Causses et vallées

La légende des trois ermites

A l’occasion des fêtes de Pâques, nous évoquerons une légende médiévale dont il existe de nombreuses versions. Monique et Alain Bonnemayre ont publié en 1999 une brochure retraçant ces différentes histoires du XIe ou XIIe siècle, nous nous pencherons cette semaine sur celle liée à la commune de Nant.

Version Guiral, Alban, Sulpice. Une citadine, sous l’anonymat de « Lia Saul » a donné, le récit de la légende (la semaine des familles n° 13 de 1892). Repris par Elie Mazel dans Monographie sur Nant d’Aveyron et son abbaye, 1913.

Un puissant seigneur, du château de Roquefeuil à Algues mourut jeune et laissa trois fils, Guiral, Alban et Sulpice. Berthe était la fille du seigneur de Cantobre, aimée des trois frères, elle se refusa de choisir. Un seul arbitre pouvait trancher, le vénérable abbé Bernard, du monastère bénédictin de Nant.

La demande à Berthe.

L’abbé Bernard, dans l’abbaye fait signe d’avancer à Guiral, puis s’adresse aux trois jeunes seigneurs : ouvrez le bréviaire, et lisez la parole de Dieu.

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Guiral lit « Dominus pars… » et l’abbé continue : le seigneur seul sera ton héritage. La grâce remplit le cœur de Guiral qui se prosterne et dit « je renonce à Berthe et je me ferai ermite ».

Sulpice lit « Vanitas vanitatum… » et l’abbé continue : « Vanité des vanités, sauf aimer Dieu ». Terrassé par la grâce divine, Sulpice renonce à Berthe et se fait ermite.

Alban se voit donc l’heureux élu. Mais il ouvre le bréviaire et lit « Quid prodest homini… » et l’abbé dit : « Que sert à l’homme d’amasser des richesses ».

Alban ne résista point à l’appel du ciel et déclare qu’il se fera ermite, et là, aussitôt les moines chantent le Te Deum qui retentit dans l’abbatiale.

Nant (© Gilbert Vernay)

On dit que Berthe, touchée par la grâce, se retira dans un monastère de femmes, l’abbaye de Nonenque, où, en entrant, elle vit tomber sa blonde chevelure sous les ciseaux d’une abbesse, sa parente.

Avant de se séparer, les trois ermites convenaient d’allumer chacun un grand feu sur leur montagne, au jour anniversaire du jugement, soit la nuit de Pâques, seul moyen de signaler qu’ils étaient toujours là. Le prénom de ces chevaliers, devenus ermites, est resté attaché au lieu où ils ont vécu en sainteté, d’après les légendes. Ainsi retrouve-t-on : Le mont St Guiral qui culmine à 1366 mètres. Dans le massif du Lingas, le pèlerinage devant le roc granitique du saint est toujours vivace, vers 1885, 3000 pèlerins s’y rendaient le lundi de Pentecôte. Ils venaient des paroisses d’Alzon, Campestre, Arrigas, Aumessas, Dourbies, Saint-Jean du Bruel, Sauclières, Arre, Bez et Esparon. On y cueillait la « caoumegno », renoncule à feuille d’aconit, censée protéger les troupeaux de brebis. (Conférence « autour de la légende des trois ermites », Jacques Frayssenge, Nadia Veyrié, janvier 2003).

Saint Guiral

Saint Guiral est connu pour ses miracles, il suffisait qu’il plonge ses mains dans l’eau pour que cette eau guérisse les aveugles ou les estropiés ; après sa mort, les épileptiques qui l’imploraient guérissaient. Ce saint était protecteur des animaux, faiseur de pluie, patron des mariages (les filles de Dourbies priaient St Guiral pour trouver un mari), guérisseur d’enfants estropiés.

Au sud-ouest de Nant, le mont St Alban à deux bosses, l’une culmine à 802 mètres, l’autre à 787 mètres. Sur la plus haute, repose une chapelle dédiée au saint. Ce dernier fit de nombreux miracles en faveur des aveugles. On se rendait en pèlerinage à St Alban, le lundi de Pâques, en passant par le Liquier. La procession fut interdite en 1765 par l’évêque de Vabres, parce qu’elle se terminait par un bal au Liquier. Elle reprit par intermittence en 1925. L’eau de la citerne, située tout près de la chapelle, imbibée sur un chiffon , guérissait les yeux ou la peau et le cuir chevelu des enfants (teigne, impétigo…),

Saint-Sulpice (© Gilbert Vernay)

Il était difficile de voir les feux de Saint-Sulpice située au fond de la vallée, la légende contourne la difficulté en les faisant briller sur les cimes du roc Nantais (Midi Libre, 26 décembre 1999).

Saint-Sulpice serait le maître des eaux. Dans le hameau qui porte son nom, dans la vallée du Trévezel, commune de Nant, vivait l’ermite qui fut emporté, dit-on par les eaux de la rivière en crue. Dit-on, car selon la légende Sulpice fut noyé par ses ennemis et aurait dit avant de mourir : « puisque je meurs par l’eau, désormais quand on en voudra il faudra me le demander ».

En période de grande sécheresse, la population locale organisait une procession entre Nant et Saint-Sulpice pour demander la pluie, le lundi de Pentecôte. La croix processionnelle était trempée dans la source attenante à la chapelle, celle-ci est datée de 1718. De Nant à Trèves et même à Lanuéjols, on y venait à pied. Le dernier pèlerinage a eu lieu en 1964.

L’abbatiale de Nant abrite les reliques de Saint-Sulpice (fête le 17 février), une partie de celles-ci qui étaient dans l’église de Cantobre ont été dispersées durant les guerres de religion (d’après Monique et Alain Bonnemayre, 1999). Les miracles qu’ont accompli ces ermites continuent après leur mort et comme nous avons pu le dire, les pèlerins viennent leur demander protection soit pour eux-mêmes, soit pour leurs animaux. Le château d’Algues dans lequel sont nés ces trois frères n’est plus que ruines, mais il reste encore pour témoigner ces montagnes, ces chapelles ou encore des reliques.

Marc Parguel

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