Opinion

Millau. Opinion : « A pied ou en voiture ? »

Si le débat sur le partage de l’espace public entre les piétons et les véhicules motorisés a occupé et occupe le Conseil Municipal, il a aussi permis à certains habitants de faire connaître dans la presse leur intérêt pour un centre-ville sans voitures, face à ceux, pour qui cette désertification automobile est une contrainte préjudiciable à leur activité économique.

Ces deux approches ont chacune leur logique, mais surtout trouvent chacune sa justification dans l’évolution historique de la ville depuis la fin du dernier conflit.

C’est ce que je voudrais souligner ici.

Millau, jusque dans les années 60, a vécu essentiellement « intra-muros ». C’est-à-dire que la ville par son habitat s’étendait de la rive droite du Tarn jusqu’à la voie ferrée. Rare était l’habitat permanent au-delà. Non seulement on trouvait à l’intérieur de ce périmètre l’essentiel des immeubles d’habitation, mais, également, les activités économiques qui ont marqué l’histoire de la ville. Toutes les usines de ganterie et mégisserie étaient implantées dans ce périmètre urbain et si je fais référence à l’excellent ouvrage de Maurice Labbé : « Dictionnaire des Familles de Gantiers et Mégissiers de Millau » on y découvre qu’en 1948 il y avait dans la ville 119 gantiers et 33 entreprises ou artisans qui travaillaient les peaux ou les cuirs !

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J’ai bien connu beaucoup de ces entreprises dans les années qui suivirent. Elles avaient la particularité par rapport à ce que l’on voit aujourd’hui dans l’industrie de n’avoir aucun emplacement de stationnement pour le personnel, qui, habitant en général dans le même périmètre, se rendait au travail à pied ou à vélo, voire vélomoteur ! Seuls certains patrons et quelques cadres utilisaient leur voiture quand une cour ou une dépendance de l’usine permettait le stationnement.

Tous les déplacements du personnel qui travaillait en usine se faisaient orchestrés par les sirènes des principaux établissements, chacune marquant l’heure de son choix avec en plus tous les jours à midi le beffroi qui annonçait l’heure du repas pour toute la ville. Les Millavois qui ont connu ces années se souviennent des sorties d’usine avec des centaines de femmes et d’hommes se hâtant de rejoindre leur domicile.

Ces images sont la parfaite reproduction de celles que connaissent tous les passionnés de cinéma avec le film sur la sortie des usines Lumière à Lyon. Il y avait alors une ville qui était à ces heures là très animée, effervescente même, en raison de la quantité de gens actifs qui se déplaçaient.

En cours de journée, il y avait toutes les personnes qui, travaillant à domicile, se rendaient dans les ateliers pour chercher une « passe » ou qui allaient « remettre » avec en plus tous les échanges entre les entreprises, les fournisseurs, les sous-traitants. Et puis, en fin de journée, après 18 heures il y avait les jeunes et les moins jeunes qui après le travail faisaient « la monte ». Le boulevard de la République du Mandarous à la rue Jean-François Alméras et au-delà devenait un lieu de rencontre où amis et connaissances se retrouvaient pour faire des allers et retours sur le trottoir déambulant de front, par petits groupes, faisant marcher, comme dit la chanson : « la langue et la prunelle ! » Avant la guerre d’après les récits familiaux, la monte occupait toute la largeur du boulevard que les rares véhicules évitaient à cette heure-là et se poursuivait jusqu’à la barrière du chemin de fer. Une « piétonisation » massive avant l’heure !

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Outre les activités liées aux cuirs et peaux, il y avait en ville beaucoup d’artisans et de nombreux commerces de détail en particulier alimentaires. Pour ne citer qu’un exemple que je connais bien, dans la rue de la Fraternité entre la rue de Planard et la Capelle il y avait 4 épiceries, un café restaurant, le dépôt de la chaine d’épicerie « Etoile du Midi », une boucherie, une boulangerie et chez les artisans, un rechapeur, un serrurier, deux plombiers, un coiffeur, un cordonnier et même un marchand de cochons ! Je pourrais ainsi faire ce genre d’inventaire pour les principales avenues de la ville pour retrouver la même organisation des commerces et de l’artisanat. En ville on avait tout sur place, le logement, le travail les commerces et les services.

Dans les années 60, on va assister à un mouvement qui ne fera par la suite que prendre de l’ampleur. Les Millavois vont vouloir vivre hors du centre-ville. C’est ainsi que Creissels étant classé commune rurale le Crédit Agricole va permettre à des familles de construire la maison individuelle de leur rêve. En même temps la municipalité d’alors estimant que le cœur de ville n’offrait que des logements vétustes, le plus souvent sans équipement sanitaire, a lancé l’opération « Malhourtet » avec de l’habitat collectif et individuel qui a permis à nombre de mal-logés de trouver là, de l’espace, du confort et du soleil dont ils ne pouvaient bénéficier avant.

