Causses et valléesPatrimoine

La croix des Aumières (commune de Millau)

Située au carrefour d’un chemin menant de Millau à La Cadenède et vers Soulobres, une croix attire l’attention. Celle-ci représente un magnifique christ naïvement sculpté expressif par sa forme avec ses grandes mains qui ne sont pas proportionnelles avec son corps.

Sur son socle, elle mesure 1m30 de hauteur et nous indique sa date de naissance : 1826. Elle est sans doute l’œuvre d’un pastre sculpteur comme il y en avait tant au XIXe siècle. J’ai déjà évoqué celui de Sauvebiau, il en existait un autre à Vertables, et il est fort probable que les Aumières hautes en possédaient un.

© Françoise Tichit

Le berger qui servait à cette époque le domaine des Aumières eut une fin tragique comme nous le rappelle ce fait divers de septembre 1844 : « Dimanche dernier, 8 du courant, le nommé Fichon Antoine, berger au domaine des Aumières, s’est noyé en se baignant dans la rivière du Tarn. Deux de ses camarades qui se trouvaient sur les lieux et qui, comme lui, ne savaient pas nager ne purent lui porter aucun secours ; le courant entraîna ce malheureux dans un gouffre, où son cadavre fut retrouvé quelques heures après » (L’Écho de la Dourbie, 15 septembre 1844)

D’où vient ce nom des Aumières ?

D’après Jules Artières : « Les Aumières, anciennement Olmières ou Ulmières vient de Ulmus, ormeau. – Une de ces métairies appartint successivement aux familles del Salès (XIVe siècle), Chaffary (XVe siècle) et de Gualy (XVIe et XVIIe siècles) ; l’autre aux Boulcier (XVe et XVIe siècles) et à Me Dartis, docteur et avocat (1668). La première donnait 6 setiers avoine et 10 sous au Roi, et 1 quarte ½ de grains à la Commanderie Saint-Jean.

Publicité

Sur le territoire des Aumières se trouvent les lieux-dits suivants qui méritent d’être mentionnés : Aquilevia, Torsi Morre, Piadeloup.

Le poète Claude Peyrot place aux Aumières la scène d’une de ses poésies patoises : Coumplimen del bossibio de los Oulmieyros o Modamo de Goli. » (Messager de Millau, 23 février 1907).

Nous sommes ici au cœur du « Pays Maigre », ce pays si bien décrit par Édouard Mouly (1883-1964). Le pays maigre n’est pas un nom cadastral, c’est un nom populaire donné à tout le terroir qui s’étend du ruisseau de Ladoux au Tarn et de Soulobres à Millau.

C’est le pays « de la pierre ». Ces vastes étendues aux noms évocateurs « crève cheval » ce chemin ravin couvert de pierres, évidemment bien dur pour les animaux de trait, mais aussi Combeléon, Combecalde, la Croix vieille… se composent en général d’une terre légère, assez peu épaisse, et dont tout le dessous est constitué par un calcaire bleu, très régulièrement stratifié, donnant une belle pierre qui a servi à bâtir une grande partie de Millau. D’ailleurs, la majeure partie a été extraite des deux côtés de la route des Aumières.

Le 27 février 2022. © Marc Parguel.

Revenons-en à notre croix. Edouard Mouly (1883-1964) l’évoque en 1941 dans ses souvenirs de jeunesse lorsqu’il cherchait des oreillettes : « Il nous arrivait de faire halte souvent au même endroit. C’était un peu au-dessous de Soulobres, à un carrefour où un chemin se dirige vers Millau, un autre vers Soulobres et un troisième vers la Cadenède. Il y a une croix rustique, en pierre, d’un seul bloc, portant la date de 1826. Des vandales la brisèrent une fois, mais elle avait été restaurée et remise en place.

J’aimais ce coin. Au pied de la croix, si la bise soufflait, protégé par un clapas et des buissons, il faisait bon au soleil. À nos pieds, s’ouvrait et s’élargissait un petit vallon, au bout duquel on voyait, comme dans un cadre, une partie de Millau et la vallée de la Dourbie.

Si l’on jetait les yeux à l’Ouest, c’était toute la région de Saint-Georges-de-Luzençon qui apparaissait. Et, devant nous, c’était le déroulement des vignes du Pays Maigre, dans la richesse des couleurs que leur donnait l’automne. Et mes yeux cherchaient le carré blanc de la maisonnette de Combeléon ou la tache sanglante d’une vigne vierge qui habillait de sa splendeur, le pauvre oustalou des quatre chemins… il y avait, non loin de la croix, poussé en plein clapas, un sorbier.

Qui en était propriétaire ? Je ne sais. Mais à ce propriétaire inconnu je dois un aveu. Il n’a pas mangé, à cette époque-là, tous les fruits de son arbre. Sur les sorbes tombées à terre et mûries par la rosée, j’ai prélevé une terrible dîme. De ce méfait, je n’éprouve nul remords. Il me serait si agréable de le commettre à nouveau. » (Aux oreillettes, Alades, Contes, souvenirs, récits de Mylou du Pays Maigre, 1948).

Marc Parguel

 

Bouton retour en haut de la page