750 ans d’histoire de femmes et d’hommes en pays de Millau récompensés

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Nadia Bédar et Olivier Fabre. © Greg Alric

Les savoir-faire liés à la ganterie en pays de Millau, l’élevage pastoral, les connaissances et transformations des matières naturelles, l’art de confectionner le gant intègrent la liste du patrimoine culturel immatériel français. Un nouveau chapitre s’écrit dans l’histoire riche des savoir-faire liés à la ganterie en Pays de Millau. Cette tradition séculaire est officiellement incluse à l’Inventaire National du Patrimoine Culturel Immatériel de France depuis le 13 décembre 2023.

Cette inscription prestigieuse va bien au-delà de la simple reconnaissance d’une tradition. Elle célèbre tout un territoire, du riche agro-pastoralisme aux savoir-faire pointus dans la connaissance et la transformation des matières naturelles, jusqu’à l’art méticuleux de confectionner le gant.

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Le Pays de Millau peut se targuer de posséder une filière complète. Cette préservation joue un rôle crucial, ancrant Millau dans son histoire et renforçant son identité. Cette reconnaissance ne se limite pas aux frontières nationales. Elle offre une visibilité internationale au Pays de Millau, à la réputation du sud Aveyron, et à l’ensemble de la Région Occitanie et de ses habitants.

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En mettant en avant les matières premières locales, la laine et le cuir, elle évite qu’elles ne deviennent des déchets, et contribue à leurs transformation, préservation, promotion et développement de façon durable. Les savoir-faire liés à la ganterie en Pays de Millau deviennent un catalyseur du développement durable en favorisant l’artisanat local.

Au-delà de la fierté de ces habitants, cette candidature promeut la création d’emplois, accompagne la jeunesse dans la découverte de nouveaux métiers, facilite la reconversion professionnelle et ouvre des perspectives de croissance économique. C’est un appel à la préservation, à la transmission, à l’innovation, et au développement, créant un modèle pour d’autres régions et métiers artisanaux.

Notre identité est un héritage précieux étendu aujourd’hui sur 6 départements de la région Occitanie : l’Aveyron, le Tarn, la Lozère, l’Aude, le Gard et l’Hérault. En direction de l’UNESCO, cette reconnaissance internationale deviendrait un symbole de la richesse culturelle, de l’inclusion, et du dynamisme d’une communauté unie autour de son patrimoine exceptionnel.

Interview croisée des porteurs du projet, Olivier Fabre, président de l’association Sauvegarde du Patrimoine culturel immatériel en pays de Millau et Nadia Bédar, directrice de candidature.

On perçoit très clairement de très nombreux soutiens au cœur de cette candidature ?

Olivier Fabre : « c’est en effet le cas, parce qu’en premier lieu, les Millavois se sont approprié cette candidature, ils ont compris rapidement que cette démarche de reconnaissance par l’UNESCO est d’abord la leur. Le conseil d’administration de l’association que je préside est composé de toutes les forces vives défendant nos savoir-faire au niveau territorial, national et international. Ce n’est pas pour rien que nombre d’ambassadeurs auprès de l’UNESCO ont déjà apporté leur soutien à notre candidature en participant activement à nos colloques : les ambassadeurs de l’Ukraine, du Japon, de l’Éthiopie, de l’Argentine ou encore de Chine auprès de l’UNESCO. Notons aussi que cette candidature a pris racine dès 2015, il y a donc déjà 8 ans en présence du président de la commission nationale auprès de l’UNESCO à qui je proposais d’inscrire la ganterie millavoise sur la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel en présence de Jacques Godfrain et de Christophe Saint-Pierre.

Elle ne date pas d’hier, et nous la construisons à la force du bras et de la persévérance ! J’en profite pour remercier Emmanuelle Gazel et l’ensemble des élus pour leur confiance. Bien sûr, je dois particulièrement remercier Arnaud Viala qui est à nos côtés depuis le premier jour et n’a jamais hésité à monter au créneau pour défendre la territorialité de la candidature. La liste des remerciements serait longue, mais bien sûr je pense à tous les élus locaux, l’ensemble des maires et élus des villes et villages du sud Aveyron, à nos députés et sénateurs, aux conseillers départementaux et régionaux, et bien sûr à la présidente de la Région Occitanie ».

