Gastronomie

L’aligot, un plat de légende venu de l’Aubrac

Plat de légende venu de l’Aubrac, l’Aligot fait désormais partie intégrante de notre patrimoine culinaire. Il n’y a qu’a voir lors des marchés nocturnes, la longue file d’attente de personnes friandes de ce délicieux met des jours de fête. Retour sur l’histoire de cet étendard de la gastronomie aveyronnaise avec Marc Parguel.

La recette de l’aligot, telle que nous la préparons aujourd’hui, n’est pas antérieure à la fin du XVIIIe siècle, et ceci pour la simple raison que la pomme de terre ne fut répandue en France qu’en 1770. Auparavant, à la place des patates, on mélangeait le fromage avec de la mie de pain.

Quoi qu’il en soit, on ne peut renier la paternité de ce plat à l’Aubrac.  Cette région était autrefois un lieu de passage obligé, entre le Puy en Velay et Conques pour les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle.

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Un nom qui viendrait de « quelque chose »…

L’histoire raconte qu’en 1120, un comte de Flandre, Adalard, qui se rendait en pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle, affronta à l’aller des brigands et au retour une tempête de neige dans cette contrée peu hospitalière. Ayant survécu à cette double épreuve, le pèlerin fit vœu d’édifier un monastère en ce lieu désolé et désertique.

Quelques années plus tard, une domerie, la toute première, s’élevait à Aubrac. Dès lors, cette étape devint une halte privilégiée des pèlerinages vers l’Espagne : des chevaliers escortaient les voyageurs, des religieux les accueillaient et les restauraient. Nombreux étaient donc les pèlerins qui frappaient à la porte du monastère, pour demander quelque chose à manger. C’est ce « quelque chose » aliquod en latin, qui, déformé, aurait donné son nom à l’aligot. Au départ, les moines n’offraient aux affamés qu’un simple morceau de pain et du fromage.

A la même époque, les moines fixaient des règles dans l’élevage bovin particulier à cette région (race Aubrac). Ainsi, la fabrication du fromage Laguiole est issue d’un cheptel sélectionné. A la suite des moines, ce sont des buronniers, des hommes qui montaient des villages pour conduire les bêtes en estive sur ces hauts plateaux pendant cinq mois, fabriquant le fromage, qui ont perpétué la recette de l’aligot.

Comme ils n’avaient pas le droit de consommer le fromage de Laguiole élaboré, ils détournaient la tome fraîche, caillée pressée non salée, légèrement fermentée, considérée comme un sous-produit, pour préparer leur aligot (d’après Fondre pour l’Aubrac, Midi Libre, 16 août 2013).

La pomme de terre aurait, dès la fin du XVIIIe siècle, remplacé le pain, et le plat le plus réputé du Nord-Aveyron aurait ainsi vu le jour. (D’après Patricia Auger-Holderbach, La cuisine paysanne en Rouergue, 1992).

Une légende évoque la création de l’aligot à travers la rencontre des trois évêques de Rodez, Mende et Saint-Flour, au croisement de trois départements. A l’heure du repas, chacun aurait apporté un ingrédient : la tome du Rouergue, les pommes de terre d’Auvergne, le beurre et le lait du Gévaudan.

L’aligot est donc devenu une purée de pommes de terre mariée à de la crème et de la tome fraîche qu’il faut travailler très longuement afin d’obtenir la texture parfaite. Il est de coutume d’y ajouter un peu d’ail. L’aligot n’est pas seulement un repas qui tient au ventre, « il tient en sympathie », dit-on. Autrefois plat de subsistance, il est aussi devenu un plat de fête, appelé le repas de l’amitié. Plat unique, il peut aussi accompagner une viande rouge d’Aubrac.

Quand l’aligot conquiert Paris

Un poème publié en 1875 par l’abbé Remize, curé de Bozouls, nous donne un magnifique aperçu sur le sujet dont voici quelques lignes :

Célébrons l’Aligot inconnu de nos villes, Disons  comment de tomme et de crème apprêtées, Il donne à nos bergers la force et la santé, On unit, quand le pain la disette est extrême, l’humble pomme de terre, à la tomme, à la crème, bientôt le feu pétille et la vase d’airain, Reçoit l’unique mets de l’agreste festin. »

Au fil des ans, l’aligot deviendra le plat du vendredi, jour maigre. Dès lors que Jean XXIII supprime l’obligation du maigre le vendredi, l’aligot disparaît progressivement des tables rouergates. Pour préserver cette tradition déclinante, mais surtout pour perpétuer le savoir-faire des buronniers, se crée à la fin des années 1950 la coopérative jeune Montagne à Laguiole, laquelle proposera la tome fraiche indispensable à la réalisation de ce plat emblématique.

C’est à cette époque que l’aligot conquiert Paris. Ce plat fit un triomphe au « Salon des Arts ménagers » en 1959. Triomphe de l’Aligot et triomphe aussi de la reine Germaine. L’aligot file si long… qu’il faut monter sur une chaise pour satisfaire son besoin de « s’étirer ».

Un magnifique diplôme, en bonne place dans son grand hôtel d’Aubrac, perpétue ce haut fait (d’après l’Abbé Germain Barthelemy, Aubrac, l’aligot ruban de l’Amitié, 1995). Aujourd’hui encore, il est souvent au menu des repas amicalistes.

Et voici la recette

Pour six personnes : 1 kg de pommes de terre vieilles de préférence, 500 grammes de tome fraîche de l’Aubrac, 200 grammes de beurre, 200 grammes de crème fraiche, 1 gousse d’ail sel.

Simple en apparence, cette recette demande pourtant une certaine dextérité. En effet, la difficulté consiste à battre l’aligot le temps nécessaire, mais pas plus, sinon la préparation « casse ». Par ailleurs, si le mélange chauffe trop, la préparation granule et ne file plus.

En restauration, on triche parfois en incorporant un peu de lait et de lard fondu pour faire « tenir » l’aligot, mais c’est contraire à la tradition. Si on préfère, on peut frotter la terrine de service avec une gousse d’ail plutôt que d’en mettre dans la purée.

Préparation et cuisson : Faire cuire les pommes de terre avec leur peau, à l’eau salée, 20 à 30 min selon leur grosseur. Pendant ce temps, couper la tome en fines lamelles (ne pas la râper).

Dans une terrine de service en terre, sur feu le plus doux possible (ne pas oublier d’interposer une plaque) ou mieux encore sur le coin du fourneau, mélanger le beurre, la crème et l’ail haché. Saler seulement si le fromage est trop fade.

Quand les pommes de terre sont cuites, les peler et les passer brûlantes au presse-purée (surtout ne pas utiliser le mixeur qui rendrait la purée caoutchouteuse). Verser dans la terrine contenant le mélange beurre-crème et battre énergiquement.

Incomporer le fromage d’un seul coup et continuer à battre vigoureusement en soulevant franchement la masse (et surtout sans touiller).

Dès que la préparation « file » en formant un ruban homogène, l’aligot est prêt. Servir immédiatement afin que l’aligot ne « casse » pas.

(Extrait de l’inventaire du patrimoine culinaire de France, Midi-Pyrénées, produits du terroir et recettes traditionnelles, Albin Michel, 1996)

Marc Parguel

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