Patrimoine

Les aventures du Millavois Louis Testory, aumônier militaire dans les armées de Napoléon III (2/4)

De la naissance de Louis Testory à son embarquement pour le Mexique

Avant de venir s’installer à Millau avec sa famille en 1759, Antoine Testoris (ancienne orthographe de Testory) a été fermier du Seigneur de Montalègre dont le château se dresse dans la vallée de la Sorgue. Son fils Pierre donne une nouvelle orientation à la famille Testory en devenant mégissier, mais c’est son petit-fils Paul-Louis qui va créer en 1820 la mégisserie Testory sur les bords du Tarn, quai Saint-Antoine.

Il a 40 ans et il est marié à une Creisselloise, Jeanne Fossemale. Paul-Louis et Jeanne ont déjà deux filles, Joséphine et Rose, lorsque le 16 mai 1822 naît Louis. Toute sa vie, Louis gardera une affection profonde et témoignera d’une grande tendresse pour tous les membres de sa famille, quoique, dès l’âge de 10 ans, il ait été envoyé pensionnaire à Paris, au Petit Séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet dont le Supérieur est l’Abbé Dupanloup qui dépend hiérarchiquement de l’Archevêque de Paris, Monseigneur Affre.

Doté d’une solide santé, Louis se montre endurant, studieux, gai et enthousiaste, mais peu enclin à la contemplation. Il va faire toutes ses études à Paris puisqu’en 1844, à 22 ans, il entre au Grand Séminaire de Saint-Sulpice dirigé par Monseigneur Affre. Ces deux personnages, hors du commun, Monseigneur Dupanloup et Monseigneur Affre, qui se détestaient, ont eu une influence déterminante sur la formation intellectuelle et morale du séminariste. Ces deux influences vont se compléter avec bonheur. De son passage au séminaire, Louis va conserver toute sa vie :

  • un caractère affirmé
  • l’amour des humbles, mais une aisance naturelle vis-à-vis des grands de ce monde,
  • un optimisme permanent, mais réaliste,
  • une ténacité à toute épreuve, voire un entêtement,
  • enfin, un sens de l’honneur sur lequel il ne transigera jamais.

Il est ordonné prêtre le 2 juin 1849. Après avoir fait durant quelques mois un remplacement à Boulogne, il est nommé vicaire à Montreuil-Sous-Bois le 23 mars 1850. Dans ses premières lettres comme dans toutes celles qu’il écrira à sa famille, le caractère optimiste de Louis Testory transparaît : il va toujours bien et ne se plaint jamais de ses conditions matérielles. Il aime la vie et la bonne chère, d’ailleurs, il se fera envoyer régulièrement du roquefort, des saucissons et même des « capucins ».

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Le 26 mai 1855, le père de Louis, Paul-Louis, décède à l’âge de 75 ans. Il habitait chez son gendre devenu son associé, Benjamin Balsan, le mari de Rose. Louis avait déjà perdu sa mère, Jeanne Fossemale, décédée le 15 janvier 1840, à l’âge de 48 ans.

L’église Saint-Gervais

L’avenir ecclésiastique de Louis semble prometteur, puisque son curé est content de lui : les sermons qu’il donne dans les différentes églises de Paris, notamment à l’église Saint-Gervais, sont appréciés. Sa voie est donc toute tracée : après l’apprentissage devraient venir les nominations dans les grandes cures parisiennes, puis différentes fonctions à l’archevêché de Paris pour qu’il obtienne en fin de sacerdoce son bâton de maréchal, c’est-à-dire, un évêché de province.

Pourtant les années défilent. Louis est à Montreuil depuis déjà 5 ans et il est toujours vicaire. La routine s’installe. Cette situation ne lui convient pas. Il va réagir énergiquement en optant pour l’aventure.

Le 27 mars 1854, la France déclare la guerre à la Russie. Louis Testory se porte volontaire pour partir en Crimée comme aumônier militaire. Sa demande est refusée, mais il la renouvelle en 1855. Cette fois-ci, il obtient satisfaction.

