Actualité

Patrimoine Millavois : La place de la Tine (3/3)

Le quartier de la Tine après avoir accueilli les habillés de soie devint pour le folklore une « commune libre ». Basé sur l’entraide, la gentillesse, on désigna comme « Maire » Georges Girard, assisté par Paul Taurines, armurier dans l’avenue Jean-Jaurès, comme président du comité.

Des fêtes de quartier virent le jour dès le début des années 1950.

La fête de la Tine

Robert Taurines (1921-2011) dans le cadre des Ateliers de la Société d’Etudes Millavoises écrivait : « Un jour, les sachems du quartier, Georges Girard, mon père, Etienne, le coiffeur, un superbe félibre catalan eurent la magistrale idée d’organiser la fête de la Tine. Les réunions préparatoires avaient lieu dans la remise de l’hôtel Cinq, sous la haute autorité de son propriétaire et de ses fils, la famille Pomarède. Là, a été faite la liste des sociétés musicales à inviter, là, s’imaginèrent les thèmes à illustrer, des chars à construire, des costumes à imaginer, des chansons à apprendre, des buffets à organiser, des demarches à entreprendre, des autorisations à demander, des invitations a envoyer en n’oubliant personne. Enfin, arriva la semaine qui précédait la date prévue pour cette manifestation. La remise s’emplit de remorques et de tracteurs qui devaient fournir le support à tous les chars imaginés par les uns ou les autres habitants du quartier, ou par les magasins ou ateliers qui y avaient « pignon sur rue ». On vit arriver des kilomètres de tissus, des panneaux de contre-plaqué, des liteaux, des câbles, des ficelles, des fils électriques.

Char de la fête de la Tine (collection Robert Taurines)

Une autre joie de la place de la Tine était le défilé, les dimanches matin, au moment de la fête Dieu, avant la grand-messe au Sacré-Cœur des jeunes filles de l’institution Sainte Marguerite-Marie, lys en main, précédées de leur directrice et entourées des religieuses de l’institution. Dès les premières notes du carillon, elles partaient de leur maison, de l’avenue Jean-Jaurès, pour arriver sur les mêmes notes sur les escaliers de l’église dans laquelle s’organisait alors la procession, qui faisait le tour de l’église par les jardins, s’arrêtant à tous les reposoirs avant de repénétrer dans le sanctuaire où avait lieu la messe. La même cérémonie s’organisait pour assister au retour vers l’institution ». (Une enfance, place de la Tine, 27 mai 2011)

Publicité
Les fêtes allaient bon train (juin 1952) DR

Cette place de la Tine, Georges Girard (1919-2009) la chérissait. Il y habita une grande partie de sa vie. Notre illustre félibre présidait un comité très actif. Parmi les manifestations festives de « sa commune », il célébrait des mariages symboliques. Pour cela, il arborait une écharpe à l’effigie d’un cochon, en souvenir de cette place ayant accueilli le marché aux suidés.

Il fit boire l’eau de la fontaine de la Tine aux jeunes mariés.

Georges Girard devant la fontaine de la Tine (1980) DR

On y fit même une partie de pêche originale en 1951 ! vite improvisée dans le bassin séculaire où coulait l’eau fraîche de Vézoubies. On avait posé sur la sphère sommitale dominant le roc aux quatre becs ruisselants, une grosse tête de la mère Tinette. Le dynamique comité des fêtes qui animait ce quartier avait la bonne idée de l’inclure dans le programme de ses réjouissances annuelles aux côtés de la grande cavalcade de chars et le joyeux bal de nuit sur la place illuminée et enguirlandée. La nappe d’eau généreusement empoissonnée auparavant frémissait au choc de l’hameçon et tout un peuple de badauds formés sur plusieurs rangs en un cercle enthousiasmé ne manquait pas d’applaudir et d’acclamer à grands cris les exploits de ces « rois du bouchon » d’un nouveau genre.

Une partie de pêche originale dans le bassin de la Tine en 1951. (DR)

Une plaque a été apposée le 30 novembre 2019 à la mémoire de Georges Girard sur la façade de la maison qu’il habita.

Bien des faits divers se sont passés dans ce quartier de la Tine. Signalons celui-ci pour son originalité :

Une plaisante histoire.  Un des jours de cette semaine, le quartier de la Tine, était mis en émoi par les cris : Au secours. Tous les voisins se précipitent et l’on voit alors apparaître en costume léger, le sieur C…, dont l’émotion était considérable. Ce jeune homme déclara alors qu’étant couché dans son lit, il avait aperçu un fantôme se promenant dans sa chambre. Il s’était alors armé d’une chaise et en avait asséné un coup terrible à l’intrus, qui étant tombé sous le coup, se releva, ferma la porte à clef et s’enfuit, parait-il, par le trou de la serrure. Malheureusement, les recherches les plus minutieuses ne permirent de découvrir aucune trace du prétendu fantôme, qui pourrait bien n’avoir existé que dans le cerveau du sieur C… (L’indépendant Millavois repris dans le Journal de l’Aveyron, 15 et 16 février 1892)

Une fontaine vandalisée

Notre fontaine au cours du temps en aura vu de toutes les couleurs.

