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Siegfried Freytag, un as de « la Luftwaffe », devenu légionnaire de « la 13 »

Alors que le mois de mai 1971 se termine, la montagne Sainte-Victoire semble s’embraser sous les reflets flamboyants des rayons du soleil provençal. Au pied du versant sud du massif, sur la commune de Puyloubier, se trouve l’Institution des Invalides de la Légion Etrangère qui est un havre de paix pour ses valeureux guerriers. Il y a plusieurs semaines que Siegfried Freytag, ancien légionnaire, a quitté le service actif et s’est retiré à l’Institut.

En cette fin d’après-midi, Freytag est venu sur la terrasse du Château pour admirer le coucher du soleil. Tout en étant sensible à la beauté du spectacle, il ne peut empêcher ses pensées de se remémorer des souvenirs plus ou moins lointains. Et soudain, il a envie de les classer chronologiquement ! Alors c’est toute sa vie qu’il revit !

Freytag, Siegfried est né le 10 novembre 1919 à Danzig-Langfuhr, en Pologne. Il est le plus jeune des cinq enfants de la famille Freytag dont le père est brasseur. Elevé sévèrement par ses parents, il fait preuve dès son adolescence d’un caractère vif et d‘un esprit ardent. Ayant toujours montré durant sa jeunesse un goût prononcé pour l’aviation, il s’engage en 1938 dans la Luftwaffe (l’armée de l’air allemande).

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Après avoir terminé sa formation de pilote de chasse, il est affecté dans la JG 77 (Jagdgeschwader 77 ou 77e Escadre de chasse) surnommée Herz As (As de cœur). Nommé Obergefreiter (caporal-chef) il participe avec son unité à la campagne de Pologne. A son retour, il est affecté au 2e groupe de chasse de l’escadre 77 (II/JG77) à Uetersen (à 30 km au N.O. de Hambourg) où, en janvier 1940 il est promu aspirant, puis sous-lieutenant en avril, lors de l’invasion de la Norvège.

A l’automne 1940, il suit le groupe II/JG77 qui a reçu la mission de s’installer sur l’aérodrome de Brest-Guipavas pour relever d’autres unités de chasse, épuisées par les raids de bombardements en l’Angleterre. Siegfried Freytag remporte sa « première victoire » le 31 octobre 1940, dernier jour de la bataille d’Angleterre. Après plusieurs mois de présence en France, il prend part au printemps 1941 à l’invasion de la Grèce et de la Crête, où il obtient sa « deuxième victoire ».

Le 24 avril 1941, le sous-lieutenant Siegfried Freytag est abattu par la DCA alliée près d’Athènes. Hospitalisé dans la capitale grecque, il aurait séduit une infirmière britannique qui l’aurait aidé à s’évader. Cette histoire romantique sera démentie après la guerre par l’intéressé lui-même : « après le départ des Britanniques, j’ai assisté du balcon de ma chambre d’hôpital à l’entrée de mes compatriotes dans la capitale ».

Remis de ses blessures, il regagne son escadrille en juin 1941 et la suit en Roumanie pour participer le 22 à l’Opération Barbarossa contre l’Union soviétique. Sur le front de l’Est, aux commandes de son Messerschmitt Bf 109 E, il va se distinguer en abattant en un an 57 avions soviétiques. Fin juillet, il compte 8 « victoires », le 12 août il remporte sa 11e « victoire », le 27 octobre sa 19e, le 27 novembre sa 26e.

Il est alors promu Oberleutnant (Lieutenant) et est décoré de la Croix de fer de 1re classe. Pendant l’hiver 1941 très rigoureux, son unité est retirée du front, mais revient dès le mois de mars 1942. Freytag remporte sa 30e victoire le 24 mars, sa 35e le 16 avril et sa 43e le 18 mai ! Le même jour, il lui est décerné la « Ehrenpokal der Luftwaffe » qui est la coupe d’honneur qui récompense les meilleurs pilotes. Le 26 juin 1942, Siegfried Freytag est promu Staffelkapitän (chef d’escadrille) et se voit confier le commandement de la 1re escadrille de chasse de son escadre (I./JG77). Le 3 juillet 1942, il est nommé chevalier de la croix de fer (Ritterkreuz des Eisernen Kreuzes).

Au début du mois de juillet, l’escadre I./JG77 quitte le Front de l’Est pour rejoindre la Sicile afin de participer à la bataille aérienne au-dessus de l’ile de Malte. Dans tous ses engagements, Siegfried Freytag va rapidement prouver ses qualités. Pendant les quatre mois de présence sur le Front Méditerranéen, il abat vingt Spitfire et un Hurricane et porte ainsi son score à 78 « victoires ». Meilleur pilote de l’Axe au-dessus de Malte, il est surnommé « le Lion de Malte » (« Der Löwe von Malta »).

Le 26 octobre 1942, Freytag quitte la Sicile avec son groupe de chasse (I./JG77) et rejoint le Corps Afrika d’Erwin Rommel en Afrique du Nord où il enregistre encore 16 nouveaux « succès ». Le 25 janvier 1943, il reçoit la Croix Allemande en Or (« Deutsches Kreuz im Gold »).

Le 13 février 1943, il est promu Hauptmann (Capitaine) et prend le commandement du Groupe II./JG77. Il obtient sa 90e « victoire » le 27 mars 1943.

