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Patrimoine Millavois : La place de la Tine (2/3)

Les hôtels

Avec l’arrivée du tourisme dans notre région à la fin du XIXe siècle, les hôtels se sont multipliés autour de la fontaine, dont le bassin s’ornait alors d’un large trottoir pavé de « calades » (galets). Les charrettes de convoi des négociants stationnèrent sur la place. Mais la Tine ne se limitait pas aux passages des charrettes. Comme nous le rappelle P. Costecalde : « Inimaginables de nos jours, les passages réguliers dans la rue de troupeaux bruyants de bovins qui, débarqués de la gare SNCF traversaient toute la ville en meuglant à qui mieux mieux, faisant claquer leurs sabots sur la chaussée. Ils empruntaient l’avenue de la gare (actuelle avenue A. Merle), la rue Jean-François Alméras et la rue du Sacré-Cœur. Parfois, affolée, une bête faisait mine de pénétrer dans la cour de l’école du Sacré-Coeur à la grande frayeur des élèves. D’autres fois, coincées, prises dans la bousculade, dérapant sur la chaussée, certaines ont failli atterrir dans la vitrine de la boulangerie au fond de la rue. Accélérant l’allure, passant devant le ferradou du père Trouche, les troupeaux dévalaient ensuite toujours aussi bruyamment la rue de la Paulèle jusqu’aux écuries situées au bord du Tarn tout près de l’abattoir municipal » (De la rue du Sacré-Cœur à la Tine, Des Millavois parlent aux Millavois, tome III, 2012)

Quand ce n’était pas les bêtes, c’était les Millavois qui donnaient un peu trop de la voix : « Une chanteuse de café concert et son barnum qui étaient un sujet de scandale pour le quartier de la Tine, ont été expulsés de Millau » (Journal de l’Aveyron, 8 novembre 1890)

Le principal établissement hôtelier fut le bien nommé « Hôtel de la Fontaine », il a appartenu d’abord à Pierre Izard. Cette bâtisse subit un incendie le 14 mai 1855. Les familles Maury-Izard le mirent en vente en mai 1899. Puis il y eut M. Amat. « Le nommé Ménard, âgé de 30 ans, originaire de Fontenay-le-Comte, de passage à Millau, descendit à l’hôtel Amat, place de la Tine. Après son départ, l’hôtelière constata la disparition d’une somme de 700 francs. L’agent Roustan, averti, courut à la gare à l’heure du départ du train de Béziers, et retrouva dans les poches de Ménard les billets disparus. Le filou a été incarcéré » (Un vol à l’Hôtel Amat, L’Auvergnat de Paris, 3 janvier 1931)

Il appartenait après la Seconde Guerre mondiale à Auguste Migayrou qui fit rénover l’entrée en 1948-50.

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Les murs de ce vénérable hôtel furent abattus en 1971 pour y construire « l’International Hôtel » qui s’élèvera sur 11 niveaux. On utilisa du béton armé dont l’étude fut effectuée par M. Crouzat, ingénieur-conseil.

L’international Hôtel en construction (1971). DR

En 1900 figurait aussi « Place de la Tine », l’Hotel Combes, dit hôtel de la Boule d’Or.

A cette époque existait aussi « L’Hotel du Cheval Vert » sur la gauche de la place. Cet établissement faisait office de café, restaurant et chambres. Comme le rappelle Arlette Bompart : « Dans ces années 1920, pour fournir sur le marché, les produits de leur ferme, les paysans se déplaçaient avec des attelages à chevaux. L’auberge possédait côté Sacré-Cœur un vaste hangar servant d’écurie pour le repos des bêtes. Au fil des ans et des changements de propriétaires, les lieux subiront moult transformations.

Une quinzaine de chambres y furent aménagées en 1960. Le nom de « cheval vert » rappelait aux amateurs de littérature « La jument verte » de Marcel Aymé. L’histoire racontait que l’animal au repos dans les écuries avait été peint en vert, d’où la dénomination de l’auberge. Nous rebaptisâmes notre hôtel le « Raymond V », ceci rappelant le palace parisien, le Georges V…pour rire ! » (L’hôtel Raymond V, d’après le récit de Raymond Cinq, des Millavois parlent aux Millavois, tome 8, août 2019). Cet hôtel sera démoli en 1976.

