Causses et vallées

Chasseurs d’orage et faiseurs de pluie

De tout temps, les hommes ont eu peur de la foudre et de la grêle, responsables de la perte de leurs récoltes, et dans de nombreux villages on fit même appel à des prêtres pour conjurer la foudre. A cela, il faut ajouter les cloches qui ont longtemps passé, et cette croyance n’est pas éteinte, pour posséder la vertu de dissiper les orages. Certaines sonneries auraient le pouvoir d’éteindre l’incendie allumé par le feu du ciel.

Arago dans l’annuaire de 1838, page 548 disait en son époque que « Dans l’état actuel de la science, il n’est pas prouvé que le son des cloches rende les coups de tonnerre plus imminents, plus dangereux ; il n’est pas prouvé qu’un grand bruit ait jamais fait tomber la foudre sur des bâtiments que, sans cela, elle n’aurait pas dû frapper. »

A quand remonte cette tradition de sonner les cloches pour chasser les orages ?

M. l’abbé Dalac dans ses études météorologiques indique à ce sujet : « D’après la formule de sa bénédiction que l’on trouve dans tous les rituels du monde catholique, la cloche est supposée avoir la propriété de chasser les orages, d’arrêter la foudre et les tempêtes, et comme la bénédiction des cloches paraît remonter au huitième siècle, en supposant que sa forme n’ait pas été altérée, ce serait aussi la date de son origine. » (Mémoires de la société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron, tome IX, 1867).

Dans les archives que nous possédons, la première sonnerie notée « pour les biens de la terre » remonte au 2 juin 1373. On compte dix-sept sonneries « al be de la tera » en 1422. Le 29 avril 1454 est dit que 14 hommes sonnent des nuits entières sans répit « … ero al cloquier plus de XII per ajudar » (plus les deux sonneurs en titres).

Publicité

Au XVIIIe siècle, c’était une obligation de sonner les cloches en temps d’orage. Si le sonneur refusait d’effectuer cette tâche, il pouvait être menacé de mort par les habitants.

Nos pères cependant paraissent avoir poussé un peu trop loin leur confiance dans le secours et la protection des cloches. Ils les sonnaient trop souvent, trop longtemps et en des moments inopportuns, par exemple au plus fort de l’orage, alors que le tonnerre grondait sur le clocher sillonné d’éclairs. Aussi arriva-t-il souvent que ces sonneries bruyantes et précipitées attirèrent la foudre au lieu de l’écarter.

Le 29 juin 1443, dit le consul boursier, « L’ayse (l’air) estan grandamen torbat, soneron a l’aura tot lo jorn, et tombet lo maligne sperit (la Foudre) sus lo cloquia, sur la hora de vespras, passet per las vistas sobrevanas et tombet aval als homes que sonavon, et ne levet de l’escala que hom monta al sen mage una ascla, et passet al costat de Cussac, lo fornia, et sen davalet per la trapa et tombet en la gleyssa ; et, per la gracia de Jesus Christ, negun no hi pres mal ; de tota aquela nuech non pauseron de sonar » (Recherches historiques sur la ville de Millau au Moyen Age, par Joseph Rouquette,1888).

Parmi les malheureux sonneurs aveyronnais, citons aussi celui qui fit la une du Petit Journal de 1910. Voici ce qu’on pouvait lire : « Pendant un orage, le sonneur de Ladepeyre (Aveyron), Pierre Boudes, alors que les paysans tremblaient pour leurs récoltes, monta au clocher pour tenter de conjurer le danger en sonnant les cloches, suivant un préjugé indéracinable dans nos campagnes. Il ne les avait pas plus tôt lancées en volée que le son cessa brusquement. L’imprudent avait été foudroyé. » (Le Petit Journal illustré du 11 septembre 1910).

