Causses et vallées

Le pèlerinage de Saint-Etienne-du-Larzac

A 300 mètres à l’est de l’église de Saint-Etienne-du-Larzac, il y a une petite source de type vauclusien, l’eau sourd au fond d’une petite mare et le trop-plein alimente au-dessous une petite lavogne.

Cette source aux vertus miraculeuses bien attestées devait déjà être connue et utilisée bien avant l’apparition du christianisme. On retrouve à quelques dizaines de mètres de ce point d’eau les traces d’une occupation gallo-romaine. L’abbé Frédéric Hermet (1856-1939) pensait que la source initiale était un peu plus haut sur la pente au nord et devait avoir fait l’objet d’un culte très ancien, il l’a cherchée, mais il n’en a jamais trouvé trace.

La population du Causse et de la vallée du Cernon y venait autrefois en grand nombre en Pèlerinage le lundi de Pentecôte et dans cette eau, on plongeait les petits enfants malades en retard pour la marche ou pour les personnes atteintes de maladies diverses des membres inférieurs.

Le pèlerinage vers 1960 (© Claudine Villaret)

 Robert Aussibal nous donne des renseignements sur la façon dont se déroulait le pèlerinage : « Selon l’usage, on faisait dire une messe et l’on amenait l’enfant à la source. Là, on lavait les jambes et les pieds, parfois tout le corps, avec un mouchoir ou une petite chemise imbibée d’eau. Ceux-ci étaient abandonnés, après usage, dans le fond même de la source. Les adultes et les jeunes se lavaient eux-mêmes le visage, les bras et les jambes.

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La procession partait à 14 heures de l’église. Certains pèlerins attendaient à la source. Là, prières et chants alternaient et, après l’homélie, on vénérait les reliques. Les ablutions pouvaient avoir lieu à la suite ou n’importe quand ». (Témoignage extrait de l’ouvrage « les Saints du Rouergue » par Jean Delmas, 1986).

(DR)

 Une stèle surmontée d’une croix rappelle les bienfaits de cette source. On peut lire sur la plaque émaillée « Eau de St Etienne, bienfaisante aux petits enfants. Saint-Etienne priez pour nous et pour les petits enfants malades. »

La croix en fonte de fer est datable du début du XXe siècle. L’iconographie est classique. A la base un ange de face écarte les bras. Il est surmonté d’une grappe de raisin (le vin, sang du christ). A la croisée des branches, une colombe pique vers le bas (Il vit l’Esprit descendre sur lui comme une colombe).

Autrefois pratiqué en août, le pèlerinage fut déplacé à la Pentecôte. Le plus ancien témoignage nous est rapporté par le Baron de Gaujal (1772-1856)  en 1839 : « L’église de Saint-Etienne, quoique depuis longtemps en ruines, n’en est pas moins encore l’objet d’une vénération et même d’une dévotion générale. Tous les ans, le 3 août, jour de l’invention du corps de Saint-Etienne, une procession très nombreuse, où l’on se rend de fort loin, y va de l’Hospitalet ; et jadis les mères des enfants rachitiques les y portaient avec empressement, parce qu’elles croyaient trouver dans les eaux d’une fontaine voisine la guérison de cette infirmité. » (Etudes historiques sur le Rouergue, 1839).

Ce pèlerinage fut déplacé par la suite au lundi de Pentecôte. On ne monta plus à l’église, les processions s’arrêtèrent à la source miraculeuse. Durant cette période de l’année, la paroisse de l’Hospitalet célébrait donc Saint-Etienne et ce, jusque dans les années 1970.

La procession prenait forme à la sortie de l’église. A 15 heures, derrière le prêtre, les enfants de chœur, la chorale, ainsi que de nombreuses personnes des villages du Larzac, rejoignaient la source de Saint-Etienne,  dans un lieu verdoyant entouré de bois.

Le pèlerinage vers 1960 (© Claudine Villaret)

 Après la bénédiction, il était de coutume que les parents lavent les jambes et les bras de leurs progénitures, le tissu qui avait servi à laver restait à la source. Les adultes en faisaient de même.

Témoignages

De Mmes Bourgeois, Vialettes et Castanié, de Saint Jean d’Alcas : « On trempait les enfants dans la source pour que leur croissance fût facile. On y venait aussi pour ce qu’on appelle aujourd’hui les allergies. Les patients s’y lavaient et jetaient leurs pansements dans la source ».

