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Ces métiers disparus : le rétameur

Souvent venu du Cantal, le rétameur connu aussi sous le nom d’« estamaire » passait à la belle saison, avec sa roulotte tirée par une mule, peu avant la fête votive dans les villages ou les repas de clôture des gros travaux (battage) pour étamer les cuillères et les fourchettes en fer, réparer les marmites en cuivre et autres récipient métalliques.

L’étamage consistant à appliquer de l’étain sur une pièce en métal afin qu’elle ne s’oxyde pas avec le temps.

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En effet, l’étain étant le plus fusible de nos métaux, le rétameur parvenait à faire retrouver l’intégrité d’un couvert mutilé en lui donnant en plus l’éclat du neuf. S’il se déplaçait dans les villages tous les ans, ou tous les deux ans pour remettre une couche d’étain sur les casseroles et autres ustensiles de cuisine, il y avait aussi des estamaires sédentaires ou des ferblantiers qui se spécialisèrent sur le scellement des boîtes de conserve.

Une fois arrivé dans le village, il s’installa sur la place. À Saint-André-de-Vézines, il travaillait sur le perron qui entourait un gros tilleul. Avant de commencer à opérer, sa première mission consistait à passer dans les maisons pour ramasser les ustensiles qu’on voulait bien lui confier. C’étaient principalement des couverts de table (cuillers, fourchettes, louches), mais aussi des écumoires, des plats allant au four ou sur la braise. Pour se faire connaître, ils n’hésitaient pas à crier, comme nous le rappellerait si besoin était, Léon Roux (1858-1935) durant son enfance à Millau : « Très per dous ! » c’est le cri du fondeur d’étain à qui vous donnez trois cuillers tordues, cassées et qui vous en rend deux toutes neuves, brillantes. Il fondait autrefois aussi les lampes à pompes pour faire remonter l’huile à la mèche. » (Notes éparses, quelques cris dans la rue, l’Auvergnat de Paris, 16 septembre 1933)

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Edouard Mouly (1883-1964) alias Mylou du Pays Maigre dans ses souvenirs millavois n’oubliait pas de mentionner un rétameur piteux qui, dit d’une voix nasillarde, lamentable, dévidait une mélopée funèbre : « Estama casseroles ; raccommodeur de lampes et de casseroles émaillées, estama, casseroles. » (Cris et rumeurs de la Rue, Alades, Artières et Maury, 1948).

Il n’avait pas grand bagages, un petit outillage, un creuset et quelques feuilles de tôle de cuivre ou d’étain.

Juliette Andrieu (1904-1998) aimait à se souvenir elle aussi de « l’estamaire » : « Comme tant d’autres ouvriers ambulants, il alertait les ménagères par une criée spéciale, celle-ci rythmée sur un vieux chaudron, avant d’ouvrir un chantier sur la place du village. En attendant l’arrivée de ses clientes et après avoir flairé le vent, il allumait entre trois pierres un feu de brindilles sur lequel il répandait une couche de charbon de bois. Pour l’activer, il utilisait un canon scié qui conduisait son souffle puissant au ras des braises » (Figure du passé, l’estamaïre, journal de Millau, 21 juillet 1978).

Au-dessus, sur un trépied, dans une bassine, il faisait fondre sa mixture en soufflant sur les tisons pour les raviver. Quand le métal en fusion était bien liquide, il y plongeait les divers ustensiles qu’il devait rénover, après les avoir bien nettoyés en les trempant dans un bain d’acide. Encore tout chauds, il les frottait alors avec un linge mouillé pour égaliser la couche d’étain et leur donner un aspect de neuf.

Au début du XXe siècle, les couverts et les plats en étain étaient encore en usage dans nos maisons. Ces ustensiles n’étaient pas très résistants, ils s’usaient, se déformaient et fondaient même au contact de la chaleur.

Ce métier était très connu jusqu’à ce que le « fer battu » n’entre dans la danse.

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Si ma mémoire ne me fait pas défaut, Juliette Ribas que j’avais interrogée, il y a une vingtaine d’années, sur la vie du village autrefois à Saint-André-de-Vézines me chantonnait les premières paroles de la fille à l’Estama ; chanson humoristique popularisée par Perchicot en 1925 : « La fill’à l’estama, Mademoisell’Emma, allait à domicile, porter ses ustensiles, que son père rétamait, dans son petit atelier, or un soir en rentrant, elle dit en pleurant…. », ce titre était très connu autrefois.

Plus proche de nous, A. Bompart se souvient : « J’ai connu un estamaïre, M. Limongi, tenant échoppe rue Peyrollerie. Très renommé sur la place de Millau, nous nous rendions chez lui lorsqu’un de nos contenants en fer blanc se « cabossait » ou même se perçait. La réparation évitait un nouvel achat, recherché par les familles ouvrières. Autre occasion de solliciter ses services : après une utilisation prolongée, cuillers et fourchettes s’altéraient. Pour leur « redonner une jeunesse », un étamage et hop ! les couverts se trouvaient rénovés » (Artisans d’autrefois, des Millavois parlent aux Millavois, tome V, 2014)

Il réparait au besoin les ustensiles en cuivre en les martelant avec un maillet de bois sur une espèce d’enclume ronde. Quand ils étaient percés, il les raccommodait avec de la brasure. C’est en intervenant sur les chaudrons en cuivre, orgueil des ménagères, que le rétameur devint « payrollier » ; il renforçait, martelait, remplaçait… Il rétamait l’intérieur de ces récipients, car il savait d’expérience, qu’aucune préparation culinaire ne pouvait y séjourner sans risque d’empoisonnement. Avec une agrafe et de la colle, il savait aussi consolider les plats et les assiettes fêlées.

Juliette Andrieu nous rappelle également que : « « L’estamaire » rachetait à bas prix les débris de métal de toutes sortes et en particulier les feuilles d’étain qui enrobaient alors les tablettes de chocolat. Comme à l’époque, la consommation de cette denrée n’était pas très répandue, la pesée relevait plus souvent du trébuchet que de la Romaine. »

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Une fois son travail terminé, le rétameur allait remettre pichets, couverts, chandeliers clystères, et toute une armée de chaudrons à domicile et « ramasser la paye » : quelques pièces de monnaie, un peu de foin ou d’avoine pour la mule, des œufs ou du lard pour la préparation de leurs repas. Puis le rétameur continua sa tournée, celle des fermes environnantes où la panoplie d’ustensiles valait un bon temps d’arrêt.

Dans notre société actuelle, où sont arrivés progressivement les couverts en aluminium, les plats inoxydables ou faits de plastique ou de cartons, le métier de rétameur n’avait plus lieu d’être.

Tous ces artisans ont disparu. Les enfants les ont bien regrettés ; ça leur faisait une distraction à la sortie de l’école.

Marc Parguel

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