En d’autres endroits, pour conjurer les orages, les prêtres se positionnaient sur les hauteurs afin de se rapprocher le plus du ciel, et faisait des gestes, il y avait dans ces mouvements une idée de combat contre l’orage. Dans certaines paroisses, il arriva que le curé voyant l’orage arriver vers son clocher lançât sa chaussure vers le village voisin en prononçant des formules bien précises, du type : « Que l’orage reste dans l’autre paroisse ». Simulacre du coup de pied donné au diable conducteur de la nuée dévastatrice.

Nous pouvons citer quelques exemples connus dans le sud de la France : « Lorsque la grêle ne tombait pas sur une paroisse les habitants de la montagne Noire disaient que le curé avait jeté un chausson en l’air dans la direction de la nuée. Un autre curé empêchait la grêle de ravager la commune en s’avançant sous le portail et en criant à l’orage de se taire, puis il lançait vers lui sa chaussure » (Paul Sébillot, Croyances, mythes et légendes des Pays de France). Certains curés appelés aussi reculeurs d’orage avaient de sacrés dons, au point qu’en 1739, un des meilleurs dans le domaine fut menacé par l’évêque de trois mois de séminaire s’il continuait ses pratiques.

A Saint-André de Vézines, suite à une grêle printanière particulièrement dévastatrice, le curé Félix Bertrandi et les habitants de St André ont décidé le 13 mai 1727 de célébrer chaque année le 30 juillet, une messe solennelle en l’honneur des Saint Abdon et Sennen, afin d’être protégés « d’un si grand mal qui ne pouvait provenir que de la colère de Dieu justement irrité par les péchés des peuples » (Archives paroissiales) Dans les maisons, quand il tonnait, on avait du laurier, on faisait brûler un cierge et on jetait de l’eau bénite dehors.

Quand il y avait un violent orage, à chaque fois les gens faisaient les signes de la croix. « Les Rouergats comme nous le rappelle le Père Blanc, croyaient à la toute-puissance des signes de croix. Je me souviens d’une vieille fille bien rouergate qui venait aider ma mère pour raccommoder chaque semaine. A chaque orage, elle multipliait les signes de croix lorsque les éclairs zébraient l’horizon et elle finissait toujours en répétant : Jésus Christ vit, Jésus Christ règne, Jésus Christ commande ! » (Revue La Maisonnée, 1973).

Aux coutumes de se préserver des orages, il y’en avait d’autres pour demander la pluie. On allait à St Jean des Balmes en pèlerinage, mais aussi à St Sulpice (Nant), à St Amans près de la Cavalerie ou a la Font de la Mère de Dieu à Sauclières. Moins connue est la pratique des faiseurs de pluie, d’origine païenne, qui consiste à plonger dans les rivières les statues des saints. Il ne s’agit pas d’immerger totalement la statue, simplement les pieds.

Je tiens de Toulouse cette anecdote : « Pour faire venir la pluie, il y avait une statue de Saint Eloi dans un village. Une fille qui en avait assez de faire le va-et-vient pour implorer la statue et la tremper dans l’eau, s’en fabriqua une de 40 cm de haut, elle plonge une partie dans l’eau et explique qu’on plonge les pieds d’un saint ou de la Vierge pour obtenir de la pluie, la statue est un simple vecteur dans une démarche de type magique ».

Mais parfois, les saints perdaient de leur crédit, tel Saint Galderic, dont on trempa le buste du côté de Perpignan et qui ne fit tomber aucune goutte du ciel, au point que les consuls le remplacèrent par les reliques de Saint Abdon et Sennen en 1612 qui furent baignées en grande pompe dans la rivière. Il arriva parfois qu’au lieu d’avoir un peu de pluie, on eût droit à de terribles inondations, ce qui donna aux gens mécontents l’occasion de manifester leur ressentiment en jetant la statue dans la rivière, afin qu’une autre fois, elle remplisse mieux son devoir.

Tel est l’exemple que je connais, non loin de Toulouse, où en 1784, lors d’une inondation, les habitants de Blagnac forcèrent leur curé à jeter dans la Garonne, l’image de leur patron, Saint Exupère.

Marc Parguel

Bouton retour en haut de la page