En décembre 1889. Le nommé Jean Chazaly, âgé de 37 ans, natif de Grandvals, canton de Fournels (Lozère) arrivait un de ces jours à Millau. A la descente du train, les employés remarquant sa pâleur extraordinaire, le firent entrer dans une salle d’attente pour se chauffer et le conduisirent à l’hôtel de la Fontaine, place de la Tine, où on lui prodigua des soins.

Le lendemain, Chazaly fut pris d’un violent accès de folie et se plongea, malgré le froid extrêmement vif qui sévissait, dans la fontaine de la Tine. M. Dussoubs, commissaire de police averti en toute hâte, le fit transporter à l’hospice.

Trompant la surveillance de son gardien, Chazaly s’échappa et se sauva sur le toit de l’aile gauche des bâtiments de l’hospice.

Dussoubs arrive en toute hâte et, ne pouvant parvenir à le faire descendre, grimpe lui-même sur le toit et saisit le fou, qui le suit alors avec la plus grande docilité.

En attendant son transfert dans un asile d’aliénés, ce malheureux a été interné dans la maison d’arrêt de Millau. (Journal de l’Aveyron, 10 décembre 1889).

Exploit d’ivrogne. Dans la soirée de dimanche 5 octobre 1913, le nommé Gayraud Prosper, âgé de 34 ans, journalier à Millau, ne trouva rien de mieux, pour passer son temps, que de se livrer à des acrobaties sur la fontaine de la Tine, se suspendant aux tuyaux qui déversent l’eau dans le bassin. Deux de ces tuyaux furent ainsi complètement brisés, et Gayraud, qui se trouvait dans un état d’ivresse manifeste, se vit dresser procès-verbal.

Conduit au violon municipal, il y cuva son vin jusqu’au lendemain. Il devra comparaître devant le Tribunal correctionnel sous l’inculpation de dégradation de monument public (L’indépendant Millavois, 11 octobre 1913)

Il aura fallu arriver au dernier quart du vingtième siècle pour voir tarir l’eau de la vénérable fontaine de la Tine.

Déjà à la fin des années 1950, il arrivait que sur les quatre robinets, deux seulement fonctionnaient.

En 1969, des vandales, sans doute un peu éméchés, s’en prirent à la mystérieuse pierre sculptée et la brisèrent. Le bassin n’étant plus étanche et ne pouvant être réparé, on coupa l’eau et en comblant de terreau, on en fit une sorte de pot de fleurs monumental.

En 1974, voyant le bassin  fort dégradé, et mué en un énorme pot de fleurs P.E-Vivier écrivait dans un article : « En fait et en dehors de la belle saison, les fleurs y font défaut durant une grande partie de l’année, misérablement remplacées alors par quelques herbes folles. A notre connaissance, personne n’a protesté, même dans ce quartier qui a pourtant, ou du moins qui a eu son esprit et ses traditions bien à lui. Déjà, auparavant, lorsqu’un vandale nocturne avait trouvé plaisant de briser la pierre aux mystérieuses sculptures qui surmonte le monument, on ne semble pas trop s’être préoccupé d’enquêter à ce sujet, ni même de réparer le dégât. Cette indifférence est-elle un signe des temps ? En tout cas, il est bien certain que si, voilà seulement vingt ou trente ans, on avait parlé de toucher à la Tine, on aurait provoqué une véritable levée de boucliers. »

La sculpture vandalisée fut mise à l’abri dans les ateliers municipaux, mais les changements de municipalité ont toujours mis cette restauration au second plan. Il fallut attendre la municipalité Diaz pour redonner vie à notre fontaine. C’est M. Cartaillac, du bureau de dessin de la mairie, qui a dessiné la nouvelle fontaine grandeur nature en se rapprochant autant que faire se peut du modèle original. M. Compan a pris ses mesures sur ce dessin, sa sculpture a été faite « à main levée ». Aucune maquette n’a été effectuée, car le temps pour la réalisation était compté. La sculpture fut commandée en mai 1980 pour une inauguration en juin. Le délai était trop court pour une réalisation dans les heures de travail habituelles en atelier. M. Diaz donna l’autorisation spéciale à M. Compan de travailler chez lui et non dans les ateliers de la mairie. La fontaine a été réalisée sur un mois à raison de 13 ou 14 heures de travail par jour. En même temps, Paul Gaubert, employé de mairie, maçon de son état, réalisa le bassin dans les ateliers municipaux. Une fois inaugurée, les fragments de l’ancienne fontaine furent envoyés au Musée.

La nouvelle fontaine de la Tine. (DR)

Pour terminer cette étude sur la Tine, citons ces paroles de celui que l’on avait nommé « Maire de la commune libre de la Tine » Georges Girard : « Chers amis de la Tine, l’Histoire, la grande comme celle des quartiers de nos villes a toujours été marquée par une succession d’évènements et de transformations. Son cours nous entraîne impérieusement et il nous faut nous y résoudre. Mais, en toute chose, il faut considérer la fin. Faisons donc confiance pour l’avenir à la dynamique qui a sans cesse animé les commerçants et les habitants de ce vieux et sympathique quartier ! Quant à nous, Tinistes de fait ou de cœur, puissions-nous rester fidèles à cette devise qui, depuis la fondation de notre Commune libre a sous-tendu nos activités : « Dites ce que vous voudrez voisine, rien à Millau ne vaut la Tine. »

Marc Parguel
Avec le concours de la Société d’Etudes Millavoises

Bouton retour en haut de la page