Le quartier de la Tine était aussi celui des limonadiers. Sur trois au total, deux ont pour limite la place de la Tine. L’un est à l’angle de la Tine, où se trouve l’actuel restaurant-brasserie Le Club pour lequel on a les noms de L. Carrière de 1900 aux années 1920, puis Hébrard de 1925 à 1930. Au n°7, sur l’emplacement de l’actuelle agence de la Caisse d’Epargne, se trouvait le café des Gorges du Tarn tenu par F. Saquet puis Bertrand. A partir de 1920, le n°43 sera le siège d’un débit de boisson tenu par P. Nespoulous puis Louis Treille (D’après Millau à travers ses rues, Journal de Millau, 28 octobre 2021)

Place aux autobus. (DR)

Citons également L’Hôtel de Millau et des voyageurs près de la Tine, sur l’avenue Jean-Jaurès, qui appartint longtemps à la famille Lacombe, propriétaire aussi de  « l’Hôtel de Paris ». Il changea de mains dans le courant de 1927. Le 1er juillet de cette année-là, Ferdinand Janin en devint propriétaire, comme nous le montre cette carte photo dont le verso était consacré à la note à payer. Chose curieuse, à l’arrière de la carte, Ferdinand Janin indique « 11, avenue des Gorges du Tarn » au lieu de l’avenue Jean-Jaurès.

Le grand Hôtel des Voyageurs, au 11 avenue Jean-Jaurès (en 1927). DR

La note folklorique est donnée par l’omnibus, prêt à sortir de la remise. Matin et soir, il montait pour prendre ou amener des clients, au Plateau de la Gare, s’alignant devant la sortie des voyageurs, en compagnie des voitures des autres hôtels de la ville.

Comme nous le rappelle Pierre Edmond Vivier : « Ferdinand Janin ne garda pas cet hôtel deux ans, il céda le fonds, sans doute vers la fin de 1928, à Léon Samson. C’est ce dernier qui devait changer la dénomination de l’établissement, en l’appelant « Hôtel Moderne ». Il figure sous ce nouveau vocable et avec le nom de Samson propriétaire, dans le Livret-guide du Syndicat d’Initiative imprimé en 1929. » (Image Millavoise, A la Tine, l’hôtel de Millau, Journal de Millau, 24 juillet 1981).

L’Hotel Moderne. DR

Proche de là au n°13 était la Maroquinerie Salles (n°13) et l’épicerie Bastide (n°15).

Quelques mots sur cette maroquinerie. La famille Salles, après avoir acquit en 1874, les anciens bains-douches précédemment tenus par les Frémeau, en face de la Tine y installèrent un atelier de corroirie, puis un commerce de cuirs et crepins. Peu après la Grande Guerre, E. Sales orienta nettement son activité vers la maroquinerie et aménagea son magasin au n°13 de l’avenue Jean-Jaurès. Comme on peut s’en rendre compte, malles et valises y tenaient une grande place.

La Maroquinerie Sales, en 1925. DR

Aménagement de la Place (1929) : « On procède en ce moment à la réfection d’un certain nombre de nos vieilles rues et nous ne pouvons qu’applaudir à la décision prise par nos édiles d’abandonner les anciennes méthodes qui consistaient à repaver en partie ou en totalité nos chaussées les plus dégradées et devenues impraticables. Le système du bitumage avec épandage de gravillons sur le vieux pavage actuel fait avec des cailloux roulés du Tarn donne des résultats magnifiques. La rue Antoine Guy, si défectueuse et pourtant si fréquentée, vient d’être remise en état par ce procédé moderne, à la grande satisfaction de nombreux ouvriers et ouvrières de Millau et de Creissels qui l’empruntent quotidiennement pour se rendre à leur travail. L’équipe spéciale, dirigée par un entrepreneur de Rodez, est en train de procéder au bitumage des rues Bernard Lauret, de l’Ancienne Tour, de la place de la Tine, etc. et ainsi peu à peu, toutes nos chaussées seront remises en état. Lorsque ces importants travaux, répartis sur plusieurs exercices budgétaires, seront terminés, notre ville, avec ses beaux trottoirs, ses rues propres et bien goudronnées, aura le droit d’être fière de sa voirie et pourra supporter avantageusement la comparaison avec les villes les plus coquettes et les plus belles du Midi » (L’Auvergnat de Paris, 19 octobre 1929)

Le Marché aux cochons 

Sur la place de la Tine se tenait jadis le marché aux cochons, qui donnait, au cours de l’hiver, une grande animation à ce quartier où l’on côtoyait des « habillés de soie » et des dindons. On les trouvait dans des « cages ou cases à cochons » : on les appelait, en français patoisé, les « castres » ou « clastres », selon qu’on faisait dériver le mot du latin des camps militaires ou de celui des…cloîtres.