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La notion de territorialité semble au cœur de vos préoccupations ? Pourquoi ?

Nadia Bédar : « c’est en effet le cas. La sauvegarde de savoir-faire ne peut être défendue sans la notion de territorialité. C’est une question de bon sens (!) de respect de la diversité culturelle, et des détenteurs de ce patrimoine multiséculaire ! Nous ne pouvons échapper par ailleurs à la notion de ce que j’appelle les « territoire-marque » qui permettent d’attirer tout type d’investisseurs, et je sais combien c’est parfois « un gros mot » dans le cadre d’une candidature. Mais croit-on vraiment que des métiers d’art rares détenus par des artisans courageux, ou un exploitant agricole qui ne sait pas toujours ce qu’il lui arrivera demain, peuvent se payer le luxe de s’en tenir à une stricte conservation muséale tout aussi nécessaire par ailleurs, après bientôt 750 d’histoire ? Ce serait une illusion, une tromperie. L’histoire du PCI* le prouve. Un atelier ou une exploitation agricole qui ferme, c’est la suppression d’une culture, point à la ligne ! J’ai dirigé une précédente candidature, les savoir-faire liés au Parfum en Pays de Grasse, concernant la aussi une chaîne de fabrication, croyez que si on lui avait ôté toute notion de territorialité, beaucoup de structures auraient aujourd’hui disparu. La convention sur la sauvegarde du Patrimoine culturel immatériel de 2003 de l’UNESCO est peut-être le plus beau des trésors : elle ancre ce qui relève du patrimoine vivant ».

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Et demain ?

Olivier Fabre : « je suis le petit fils d’un boulanger et de la première femme en Aveyron qui a dirigé une ganterie de plus de 300 personnes, l’arrière-petit-fils d’un tailleur de pierre et d’un gendarme à cheval ; j’ai vu mon père se battre avec courage pour sauver son personnel et son métier. Les sud aveyronnais sont des résistants. Mais la fragilité de nos savoir-faire est une réalité. Ces histoires nous les partageons par des centaines d’habitants en pays de Millau tous attachés à leur terre et leur savoir-faire. Aujourd’hui, nous continuons à poser les fondations de notre patrimoine vivant pour qu’il dure toujours, et demain nous irons avec l’ensemble des ministères impliqués et les acteurs du territoire, jusqu’au bout, avec deux maîtres mots bien sûr : persévérance et transmission ».

© Greg Alric

Nadia Bédar : « demain ? J’interrogerai plutôt les enfants du pays du Millau. Je crois que personne n’oubliera ce matin du 14 septembre 2023 à l’occasion des journées européennes du patrimoine « Levez les yeux les petits tabliers du gantier » que nous organisions avec la Région Occitanie, l’arrivée ce ces très jeunes élèves en maillot jaune, qui venaient d’effectuer plus de deux heures de route depuis l’aube, accompagnés de leur enseignant pour rejoindre les ateliers ludo-éducatifs sur le patrimoine que nous avions mis en place à Millau. Ils avaient parcouru ce temps pour sentir, espérer, découvrir les métiers qui font partie de l’ADN de leur territoire. Nous devons honorer la promesse faite à ces enfants, parfois collégiens, élèves en lycées agricoles, mais aussi à ces aînés, qui se sont tous engagés à nos côtés. Mars 2025 est notre objectif pour déposer le dossier de candidature officiel au niveau international. Demain, c’est aussi la poursuite de la mise en œuvre de nos 17 mesures de sauvegarde dont des formations formelles ou encore l’opération la main qui répare en soutien aux plus démunis ou aux plus éloignés de l’emploi pour découvrir l’identité de notre territoire et retrouver le chemin du travail et de la dignité ».

© Greg Alric

*Patrimoine culturel immatériel

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