Ce mouvement s’est poursuivi grâce à la situation particulière de notre ville, où, seule dans le département, les espaces ruraux autour étaient essentiellement plantés d’amandiers et surtout de vignes. Presque toutes les familles avaient une vigne plus ou moins grande avec souvent une petite maison d’une pièce ou deux sur une cave. Les anciens Consuls ne s’y étaient pas trompés et avaient imposé une redevance sur le vin dit impôt du « soquet ». Le plus souvent on a commencé à agrandir la maison de la vigne, voire à partager le terrain entre les enfants qui cherchaient à se loger et c’est ainsi que le Pays Maigre, Tenens et les autres quartiers hors de l’ancien périmètre se sont développés.

Pour ceux qui ont choisi Creissels ou ceux qui ont préféré la vigne du Pays Maigre cela impliquait des déplacements au quotidien plus longs et donc l’usage d’un véhicule que l’on pouvait stationner chez soi ce qui n’était pas possible dans le cœur de ville. Jusque dans les années 70 début 80 subsistaient au centre les établissements scolaires du secondaire et les services hospitaliers. Dans les années 80, il y eut la poursuite de l’éclatement urbain avec le nouveau lycée, l’hôpital et la création de la zone du Crès qui devait être industrielle et devint vite commerciale avec l’implantation du premier supermarché « Géant ».

Dans les années 70, il y avait eu la création de deux zones industrielles des « Ondes » et de « Calès » ainsi que la création du nouveau quartier pour l’habitat au « Puits-de-Calès » sur des terrains agricoles de la ferme de Calès par le percement d’un passage sous la voie ferrée. Dans ce temps, alors que l’habitat s’éloignait du centre, la ganterie commençait une crise majeure (fermeture de l’usine Jonquet en 1970) pour devenir à terme ce que j’avais annoncé : « un artisanat de luxe ». Les artisans qui avaient leurs ateliers en ville ont suivi le mouvement pour trouver hors du centre dans les zones d’activités plus d’espace et moins de contraintes réglementaires sur le bruit, la pollution, l’accès et le stationnement.

Alors que jusque dans les années 60 on vivait en ville et on allait à l’usine ou à l’atelier à vélo ou à pied, la voiture est devenue la contrainte nécessaire non seulement pour l’activité professionnelle, mais aussi, et c’était le début, pour la chalandise en particulier alimentaire.

Il apparait donc que pendant la seconde moitié du siècle précédent l’évolution de l’industrie locale, les changements en matière d’habitat ont complètement modifié les nécessaires déplacements, mais aussi la façon et les moyens de se déplacer. Il y eut le temps où certains venaient aussi des villages voisins pour travailler à Millau, aujourd’hui on part de la ville pour aller sur les zones d’activité en périphérie et dans les communes voisines et pour ce faire il n’y a que la voiture ou des engins motorisés qui permettent ces déplacements.

Que les gens qui ont, et on peut comprendre ce choix, décidé de vivre en centre-ville en rénovant de l’habitat ancien, souvent parce qu’ils n’ont plus de contraintes professionnelles, souhaitent se déplacer à pied est logique et satisfaisant pour eux, mais pour ceux qui habitent au-delà des limites de l’ancien périmètre urbain et dans les hameaux et villages environnants, le véhicule est obligatoire. Les priver de circulation en centre-ville n’est pas envisageable.

Si on regarde la situation actuelle en centre-ville, il me semble qu’elle présente un défaut majeur que j’ai déjà souligné, c’est le blocage de l’avenue Gambetta à son débouché sur la Capelle. Il faut se rappeler que la quasi-totalité de notre clientèle touristique est hébergée rive gauche du Tarn et rive droite de la Dourbie dans des campings. L’avenue Gambetta est donc le seul accès direct pour le centre-ville. Refouler cette clientèle par la rue de la Fraternité qui n’a plus aucune enseigne commerciale ou par la rue du Sacré-Cœur est une hérésie économique. Il faut rétablir le sens de circulation avec le boulevard de Bonald qui pourrait être en sens unique dans sa première partie vers le Mandarous. Les installations de fleurissement actuelles pourraient rester en place et la liaison piétonne Mandarous – Capelle – les Halles ou inversement serait toujours assurée.

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Dernier point, certains, en particulier au niveau municipal, tentent de justifier les contraintes imposées aux usagers de l’automobile au nom du climat et du réchauffement de la planète. Je ne sais pas si ceux qui s’abritent derrière cet argument se rendent compte du ridicule du propos. La France dans sa globalité représente 0,9 % des émissions de gaz à effet de serre de la planète et le gouvernement qui se veut plus exemplaire que tous les autres au monde a l’ambition de diminuer ce pourcentage de moitié d’ici 2030 avec toutes les contraintes que cela implique pour les particuliers en matière d’habitat et de déplacement. Une des conséquences très prochaines sera la plus grave crise du logement de notre histoire.

A Millau, qui peut croire qu’interdire toute circulation sur la Capelle ou sur une partie du boulevard de Bonald va apporter quelque chose à la lutte contre le dérèglement climatique ?

Il faut arrêter de prendre les citoyens pour des imbéciles, incapables de s’informer et de réfléchir !

Me Jean-Louis ESPERCE

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