Le Chaptal

Il embarque à Toulon sur le « Chaptal » ; le 8 août 1855. Dans ses lettres, le bonheur de Louis Testory transparaît. Le bateau fait escale à Malte. Après avoir dit une messe à l’église Saint-Jean, Louis en compagnie d’officiers visite la ville. Les habitants le prennent pour un évêque, et comme il est sensible aux honneurs, cette marque de déférence lui plaît. La gloire par l’éducation quasi aristocratique qu’il a reçue sera toute sa vie une des motivations de son action, mais une gloire sans vanité.

Le Général Pélissier

Après une nouvelle escale à Constantinople, Louis arrive à Sébastopol le vendredi 7 septembre 1855. Le soir, il dîne avec le général Dulac commandant la 4e Division dont il est l’aumônier. Après le repas, le général donne ses ordres à ses officiers supérieurs, car l’assaut des troupes alliées doit avoir lieu le lendemain. Louis Testory va recevoir le baptême du feu.

Le Général Pélissier qui commande l’Armée d’Orient décide de s’emparer de la tour Malakoff qui est la clef de la défense de Sébastopol.

Elle est protégée par les fortifications appelées « le Petit Redan » et « le Grand Redan ».
Conduit par le Général Dulac, le Bataillon des Chasseurs à Pied de la Garde Impériale s’empare du « Grand Redan » au prix de lourdes pertes, dont celle de son Commandant, le Chef de Bataillon De Cornulier-Lucinière. N’étant plus protégée, la tour Malakoff est prise par les Zouaves le 8 septembre 1855. Les Russes quittent Sébastopol le 11 septembre 1855 après 332 jours de siège. Durant la bataille, Louis a porté secours aux blessés, mais il s’est surtout distingué en ramenant sous la mitraille, le corps du Général Saint-Pol dont il célèbrera les obsèques.

la Tour Malakoff est prise par les Zouaves le 8 septembre 1855.

A son ambulance, c’est-à-dire l’hôpital de campagne, il s’occupe avec abnégation et dévouement de 500 à 600 blessés. Parmi eux, je cite Louis Testory, « se trouve, le fils de Monsieur Darde, conducteur de diligence à Millau. Il est blessé à la jambe, mais la blessure n’est pas grave ». Comme il le fera dans toutes ses campagnes, il donne dans ses lettres des nouvelles des soldats aveyronnais. Beaucoup n’auront pas la chance du jeune Darde car les pertes sont très élevées (140.000 chez les alliés), et le choléra, la dysenterie, le typhus et la malaria font autant de victimes que les combats. Il meurt environ 200 malades chaque jour. Je cite Louis : « Après la prise de Sébastopol, notre armée fut ravagée par un typhus épouvantable, plus redoutable que les boulets et la mitraille du fort Malakoff, plus meurtrier que le feu et le fer des Russes ». Le rapport du médecin militaire Jean-Charles Chenu révèle que 75.000 des 95.000 victimes françaises de la guerre de Crimée ont succombé aux maladies. Les inhumations collectives s’effectuent par « quarantaines » dans des fosses immenses devant laquelle Louis prononce les dernières prières.

Après avoir vécu une existence paisible comme vicaire à Montreuil, Louis est confronté à la violence, à la barbarie, à la boucherie de la guerre. Dans chacune de ses lettres, il s’efforce néanmoins de rassurer sa famille en affirmant que sa santé est toujours très bonne.

Pourtant les mauvaises conditions de vie, les dures intempéries, la fatigue vont avoir raison de la forte constitution de l’aumônier.

