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Millau. Leelyan Martinez raconte son voyage aux portes de la guerre, en Ukraine

Leelyan Martinez, 20 ans, a pris part au dernier moment au convoi organisé par Emmaüs pour acheminer du matériel à la frontière ukrainienne. Parti avec son sac et sa seule volonté de « servir à quelque chose », le jeune Millavois a vécu pendant trois jours une expérience humaine hors du commun, de celles qui marquent à jamais une vie. Nous l’avons rencontré à son retour à Millau.

Devant les locaux d’Emmaüs Millau, la veille du départ.

Millavois.com : Comment vous êtes-vous retrouvé à participer au convoi mis en place par Emmaüs ?

Leelyan Martinez : Je ne bosse pas en ce moment. Depuis quelques jours on voyait le conflit en Ukraine partout, et, touché comme tout le monde, je me suis dit que je pourrais donner de mon temps d’une manière ou d’une autre. Comme j’aime énormément conduire, j’ai cherché une place de chauffeur dans un convoi, mais je n’ai pas trouvé. J’ai alors posté un message dans le groupe Facebook « Millavois ». J’ai de suite été mis en relation avec Emmaüs Millau qui cherchait un chauffeur pour le lendemain.

Vous ne connaissiez personne, comment se sont passés les premiers contacts ?

Hervé Durand, le directeur d’Emmaüs, m’a téléphoné jeudi matin (le 3 mars, veille du départ, NDLR). Je me suis rendu à Emmaüs le soir alors qu’ils finissaient de charger les camions. J’ai été super bien accueilli, c’est comme si on se connaissait déjà. Vendredi matin, je suis arrivé à 8h avec mon sac, et après un petit-déjeuner, je suis parti dans un camion avec Léo, que je venais de rencontrer.

Il y a un peu plus de 2.000 km entre Millau et votre destination à la frontière entre la Roumanie et l’Ukraine. La route a dû être longue…

Nous sommes partis vers Rodez où nous avons récupéré l’autre partie du convoi : trois camions d’Emmaüs Rodez et un d’Emmaüs Albi. Ensuite, on a tracé notre route vers Lyon, le tunnel de Fréjus, Turin, Milan, Vérone, Venise, la Slovénie, la Hongrie… Jusqu’à notre point de rendez-vous initial, Halmeu en Roumanie. Nous avions rendez-vous avec les responsables d’une association humanitaire locale, qui se chargeait dans la mesure du possible de passer la frontière. Nous avons roulé non-stop ou presque pendant 36 heures, en ne nous accordant que des petites pauses. En arrivant à notre point de rendez-vous, les responsables de cette association nous ont offert une nuit dans un hôtel non loin de là, à Satu Mare.

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C’est là que les choses se compliquent…

Oui en effet. Ce soir-là, les gens de l’association roumaine nous ont demandé de leur laisser les clés des camions. Le matin, nous avons été réveillés en urgence parce que les Roumains voulaient passer la frontière ukrainienne avec nos camions. Ils nous promettaient de les ramener… Nous n’avons pas voulu laisser sept camions chargés, avec aussi nos affaires personnelles, à des gens que nous ne connaissions pas, du coup on s’est proposé de partir en Ukraine avec eux. Nous étions trois à avoir nos passeports en règle, les quatre autres camions étaient donc conduits par des gens de l’association.

En Roumanie, près de la frontière ukrainienne. (Photo : Leelyan Martinez)

Il n’était pas prévu que vous franchissiez la frontière ukrainienne. Cela a dû être particulièrement… « stressant » ?

L’aller a été très long, malgré le peu de kilomètres que nous avions à parcourir. Nous avons attendu deux heures à la frontière, où nous avons déposé ceux qui n’avaient pas leur passeport. Le contrôle des douaniers roumains a été classique. Cela a été plus long du côté des Ukrainiens. Cela nous a fait bizarre de voir des militaires armés, des maîtres-chiens avec des chiens qui aboient, des barbelés… Tout cela en plus des douaniers. Et dans l’autre sens, on voyait les femmes et les enfants franchir la frontière, parfois à pied avec de toutes petites valises contenant sans doute ce qu’ils ont pu embarquer de leur vie d’avant. Certaines personnes étaient en pleurs. Les plus chanceux franchissaient la frontière en voiture. Les personnes à pied étaient réceptionnées par la police roumaine qui les amenait à l’abri sous des tentes avant de les prendre en charge.

Comment s’est faite la livraison de votre convoi ?

On s’est arrêté une centaine de mètres après la frontière, sur un parking en terre complètement défoncé. Des camions ukrainiens nous y attendaient. Tout allait vite, nous avons fait la chaine pour transvaser d’un camion à l’autre. Les Ukrainiens ne montraient rien, c’était très dur de communiquer avec eux. Nous avons juste un peu échangé avec une dame qui parlait anglais. On a mis 5 minutes à vider le Jumper, 10 minutes pour les gros camions. Comme ils n’avaient pas assez de camions, ils ont fait deux ou trois navettes, ce qui fait que nous sommes restés environ trois heures en Ukraine. C’était frustrant de ne pas en savoir plus, mais au moins nous savons que le matériel a été pris en charge en Ukraine, c’était le but du convoi.

Leelyan Martinez espère revenir un jour en Ukraine.

La mission accomplie, l’heure devait être au soulagement ?

Oui, le retour en Roumanie a été plus rapide, c’était la nuit, et il y avait moins de gens à la frontière. Nos camions (vides) ont été contrôlés pour voir si on n’embarquait pas des hommes ukrainiens qui fuiraient leur pays au lieu de combattre…

Nous avons retrouvé les autres personnes d’Emmaüs une fois en Roumanie, et nous nous sommes arrêtés 2 ou 3 kilomètres plus loin pour faire le point. Il était 22h. Nous nous sommes posé la question de savoir si l’on prenait de suite la route du retour ou si l’on passait une nouvelle nuit à l’hôtel. C’est là que notre convoi a été séparé. Les Ruthénois ont décidé de passer la nuit sur place, avec les Albigeois nous avons tracé notre route sans nous arrêter, juste en nous relayant.

Une sacrée aventure ! Etes-vous prêt à repartir ?

Oui. Bien sûr. Mais si c’est un convoi qui ramène des personnes, il faudrait juste un peu plus de confort, et un peu plus de temps de repos. J’ai passé trois jours shooté au Monster et autres boissons énergisantes… Mais quoi qu’il arrive, je garde l’espoir de revenir un jour en Ukraine. Et que ce soit encore l’Ukraine.

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