Patrimoine

Patrimoine. Ces métiers disparus : le marchand de peaux de lapins

De loin on l’entendait, le plus souvent le dimanche matin criant « « Peaux ! Peaux de lapins ! Peaux ! »

Si certains arrivaient à pas feutrés, lui se faisait remarquer : il claironnait sa venue au moyen d’une trompette stridente qui soulignait ses clameurs : « Pels dé lèbrés, pels dé lopins ! »

Tel était l’appel du Pelharòt (lo pelhaire) qui, passant de maisons en maisons, une trompette dans une main, un bâton dans l’autre et un sac sur l’épaule, venait parfois avec sa charrette ou accompagné d’un gros chien Saint-Bernard tirant une carriole. Il apparaissait quelquefois poussant un vieux vélo attelé à une remorque disparaissant presque sous un monceau de peaux.

En 1905.

Le pelharòt était un colporteur (chiffonnier) qui collectait dans la campagne les chiffons, tissus, peaux de lapins ; la plume, le duvet, les cheveux, etc. les « déchets », le tout premier recycleur. Il s’agissait d’un métier itinérant et difficile.

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Juliette Andrieu, de Saint-Germain, aimait à ce souvenir de ce trafic d’antan :

Dans les maisons, on n’avait pas attendu son passage, pour rassembler tout ce qui pouvait l’intéresser ; Peaux de lapins plus nombreuses que celles de lièvres, peaux d’agneaux tendues sur des arceaux d’osier, peaux plus importantes de brebis sacrifiées au cours de la moisson et du battage. A ce lot s’ajoutaient les débris de cuivre, de plomb et d’étain, la ferraille, les chiffons, les plumes et duvets, la cire des abeilles, les soies du cochon…Tout devenait brocante. (Figure du passé, Journal de Millau, 3 mars 1978).

C’était l’époque où, à la campagne, dans les fermes comme dans les maisons du bourg, chaque famille élevait quelques lapins dans des clapiers, nourris sans frais avec les épluchures ou l’herbe ramassée le long des routes. Des lapins que la femme de la maison tuait elle-même selon une technique immuable qui avait fait ses preuves. C’était le plat favori du dimanche !

Lorsqu’elle avait décidé de préparer un civet, elle saisissait dans le clapier le plus gros mâle. Après l’avoir assommé par un violent coup de trique derrière les oreilles, elle lui arrachait un œil avec son couteau puis récupérait le sang dans un récipient contenant un peu de vinaigre pour éviter qu’il ne se coagule. Toute l’opération se déroulait sous le regard indifférent des enfants, habitués depuis toujours à ce curieux spectacle.

Quant à la peau, objet de tous les soins, elle était retirée avec dextérité, un savant déshabillage qui laissait la malheureuse bête à nu, tous muscles à l’air. Retournée, enfilée sur une baguette d’osier, cette peau était ensuite mise à sécher sous le hangar.
Le dimanche, au bruit de la voix et au son de la trompette, signal si redoutable pour les enfants qui prenaient peur à la vue du Pelharòt, et qui partaient se cacher, la ménagère, elle, sortait avec les dépouilles qu’elle avait mise de côté en attendant son passage. Le marchand de peaux de lapins retirait la baguette d’osier, examinait les peaux, les empoignait, les tâtait, les soupesait faisait la moue puis une discussion s’engagea où, sous par sous, l’un marchandait pendant que l’autre essayait d’en tirer le meilleur prix. Le pelharòt annonçait un prix ridiculement bas, la femme protestait, levait les bras au ciel, et après une longue discussion sur la qualité, finissait par récupérer une petite pièce de monnaie. On appelait ça saoudéjar, faire des petits sous.