Le général d’Allonville

Atteint par le typhus, il est évacué sur l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Constantinople. Durant un mois, Louis qui lutte contre la mort voit partir autour de lui ceux qui partagent les mêmes souffrances dans la salle réservée aux aumôniers, aux médecins et aux infirmiers. Il l’écrit dans son ouvrage intitulé « L’Aumônier Militaire », je cite : « … Déjà cinq aumôniers étaient morts du choléra, neuf étaient à l’hôpital de Constantinople, malades du typhus. Sur ce nombre, je fus sauvé moi troisième ; les six autres, dans une seule semaine, descendirent deux par deux dans la tombe, en sorte que pendant le premier trimestre de l’année 1856, c’est-à-dire lorsque notre armée, épuisée par un long siège de onze mois et un hiver rigoureux, perdait ses hommes par centaines, il n’y avait dans toute la Crimée, pour deux ou trois cent mille combattants et une quinzaine d’hôpitaux ou ambulances, que quatre ou cinq aumôniers à demi-épuisés par le travail, les privations et la maladie… »

Sur la médaille, les inscriptions des batailles : Alma et Sébastopol.

Guéri, Louis demande une affectation rapide en Crimée. Pendant son indisponibilité, l’armistice et la paix ont été signés respectivement le 5 et le 30 mars 1856. Plusieurs divisions de l’armée ont donc été rapatriées en France. Louis est affecté dans la division de Cavalerie commandée par le général d’Allonville et cantonnée à Eupatoria. Le 16 mai, Louis apprend à sa famille qu’il a quitté cette ville le 3 mai pour rejoindre le port de Balaklava d’où il doit embarquer pour la France.

Avant son départ, il reçoit la médaille commémorative de la guerre de Crimée qu’il arbore fièrement. Instituée par la reine Victoria, elle a été décernée à tout combattant anglais et français qui a participé à la campagne de Crimée. Sur son ruban sont agrafés les noms des grandes batailles.

Après 10 mois de présence en Crimée, Louis embarque le 5 juillet pour la France. Il fait partie du dernier convoi dont les bateaux lèvent l’ancre à 17 heures. Le 7 juillet, il profite de l’escale à Constantinople pour aller saluer les bonnes soeurs qui l’ont si bien soigné à l’hôpital de Saint-Vincent-de-Paul. Le 13 juillet, l’île de Malte apparaît. Un an après son premier passage à Malte, Louis se rend à nouveau à l’église Saint-Jean.

L’église Saint-Jean.

Le bateau appareille dans l’après-midi et le 17 juillet à 11 heures, il jette l’ancre dans le port de Marseille.

Comme aucun aumônier militaire n’est prévu en temps de paix, Louis est licencié le 18 juillet. Redevenu Monsieur l’Abbé, il arrive à Paris le 20 du mois et sollicite une audience à l’Archevêché pour rencontrer Monseigneur Sibour. L’Archevêque de Paris lui promet un poste de vicaire dans une grande paroisse de Paris et il l’autorise à aller passer quelques jours à Millau. A son retour, Louis est nommé vicaire à Notre-Dame de Paris. Il va déployer dans ses nouvelles fonctions toute son ardeur habituelle. Toutefois, la liberté dont il jouissait en Crimée lui manque et il regrette la compagnie joyeuse des officiers lors des repas au mess ! Aussi le 6 mai 1859, quand il écrit à ses sœurs qu’il va partir « faire la campagne d’Italie », à chaque ligne de sa lettre il affiche une joie débordante. Pour lui, la campagne d’Italie va être une expédition militaire courte, dans un beau pays, à une période agréable de l’année. Tout le contraire de la campagne de Crimée.

Le 26 avril 1859, l’Autriche a déclaré la guerre au Royaume de Sardaigne et a envahi le Piémont.

Le 3 mai, la France, alliée de Victor-Emmanuel II, a engagé 5 corps d’armée et la Garde Impériale.

Le Reine Hortense

Le 11 mai, Napoléon III s’embarque sur le yacht impérial, le « Reine Hortense » en direction de Gênes.

L’empereur est sur le théâtre d’opérations le 4 juin 1859, puisqu’il est présent à la bataille de Magenta.