Jules Artières regrettait en 1943 sa disparition : « Depuis la guerre, hélas ! il est désert. Quand reverrons-nous ces habillés de soie, si sympathiques à nos bonnes ménagères ? » (Millau à travers les siècles, p.447).

Des charrettes aux roues solidement cerclées ébranlèrent ses « castres » peu odorants la clientèle millavoise des toucheurs de bestiaux dont la célébrité a retenu les noms, tels les Cabirou (ancien boucher au 3 avenue Jean-Jaurès devenu marchand de bestiaux), les Grousset, les Amat, les Bétou, les Valès. Tout autour, leur tâtant le lard ou les jaugeant d’un œil expert, marchands et acheteurs réfléchissent ou palabrent.

Dans ses souvenirs, Pierre Douzou évoquait : « Le plus beau jour de l’année, pour ceux qui en avaient les moyens, était le jour où l’on tuait le cochon, veau-gras des pays difficiles. La famille allait choisir la bête dans l’enclos de la Tine, et l’escortait tant bien que mal vers le lieu du prochain sacrifice sous l’œil amusé des riverains. C’est comme ça que certains soirs, nos rues avaient un air de la féria de Pampelune, et qu’au petit matin tout un quartier savait qu’on venait de réussir son coup chez Machin. Et je vous laisse deviner la fierté qui nous enfiévrait quand Machin n’était autre que nous-mêmes, je veux dire les grands-parents et leur maisonnée » (Millau, le pays d’où je viens)

Les cochons de la Place de la Tine en 1932. DR

Robert Taurines se souvenait également de ce marché : « Quand arrivaient les premiers froids, la place de la Tine se couvrait de plusieurs castres en planches dont on tapissait le sol de copeaux ou de paille et où les négociants, messieurs Amat ou Grousset, enfermaient les cochons destinés à la vente à la population de Millau. Ces castres étaient la cible de nos jeux et, même quand ils étaient occupés par les habitants auxquels ils étaient destinés, nous gravissions les rambardes et nous nous retrouvions nez à nez avec groins bruyants et nauséabonds, mais le maximum de notre joie éclatait au moment où nous arrivions avec toute notre adresse, et après avoir réprimé l’horreur de l’odeur, à enfourcher ce genre de monture rose et soyeuse et que nous parvenions, avec ô combien de chance et d’équilibre à faire un tour de piste. On n’en faisait pas deux, car l’animal savait se débarrasser de son jockey, qui se retrouvait souvent en prise avec ces espèces d’objets noirs et malodorants qui s’attachaient à nos vêtements et qui nous valaient, en arrivant à la maison, les sarcasmes d’une mère qui ne mâchait pas ses mots et d’un père qui savait trouver un parfait équilibre en nous envoyant dans les fesses un pied alerte et propulsé à vitesse grand V et force assortie, qui nous faisait grincer des dents mais jamais regretter la leçon d’équitation » (Une enfance place de la Tine, Ateliers de la Société d’Etudes Millavoises, 27 mai 2011).

Georges Girard aurait pu ajouter : « Je ne parlerai pas de la joyeuse cohorte des enfants de la Tine, dont je fus, de nos poursuites folles par-dessus les « castres » vides des cochons revenus au bercail qui fournissaient une course d’obstacles de classe olympique, de nos marches acrobatiques sur le rebord glissant du bassin, des nos parties de cache-cache dans tous les greniers, entrepôts, écuries, étables ou caves du quartier » (Tine d’hier et de demain, 1980).

Ce marché aux cochons a depuis, heureusement disparu. Et la Place de la Tine devint « une commune libre » dont les fastes carnavalesques firent affluer sur son sol des foules enthousiastes accourues de tous les points de la ville… Nous y reviendrons.

A suivre…

Marc Parguel

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