D’Etienne Paloc : « J’y suis allé une fois à la procession, à pied de l’Hospitalet à cette source avec le curé Hermet et les hommes. Tout était en règle : les hommes devant, les femmes derrière et lui au milieu. Nous allions faire la procession pour les petits enfants qui mettaient du temps à marcher. Ils leur trempaient les pieds dedans, ça les rendait dégourdis ! Voilà. » (Al Canton, 2000)

De Jean Geniez qui fut maire du village et conseiller général de Cornus : « Un autre souvenir que je garde au fond de ma mémoire, c’est celui d’une expédition à Sent Estébé, là-haut sur le plateau, à mi-chemin entre Sainte-Eulalie et l’Hospitalet. J’avais largement dépassé l’âge où normalement un gamin marche tout seul, mais d’après ceux qui avaient mission  de veiller sur moi, tout en étant assez turbulent, je n’étais pas pressé de faire mes premiers pas. Pourtant tout le monde me trouvait assez costaud, même peut-être un peu trop.

Le fait est que je n’arrivais pas à trottiner correctement. Alors, en se fiant d’abord à la légende et en étant persuadée que Saint-Etienne ferait pour mes jambes plus que les « pountigos » du médecin, ma famille décida de me conduire à la source miraculeuse de Saint-Etienne. Le curé Privat, le jour de la Pentecôte, y guidait ses ouailles en grande procession. Ce pèlerinage annuel était particulièrement voué aux petits-enfants atteints de rachitisme ou de maladies des membres inférieurs. Les proches lavaient les jambes et les pieds, parfois tout le corps des malades avec un mouchoir ou une petite chemise imbibée d’eau qu’ils abandonnaient ensuite au fond de la mare. Certains emportaient de l’eau à domicile et ceux qui avaient accompagné les enfants se lavaient le visage, les bras et les jambes. Mes jeunes tantes, toutes joyeuses de me véhiculer, m’installèrent dans une poussette et voilà le petit attelage qui s’aventure sur une route empierrée et semée de nids de poule que quatre roues trop petites avaient bien du mal à franchir. Dans l’enthousiasme des chants du cortège, mes accompagnatrices me poussaient, me tiraient et tant bien que mal essayaient de suivre la grande marche qui allait de l’avant. Mais, sur un véhicule dépourvu de toute suspension, les secousses et les soubresauts dus aux accidents du chemin devinrent vite pour moi une épreuve. Alors, en ayant vraiment le sentiment de porter à bras le corps tout le poids des cailloux de la route et comme si je voulais alléger une embarcation qui risquait de couler sous le poids des difficultés, je balançais jouets et colifichets par-dessus bord. Et en même temps je braillais : portez-moi, parce que les cailloux sont trop lourds ! »… On ne sait si le petit Jean a pu consolider ses os grâce à l’eau prodigieuse de Saint-Etienne, mais ce dont on est sûr, c’est que de bonnes jambes lui permettront de faire son chemin » (De l’angélus du matin à l’angélus du soir, Journal de Millau, 26 mars 2015).

A la fin de la cérémonie, un dernier cantique était déclamé «  Fils du Larzac, » un champ oublié, mais dont Mme Balmefrezol de l’Hospitalet avait conservé pieusement les paroles : « Enfants du Larzac, la sainte croyance, Fils de nos aïeux un peuple d’élus. Et la Foi chez nous garda l’espérance, Et la charité reine de vertus. »

D’autres se souviennent de ces paroles : « Fils du Larzac, gardez fidèles les traditions des vieux chrétiens ». Le couplet disait : « A l’Hospitalet Sainte Madeleine, obtenez le don d’un vrai repentir, au cœur des enfants gardez Saint-Etienne, gardez la candeur, daignez les guérir ». Au retour, du pèlerinage, c’était la partie de pétanque sur la place pour les hommes (D’après Souvenirs de Pentecôte, Midi Libre, 25 mai 2008 et 20 mai 2016).

La source fut par la suite abandonnée et longtemps cachée dans les broussailles. Sans protection, envahie par les buis et les ronces, elle était constamment polluée par le bétail.

La stèle séparée de sa croix en janvier 2017. (DR)

En début d’année 2017, la stèle devant laquelle tant de processions se déroulaient se sépara de la croix lors de la chute d’un arbre. La croix fut récupérée pour être restaurée. Les ronces qui envahissaient le tour de la source ont été enlevées et les saules élagués et nettoyés.

Le lundi 10 juin 2019, l’APAHL (Association pour le patrimoine archéologique et historique du Larzac) a procédé à l’inauguration de la restauration de la croix et des environs de la source miraculeuse de Saint-Etienne. Lors de l’inauguration, le président de l’association a tenu à préciser que « cette ancienne procession appartient incontestablement au patrimoine local et nous reprenons symboliquement sa date traditionnelle, le lundi de Pentecôte, pour inaugurer cette restauration, en lien avec les communes de Sainte Eulalie et de l’Hospitalet. »

Xavier Perrier et Francis Jeanjean le 10 juin 2019. (DR)

 Marc Parguel

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