fresque représente l’artiste Nicolaï (pinceau) entouré des autochtones, Jean Bavioul, le curé Galonnier promoteur du projet, M. Montrozier, Maire, Marcel Salson maçon (truelle à qui préparait les enduits), et Mme Calmes. La scène représente le miracle de la multiplication des pains.

La multiplication des pains. © DR

Un peu partout, il a pris pour modèles des gens du pays qui sont ainsi inclus, participant à des scènes bibliques actualisées et assez souvent secrètement humoristiques.

Robert Aussibal nous éclairait sur le sujet : « Par exemple, ses amis habitant le village, partageant, le soir venu, parties de cartes et bon vin sont représentés près de Moïse faisant jaillir la source, et buvant, les condamnant ainsi à boire pour longtemps… de l’eau. On peut reconnaître des visages d’autochtones dans la plupart des compositions scéniques et retrouver là le caractère, l’humour fin et amical de Nicolaï (à Roquefort [mairie], le fils du secrétaire de mairie d’alors posa pour le berger, par exemple) » (conférence du 20 mai 1990, Découverte du Rouergue n° 6, annales 1989-1990)

La Cène. © DR

Son œuvre dans le sud-Aveyron

Dans le hall de la Mairie à Roquefort. © DR

Le sud Aveyron possède sept lieux où reposent ses œuvres, Roquefort, nous l’avons vu, Saint-Victor, mais aussi Cannac, près de Durenque où Nicolaï Greschny a peint un mur entier de l’église Saint-Pierre. Y sont représentées la Transfiguration et une vierge de tendresse. Coupiac, vaut aussi le détour. Du sol au plafond, la chapelle où se trouvait le Saint-Voile, objet d’un pèlerinage est une ode à la gloire de Dieu.

En 1966, Nicolaï Greschny y consacra des mois. D’un geste sûr, le peintre a inscrit sur les murs des scènes de la vie du Christ : l’Annonciation, la Nativité avec trois bergers et rois mages, la vierge au pied de la croix, la vierge ailée et la vierge au voile. Celui dont la croyance dit qu’il guérit la maladie des yeux. À Millau également on peut voir l’œuvre de Nicolaï Greschny, dans la chapelle extérieure du monastère Sainte-Claire (Clarisses), Saint-François, Sainte-Claire et le Christ sont représentés par la main du fresquiste. À Rebourguil, dans la petite chapelle de Notre-Dame-de-la-Lauzière, on peut voir également des fresques peintes en 1968 à la demande du père Gratien Bernat.

Ces œuvres évoquent des scènes de la vie de Marie et de Jésus. Enfin, à Saint-Rome-de-Cernon, où en 1972, Nicolaï Greschny crée la fresque représentant au centre le Christ Pantocréator, encadré de la Vierge, de Saint-Jean, de Sainte-Foy et de Saint Romain. Les auréoles dorées à l’or fin apparaissent en relief.

Son refuge à la ferme de la Maurinié

La fuite en Égypte. © DR

En parcourant la région albigeoise à vélo durant l’année 1948, il découvre à Marsal, dans le Tarn, un tas de ruines et de ronces, la ferme de la Maurinié. Il l’achète en 1949 et y construit sa chapelle en 1951 selon les canons de l’art roman. Après son mariage en 1957, il vécut avec son épouse Marie-Thérèse et son fils Michael, dans cette demeure dont il avait peu à peu restauré l’ensemble des bâtiments.

Ce sera son havre de paix jusqu’à son décès survenu le 24 avril 1985, à l’âge de 73 ans. Son fils perpétue sa mémoire, d’une part, en peignant lui aussi des fresques dans des églises ainsi que des dessins d’icônes, selon les techniques anciennes des maîtres du Moyen Âge, mais aussi en enseignant à travers des stages qui perpétuent la riche tradition des iconographies russes.

La mémoire de Nicolas Greschny, sa frénésie artistique et son œuvre magistrale sont là pour nous rappeler qu’il est toujours présent, qu’il est toujours vivant, car on ne peut qu’être fasciné en voyant cet art mural magistral qui révèle pour ceux qui y croient intiment, la présence mystique d’un au-delà et pour d’autre la beauté d’un art sublimé par la croyance qui habite le peintre.

Comme le rappelait si justement Robert Aussibal : « Avec le recul du temps, nous le voyons revivre notre vie, lui à qui nous serons toujours reconnaissants d’avoir ouvert à nos yeux et à notre esprit tout un monde de richesses artistiques, mais aussi intellectuelles et religieuses. Pour nous il est toujours vivant. »

© DR

Marc Parguel

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