Ce jour-là, le sort de la bataille est indécis, mais le général Espinasse, commandant la 2e Division, soutenue par le 2e Corps d’Armée du Général Mac-Mahon renverse la situation. Les Autrichiens se retirent. En parcourant le champ de bataille, Napoléon III découvre sur un brancard le corps du général Espinasse qui a été tué lors de l’affrontement.

En parcourant le champ de bataille, Napoléon III découvre sur un brancard le corps du général Espinasse qui a été tué lors de l’affrontement.

Louis était-il auprès du général ? Il ne le précise pas dans ses lettres, mais c’est vraisemblable, car il était l’aumônier militaire de la 2e Division. Par contre, dans sa lettre du 26 juin 1859 il raconte comment il a pris part à la bataille de Solférino. En voici des extraits : « Le canon a tonné depuis 7 heures du matin jusqu’à 10 heures du soir… Dieu sait si j’ai entendu siffler des balles et des boulets… J’ai soigné bien des blessés et pendant deux jours j’ai eu les mains pleines de sang… »

L’armée franco-sarde, forte de 190.000 soldats, va s’opposer à nouveau, à l’armée autrichienne qui a pu réunir 150.000 hommes. La rencontre a lieu aux environs du lac de Garde le 24 juin. Aux premières lueurs de l’aube, la bataille est générale. Le front s’étend sur une ligne de 15 kilomètres environ, du Lac de Garde à la plaine de Medole. Au centre du dispositif, Solférino et sa fameuse Tour, surnommée « l’espionne d’Italie », parce qu’elle offre une vue exceptionnelle sur toute la région. C’est sur ce bastion que le 1er Corps d’Armée porte de violents assauts. Chaque attaque est repoussée par les Autrichiens.
Pour emporter la décision, Napoléon III engage la Garde Impériale. Le Bataillon des Chasseurs à Pied de la Garde Impériale arrive le premier sur l’ennemi.

Les Autrichiens se retirent. La Tour de Solférino est enlevée.

La victoire est acquise, mais chèrement payée. Sans atteindre les taux de victimes de Marengo et d’Eylau qui avoisinent les 20 % de pertes, celui de la bataille de Solférino s’élève à plus de 13 %, c’est-à-dire près de 16.000 tués.

L’horreur du champ de bataille après les combats est décrite par un témoin, un Suisse, le banquier Henry Dunant, venu en Lombardie pour un voyage d’affaires.

Il raconte de façon poignante et réaliste les atrocités de la bataille dans son livre : « Un souvenir de Solférino », édité en 1862. Le spectacle de cette « boucherie héroïque » va l’amener à créer le « Comité International de la Croix Rouge ».

Louis, qui venait d’amener à une ambulance le corps du général Auger tué prés de lui, a aperçu Henry Dunant sur le champ de bataille qui portait secours aux blessés sous la mitraille.

Il s’est écrié : « Mais que fait ce pékin qui n’a pas sa place ici ! »

Pourtant après la bataille, ils se retrouveront, sympathiseront et soigneront ensemble les blessés.

Louis est nommé aumônier de 2e classe et obtient sa deuxième décoration : la Médaille commémorative de la Campagne d’Italie. Elle a été créée le 11 août 1859. Elle a été accordée par l’Empereur aux combattants français des campagnes transalpines. Les noms des célèbres batailles de Palestro, Marignan, Turbigo, Magenta et Solférino sont apposés au revers. Environ 12.000 insignes de la campagne d’Italie ont été attribués.

La Médaille commémorative de la Campagne d’Italie.

L’armistice est signé le 8 juillet 1859.

Louis rentre à Paris et redevient vicaire à Notre-Dame.

Pendant 3 ans il exerce consciencieusement son ministère de vicaire. Mais il regrette la gaieté des soirées du MESS des officiers et l’ambiance de la vie militaire. Son goût pour l’aventure reprend le dessus lorsque Napoléon III envoie des troupes au Mexique. Il se porte à nouveau volontaire pour suivre l’armée.

Troisième épisode, jeudi 20 septembre sur Millavois.com.

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