Quand les troupes allemandes vaincues quittent l’Afrique du Nord, il suit son groupe à Trapani en Sicile. Freytag qui continue la lutte au-dessus de la Sicile est abattu le 12 juillet 1943, bien que blessé, il saute en parachute et parvient à rejoindre son unité. Le 24 août, il est envoyé en Allemagne pour bénéficier d’une longue convalescence. Il ne rejoint le II./JG77 dans le nord de l’Italie qu’à la fin de l’année 1943. Le groupe est envoyé près de Sienne en janvier 1944, pour pouvoir intervenir sur le front italien. Le 29 janvier 1944, au cours du bombardement de son aérodrome par des chasseurs américains, Freytag est blessé grièvement à un poumon. Evacué au plus vite vers l’Allemagne, il ne revient au II./JG77 que le 18 mars 1944 en étant conscient que l’Italie est perdue. Rome tombe le 5 juin 1944 entre les mains des alliés.

Le 13 juin 1944, Freytag qui a été promu Chef d’Escadron (Major) au mois de mai, fête sa 100e « victoire » officielle en abattant un B24, près d’Udine. Le 25 juillet, comme le groupe I./JG77 quitte définitivement l’Italie, le second groupe, le II./JG77 est la seule unité de chasse allemande sur le sol italien. Pour peu de temps, car le 15 août il rallie Orange pour tenter en vain d’empêcher le débarquement en Provence.

Le 9 septembre 1944 le groupe II./JG77 de Freytag reçoit la mission d’aller aux Pays-Bas pour participer à la bataille d’Arnheim. En raison de la supériorité aérienne des alliés, les engagements aériens tournent rarement à l’avantage de la Lutwaffe, pourtant Siegfried Freytag va encore démontrer ses qualités de pilote en abattant le 27 septembre un Spitfire.

Le 25 décembre 1944, le Major Siegfried Freytag est promu commandant par intérim de l’escadre JG77, il a 25 ans ! Dans ses nouvelles fonctions, il remporte sa 102e et dernière « victoire », en participant le 1er janvier 1945, à la fameuse opération Bodenplatte qui visait les avions alliés cloués au sol par le mauvais temps.

Après avoir dirigé le groupe dans les opérations de défense du Reich, Freytag devient le 1er avril, le commandant de la JG 51 et le 30 avril de la JG 7, où il a piloté le chasseur à réaction Me 262 jusqu’à la capitulation allemande le 8 mai 1945.

A la fin de la guerre, après 879 missions de combat, Siegfried Freytag a remporté 102 « victoires ».

Il est capturé près de Ratisbonne par les Américains qui s’en servent comme interprète. Libéré, son retour à la vie civile est particulièrement difficile, car il a tout perdu. Sa maison familiale a été confisquée par les Polonais, mais surtout il apprend que sa sœur et le reste de sa famille ont disparu dans le naufrage du Wilhelm Gustloff torpillé par les Soviétiques le 30 janvier 1945 (c’est la plus importante catastrophe maritime de l’histoire, 5348 victimes sur 6600 passagers). De surcroît, il n’arrive pas à trouver d’emploi. Selon lui, il a été successivement mineur, technicien et enfin chauffeur de taxi à Francfort-sur-le-Main. Mais n’arrivant pas à s’adapter à la vie civile et à la nouvelle société de l’après-guerre, il troque, en 1952, le serre-tête de pilote d’élite pour le képi blanc de légionnaire.

A Sidi Bel Abbes, la « Maison Mère » de la Légion Etrangère, il suit les « classes » d’instruction pour devenir fantassin. A l’issue, il est affecté, en Indochine, au 5e REI (Régiment Etranger d’Infanterie), surnommé le « Régiment du Tonkin ».

En 1953, il est muté à la 13e Demi-brigade de la Légion Etrangère, au sein de laquelle il sert avec courage et dévouement pendant 12 ans, en Indochine, en Algérie, puis en 1962 à Djibouti. Dans ce corps, il est promu sergent, mais il demande à être rétrogradé au grade de caporal-chef !

En 1965, il rejoint le « Quartier Vienot » à Aubagne, où est implanté le 1er Régiment Etranger (1er RE) qui est le plus ancien régiment de la Légion Etrangère.
En 1970, il décide de prendre sa retraite du service actif et de finir sa vie dans l’anonymat à l’Institution des Invalides de la Légion Etrangère à Puyloubier. Discret, il continue à ne faire jamais état de son prestigieux passé d’as de la Luftwaffe ; il n’y avait que quelques officiers et les services administratifs de la Légion qui en étaient informés.

Un ancien Directeur de l’Institution des Invalides de la Légion Etrangère, rapporte que « Siegfried Freytag avait accepté la charge de gérer le magasin « habillement » ». Il ajoute que « par sa fonction, Robinson (Freytag en français signifie “Vendredi”) avait sa place à la “Popote des Cadres », néanmoins cet homme simple, effacé, mais excellent camarade, préférait partager le repas des pensionnaires à la salle à manger de l’hémicycle ».

Siegfreid Freytag est décédé le 2 juin 2003, à l’hôpital Laveran, à Marseille à l’âge de 83 ans. Le pilote aux 102 « victoires » a été inhumé le 5 juin 2003, avec les honneurs militaires au Carré militaire du cimetière de Puyloubier.

Un officier supérieur de l’actuelle Luftwaffe est venu assister aux obsèques pour le saluer une dernière fois. Sur le coussin des décorations, la Ritterkreuz côtoyait les médailles françaises.

Comme ce pilote a servi au sein de la 13e Demi-brigade de la Légion Etrangère, actuellement stationnée au Camp du Larzac, il convenait naturellement d’évoquer sa vie et son affectation comme simple fantassin dans cette prestigieuse unité.

Bernard MAURY
Président d’Honneur du Comité d’Entente des Anciens Combattants

Sources : « Siegfreid Freytag un soldat perdu » par Jean-Louis Roba

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