Causses et vallées

Un conte de Noël à Betpaumes (Causse Noir)

Mentionnée pour la première fois au XIe siècle, sous le nom de Bat Palmas, la ferme de Betpaumes située aux confins de la Commune de Millau et voisine avec la commune de Paulhe qu’elle domine et de la Cresse, a selon A. Soutou, un nom très instructif :

« Installée sur un sol maigre, en pleine région de rouquet ou de sabel, c’est-à-dire de sable dolomitique, où ne prospèrent guère que les pins, elle fut ainsi baptisée par dérision en allusion aux décevants résultats de son exploitation. En effet, en ancienne langue d’oc comme en français, « battre paumes » signifiait « être désespéré », ainsi que l’illustrent ces vers empruntés à un troubadour : E adoncs s’amageron, Sotz las rocas, en las balmas, Tiran pels e baten palmas, Esquissen la cara, ploran… (Et alors ils se cachèrent, Sous les rochers, dans les grottes, S’arrachant les cheveux, claquant leurs mains, Lacérant leurs visages et pleurant) » (Revue du Rouergue, n°29, 1992).

Le nom de Betpaumes pourrait aussi provenir de Bauma (abri sous roche). Albert Carrière parlant des Clapas de Betpaumes (abris) amène Jules Artières à cette conclusion : « La métairie de Batbalmes ne devrait-elle pas son nom à ces nombreux abris ou baumes ? ».

Le nom de ce hameau a subi de nombreuses variations au cours du temps : Betpalmas en 1368 (d’après Louis Bernad), Boria de Batmalmas, Betpaume (compois du XVIIe siècle), Bépeaumes, Betbalmes (Dictionnaire des lieux habités de l’Aveyron, Dardé 1868).

Publicité

Le cadastre nous donne des informations sur les noms des terrains situés autour de Betpaumes : Section F : Betbalmes. Domaines ; Betbalmes (Bépaumes), Lauglanou…, lieux dits : les Fourques, Lestrade, Trauchols, Laltaret, Liaulou, Cami-farrat, Combe Cristiane, fontaine de Barret ou Borrès, les Loubatières, ravin de Fon Frège et de la Grave, Valat Nègre… (1910)

Menhir de Betpaumes (Collection Pierre Solassol)

Ce lieu a été habité depuis l’antiquité. Outre un menhir, sur le plateau non loin de Betpaumes, M. Gribas signale un dolmen ainsi qu’une grotte aven (-79 mètres). A 500 mètres à l’Est de Betpaumes, sur la limite des communes de Millau et de la Cresse, au bord du chemin de Puech-Margues, on connaît grâce aux fragments d’urnes recueillis, une station de distillation de résine. De cette ferme en descendant vers Paulhe, à quelque 200 mètres, le puits de ce domaine a les aspects d’un puits dit « Romain » par ses escaliers d’accès. Il est fermé par une porte en fer et capté pour les besoins du domaine. Propos de M. Louis Pailhas (1902-1996): « Le puits de Betpaumes est une source, au bas des escaliers, il y a deux pierres et l’eau monte de par en bas, je ne l’ai jamais vu tarir ».

Une branche de la famille Artières habitait la boria de Batbalmas en 1282 et cette branche essaima dans toutes les fermes voisines du Causse.

Entrée de la grotte aven de Betpaumes.

Jules Artières dans ses notes nous apprend que : « La boria de Batbalmas, dont les divers bâtiments étaient recouverts de chaume au XVIe siècle, appartenait à cette époque à la famille Delmas, de Paulhe, qui l’a conservé fort longtemps. Le grand cadastre du XVIIe siècle donne à cette métairie le nom de Batbaumes. J.-B. Delmas, marchand, en était propriétaire en 1758. » (Messager de Millau, 16 mai 1908).

A proximité de Betpaumes, une autre ferme aujourd’hui disparue : « La borie de Combeserieys » (1544), avait aussi son toit recouvert de chaume. Il ne subsistait plus qu’une bergerie au XXe siècle.

Notons que les toits recouverts de chaume (clutat en languedocien) étaient très répandus et encore souvent utilisés aux XVIe et XVIIe siècles.

En 1868, la ferme de Betpaumes comptait 7 habitants. En 1897, le fermier du domaine eut une bien désagréable surprise :

« Le 19 mai, le nommé Lavabre Pierre, fermier à Bépaumes, à la rentrée de son troupeau de moutons, constata qu’il lui manquait quatre moutons et trois brebis. Il se mit à leur recherche et ce fut le lendemain dans la matinée qu’il les trouva morts au fond d’un précipice, profond d’environ 8 mètres, dans lequel on avait dû les précipiter. Il est porté à croire que c’est ainsi qu’à voulu se venger un berger, qu’il avait dû renvoyer le 17 mai et qui, en partant, avait dit que « son maître se repentirait de l’avoir renvoyé ». Une enquête est ouverte » (Acte de Vengeance, Messager de Millau, 29 mai 1897).