Le marchand de peaux de lapins (Carle Verne) Musée Carnavalet

Voici les souvenirs de Juliette Andrieu sur le sujet :

« C’était entr’elle et le « Pelharòt » un affrontement des plus pittoresques. La première vendait la qualité de sa marchandise pour en obtenir le plus haut prix ; le second cherchait à la déprécier pour l’avoir au rabais, y trouvait toujours quelques défauts : mites dans le poil, vermine dans la peau, impuretés dans la cire, brindilles dans les soies… En même temps, il la jaugeait « à l’estime » et de peur d’être dupé, sortait la « romaine » accrochée à sa ceinture. Avant de peser et tout en s’excusant, il tâtait les chiffons, les plumes et les duvets…après ce préalable, il proposait un prix que la ménagère n’acceptait pas, alors il reculait de quelques pas, faisait semblant de s’éloigner, puis avançait d’autant pour marchander encore, lorsque la ménagère imperturbable le menaçait de faire appel à un concurrent plus généreux. Après tout, lui disait-elle : « Vous n’êtes pas le seul dans la contrée à savoir chanter « Pelharot » ! Après cette mise en scène un peu burlesque, les deux parties se mettaient d’accord en partageant la poire en deux et le marché se concluait le plus souvent autour d’un doigt de vin cuit ou de goutte maison » (Figure du passé, Journal de Millau, 3 mars 1978)

Si la plupart du temps, le dimanche à Millau, c’était la course des enfants pour aller chercher des peaux de lapin et les vendre au Père Carrié qui passait dans les rues, dans les campagnes c’était tout autre chose, les enfants tremblaient à la vue de cette corporation de chiffonniers.

D’où venait cette peur qu’avaient les enfants à la vue du Pelharòt ? Une dame âgée a raconté cette anecdote :

« On nous disait qu’il achetait les peaux de lapins mais qu’aussi, à l’occasion, il prenait les enfants qui n’étaient pas sages. Alors pensez ! Une fois le marché conclu, mon aïeule comptant et recomptant les sous dans la main, le petit homme enfermait les peaux de lapin dans son sac et disait brusquement :
– Vous n’auriez pas une petite fille à me donner par hasard ?
Moment horrible pour moi qui ne perdait pas un mot de la conversation. Je tremblais de la tête aux pieds…enfin j’entendais la voix de ma grand-mère lui répondre :
– Ça va ! Ça va pour cette fois ! Mais il faudra qu’elle devienne plus sage, sinon la prochaine fois je vous la donnerai avec plaisir.
Aussi, le petit homme était à l’origine d’un bien meilleur comportement des enfants après son passage dans le village. »

Extrait de l’ouvrage « Les Français peints par eux-mêmes » (Curmer, 1842)

Les affaires conclues, le marchand chargeait ses nouveaux achats sur son dos avec un art d’équilibriste : les peaux malodorantes formant bannières au bout d’une perche, le reste dans des couffins ou des besaces et s’en retournait, silhouette informe et alourdie vers d’autres butins, imperturbable, il continuait sa tournée !
C’était un métier où l’on s’égarait parfois, surtout quand on passait en ville, à Millau, comme nous le rappelle cet avis paru dans la presse d’autrefois :

Le sieur André Mazet, fils, marchand de peaux de lapin, de vieux chiffons et d’almanachs est un bon garçon qui donne cependant beaucoup de soucis à sa pauvre mère. Son grand défaut est de visiter trop souvent les cafés et les cabarets, où il finit par laisser ses épargnes et quelquefois celles de sa vieille mère. Il prie instamment les limonadiers et cabaretiers de lui refuser toute espèce de jeu, leur déclarant qu’il ne leur paiera pas les consommations qu’il pourrait y perdre. (Echo de la Dourbie, 10 janvier 1857)

Le repos du Pelharot

Au début du XXe siècle ; la France occupe la première place en matière d’artisanat autour de la peau de lapin. L’industrie du chapeau de feutre était en plein essor et 80 millions de peaux étaient ramassées à cette époque.

Lo pelharòt passait à Millau pour vendre ses marchandises. Edouard Mouly nous le rappelle : « Parmi les hommes, un grand, gros, portant suspendue à son cou, par un lacet de cuir, une petite flûte de Pan, dont il jouait, ma foi, fort bien, envoyait après son air de flûte une longue tirade : « Pelharot ! Pelharot ! et dé pelho dé touto quolitat, cal n’o, cal né balho mai ? Pel de lèbre, pel de lopin » (Alades, 1948).

La peau de lapin était principalement revendue aux chapeliers pour la confection de chapeaux de feutre.

Les poils servaient à faire du feutre et la peau à faire de la colle, produit bien connu des artistes peintres.

Tout ce temps-là est révolu, le Pelharòt a disparu. On ne le reverra plus jamais avec son bâton, sa trompette et son petit sac crier « Pel dé lèbré, pel dé lapiiiinnnn ! ».

Marc Parguel

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