Opinion : « Millau a son pronostic vital engagé dans beaucoup de domaines »

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(Photo d'illustration, © Wikipedia)

Lors des assises des Petites Villes de France tenues à Millau les 1er et 2 juin derniers, vous (Emmanuelle Gazel, maire de Millau, NDLR) déclariez faire face aux défis avec enthousiasme en croyant fermement aux collaborations, aux débats féconds avec la volonté d’expérimenter, d’innover, de propulser notre territoire vers le futur. Et vous étiez reconnue par vos pairs comme étant « quelqu’un qui dirige avec beaucoup d’ambition et de cœur, à la tête d’une ville dynamique qui enclenche de grosses transformations. Une ville où l’on parle la langue de la proximité ».

Magnifique tableau aux belles couleurs chatoyantes des belles intentions et de la reconnaissance de l’entre-soi. Tableau idéal pour la communication de papier glacé et les gros titres qui assureront la notoriété.

En revanche, quel hiatus avec ce qui se jouait au même moment et depuis presque deux ans, à l’extérieur des murs de la Maison du Peuple. Des dissensions internes, des dissensions avec la population, le climat chaotique de la commune que vous n’arrivez pas à fédérer. Des inquiétudes, de la discorde, de la frustration, du ressentiment créés, minorés et niés. Une population scindée. Il y aurait une majorité « silencieuse » (c’est pratique !) en accord avec la vision et les décisions prises qui « vont dans le sens de l’histoire » avec qui le débat est possible. Et une minorité constituée de pourfendeurs invétérés sans capacité à voir loin, bien et clair, n’ayant pas « le sens de l’avenir » et vous interpellant sur des « non-sujets ».

Normalement, en tant qu’élu(e)s, vous devez être le point d’ancrage. L’animateur du processus de décision pris dans la collégialité pour améliorer le quotidien de tous en tout en vous mettant au service de leurs problématiques. Malheureusement, la mayonnaise ne prend pour rien ou presque rien. Tous vos projets phares sont devenus excluants et quasi kafkaïens.

Vous vous dites soutenante, à l’écoute, mais quand un collectif des commerçants, professions libérales, du soin, artisans, riverains vous interpelle pour vous crier son désarroi, vous vous adressez à eux le lendemain en ces mots : « je mesure les difficultés que connaissent certains commerçants (…) je reste à l’écoute des commerçants (…) Millau va bien (…) il faut du temps ».

Mais ne caricaturez pas. C’est bien un pan entier de votre population qui vous faisait part de son malaise et non pas les seuls commerçants. Depuis le début, des remontées vous sont faites, des interventions justifiées constructives et intéressantes de ma part sont effectuées (cf. compte-rendu des commissions, questions diverses aux conseils municipaux, articles…). En vain, vous n’écoutez pas.

Vous voulez faire de Millau un lieu où il fait bon se promener, s’arrêter en terrasse, déambuler à vélo et résiliente face aux enjeux climatiques. C’est légitime, mais Millau n’est pas un seul lieu de flânerie et de villégiature. C’est un lieu de vie, avec sa configuration propre, un lieu de travail pour tous avec des familles, des enfants en bas âge. Des personnes âgées. Des personnes à mobilité réduite ou malades. Avec des soignants, des aides à domicile, des artisans, des écoliers… Chacun avec leurs contraintes et leurs réalités. Vos décisions, mais surtout et essentiellement leurs modalités de mise en place ont constitué une ingérence maladroite dans l’organisation de leurs vies privées et professionnelles et vos « trous dans la raquette » et votre « liste d’essais / erreurs » perturbent exagérément leur quotidien. Alors oui, tout cela fonctionne ailleurs… mais peut-être parce qu’ailleurs la mise en œuvre s’avère pertinente et qualitative : qui n’entrave pas de manière disproportionnée l’activité économique, qui assure la pérennité de l’accès aux habitations, qui anime l’espace public en donnant une vraie atmosphère distinctive aux zones modifiées, qui ne déplace pas la problématique, etc.

On apprend que 80 % de vos projets sont lancés. Alors pourquoi avons-nous la désagréable impression d’être sur un perpétuel faux plat où l’on fait, défait, refait (hormis dans quelques domaines). Pourquoi avons-nous également la désagréable impression de ne pas toujours être tenus au fait des réalisations et de leurs résultats. On assiste aux effets d’annonce puis plus rien, pas de retour d’expérience.

Ou à l’inverse on constate des choses sans avoir été véritablement renseignés. Montesquieu disait « pour faire de grandes choses, il ne faut pas faire au-dessus des gens, mais avec. » Pourquoi la décision de ne pas faire de conseils de quartiers, des opérations « climat de quartier » persiste-t-elle ? Vous savez trouver des dates pour organiser au plus vite des tournées au sujet de la lutte contre les moustiques. Alors pourquoi dans le cadre des tournées de quartier destinées à vous enquérir de ce qui fait leur quotidien, certains devront attendre 2026 pour vous rencontrer selon un calendrier que vous aviez communiqué, mais qui n’est plus accessible sur la page de la ville ?

Arrêtons de faire comme si on ne voyait pas l’éléphant au milieu de la pièce. Au bout de trois ans, des problématiques, il n’en manque pas : mendicité exponentielle, sans-abrisme, ébriété sur la voie publique, incivilité, ville mal entretenue à cause de mauvais matériels souvent en panne et de moyens humains insuffisants… Vente de « puff » à des mineurs, vente d’alcool à des mineurs, trafics (dixit « Millau c’est une ville de tox »), camion ventouse jonchés de détritus et de seringues aux abords des jolis nouveaux boulevards ! Délinquance, incivilités, infractions, précarité, développement économique plat, une jeunesse qui se sent oubliée, un accès au soin plus que sinueux… Millau a son pronostic vital engagé dans beaucoup de domaines…

Certains aimeront à dire que « je fais la morale » et que je ferais mieux de me taire en leur épargnant tout ce verbiage. D’autres que je n’ai aucune légitimité à me prononcer. Cependant mon statut d’élue me confère ce droit, ce devoir. Ce devoir de remplir la mission qui m’est dévolue et de rapporter, en mon nom uniquement (à bon entendeur : je suis officiellement groupe d’opposition à moi seule depuis février 2021), mais surtout au nom de la population la parole de ceux qui ne se sentent pas entendus ainsi que ce qui peut faire débat et sens pour l’intérêt général, loin des tractations politiciennes.

Karine Haumaitre, élue municipale

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