Betpaumes cessa d’être une exploitation agricole en 1945. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle subit des vols répétés : « Pour vol de brebis, à Betpaumes, le sieur Brouillet est condamné à trois mois de prison avec sursis, et les époux Guibert Rouve, pour recel, à huit jours de la même peine. » (Messager de Millau, 15 mars 1941). Aujourd’hui, cette demeure a été restaurée dans le plus pur style caussenard par un Millavois.

Un conte de Noël

Betpaumes a été le sujet d’un article rédigé par André Artières ( 2005, fils de Jules) d’après un récit de Marie Manenq. Il s’agit d’une histoire de Noël vécue au Monna vers 1925, publiée dans le Journal de Millau il y a quarante-quatre ans, et dont voici un résumé :

Maria et lui habitaient, vers le haut du village du Monna, une petite maison appuyée contre le rocher, de sorte qu’il avait suffi de trois murs pour la construire. Et la montagne, qui avait fourni le quatrième, faisait maintenant partie de la famille. On vivait ici pauvrement, mais paisiblement. Cet après-midi du 24 décembre, il avait dit à Maria : – Je vais à la vigne. Et il partit un bâton a la main, avec son sac de jute. Il travailla longtemps. Sur le soir, une voix l’interpella. C’était un homme vêtu d’un costume de gros drap sombre, portant un baluchon. Celui-ci demanda : « Vous savez où est le chemin pour aller à Betpaumes ? » Il regarda l’inconnu de plus près. Betpaumes, là-haut sur le plateau, est, quand on connaît le pays, à deux heures de marche. Mais celui qui avait posé la question apparemment ne connaissait pas. L’homme avait l’air jeune, aussi il le tutoya :

– On t’attend à Betpaumes ?
– Non, répondit l’autre, mais on m’a dit qu’ils cherchent un berger… Je suis libre. Alors je suis venu.
– Lui réfléchissait. Il se disait que s’il le laissait partir seul sur ce Causse qu’il ne connaissait pas, il allait se perdre. Alors il rangea ses outils, reprit son bâton et son sac et l’accompagna.

Le village du Monna.

En marchant, le jeune berger raconta que tout l’été il avait gardé les bêtes sur les pentes du Saint Guiral pour le compte de propriétaires du pays bas dans la plaine languedocienne. Ils marchèrent, marchèrent jusqu’à ce que le ciel s’assombrisse. La nuit approcha, mais il ne pouvait abandonner cet homme qu’il avait pris en charge. Arrivé à la ferme de Lauglanou, il s’arrêta et indiqua la direction au berger, sûr que celui-ci ne se perdrait pas.

Tous deux, après une bonne poignée de main se séparèrent. Et notre guide hâta le pas, car la nuit tombait, il avait peur que Maria s’inquiète. Il hâta tellement le pas, que, voulant prendre des raccourcis, il se trouva en bordure de ravin et vit qu’une légère brume montait de la vallée rendant le paysage plus sombre encore. Alors il s’arrêta, trouvant autour de quatre gros buis, une place pour s’allonger et il dormit la tête enfouie dans son sac de jute au creux d’une nuit douce.

Le Monna.

Le 25 décembre au petit matin, il se leva, le corps réchauffé par le soleil et dévala le ravin. Sans rencontrer personne, il arriva devant sa maison, gravit l’escalier et ouvrit la porte. Sa femme se précipita, le questionnant des yeux, et fit bouillir à sa demande une bonne soupe. Notre guide ne donna aucune réponse aux interrogations de Maria. Ce n’est qu’un soir à la veillée qu’il raconta son aventure sur le causse désert et cette nuit noire qu’il passa dehors. Cette nuit que Maria remerciait d’avoir été aussi douce, une belle nuit de Noël. » (D’après l’article, « un homme qui passait », Journal de Millau, 24 décembre 1975)

Le promeneur remarquera une Croix de fer récente au départ du chemin de Betpaumes. En cherchant bien, il découvrira, sur la bordure de la commune de la Cresse, très proche d’une grande piste forestière, mais difficile à trouver suite à un reboisement, la grotte fromagère de Betpaumes.

A voir également, proche de la Vieilha Costa qui relie Betpaumes au Sonnac, entre les points côtés 841 et 867, non cités sur la carte IGN, lo Ronc Traucat, petit, mais curieux. Ce rocher troué, dominant le site, présente dans son enfilade, un rocher ressemblant vaguement à un museau de chien ou de loup. Il fut baptisé « le Chien qui aboie » ou « le loup qui hurle » (silencieusement) dans sa tanière.

Le loup dans sa tanière.

L’escalade de ce rocher est facile, il domine une partie importante du Causse Noir et vers le Nord se dessinent les profonds sillons des Gorges de la Jonte et du Tarn ; dans le lointain, à l’Est, l’Aigoual.

Marc Parguel

Bouton retour en haut de la page