Gastronomie

Les trénels de Millau & Les manouls du Gévaudan

Les trénels de Millau

Plat ancestral du Sud Aveyron, que la ville de Millau a érigé en spécialité renommée, le trénel est constitué par une panse d’agneau, farcie, ficelée et garnie. Martine et Jacques Astor nous en donnent l’étymologie : « D’abord tripe d’agneau et par la suite tripe de mouton liée en paquet. Donné millavois en ce sens par Vayssier. Le sens premier est celui de « tresse, cadenette », par allusion à la confection du petit paquet de tripes. Etym. latin trinus « triple » pour désigner les trois brins d’une tresse » (Les mots de Millau, Société d’Etudes Millavoises, 2015).

L’origine du trénel remonte au moyen âge où l’on utilisait beaucoup d’abats dans la cuisine. La tradition populaire veut qu’on le déguste tôt le matin après une fête pour terminer dans la bonne humeur une nuit agitée. Il rassasiait aussi les ouvriers à la sortie des usines.

Nous laisserons la parole à Léon Roux (1858-1935), qui mieux que personne nous décrit ce plat emblématique millavois : « Le trénel – je francise, bien que je doute fort que le mot soit un jour dans le dictionnaire de l’Académie- est une préparation de tripes de mouton. Mets essentiellement auvergnat et rouergat, il s’est comme toutes les bonnes choses, répandu aux alentours, en changeant toutefois de nom…Les tripes de moutons doivent être bien lavées, ébouillantées, raclées. C’est l’un des gamins qui tient généralement le bout quand la mère racle, et combien de fois, gosse, j’ai rempli ces fonctions et de bon cœur, car j’en savais la récompense ! Les tripes lavées, raclées, l’estomac –la panse- est coupée en assez grands morceaux qui serviront à envelopper, à faire les paquets. Chaque paquet, je veux dire, chaque trénel, contient des morceaux de gros boyaux gras, un morceau de jambon ou de lard de poitrine salé, un grain d’ail, un clou de girofle, un brin de feuille de laurier. Les petits boyaux servent à bien lier le paquet, de façon que, pendant la cuisson, rien ne sorte, rien ne s’échappe. »

Il y a souvent confusion entre tripous et trénels. Beaucoup de touristes ne voient pas la différence. Et pourtant, point de veau et de porc, composants principaux des tripous rouergats, dans les trénels de Millau. De plus, le trénel est cousu et non ficelé comme le tripou. C’est tout un art d’ailleurs pour blanchir correctement les tripes, les laver, les frotter, les découper et enfin les coudre.

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Laissons notre fin connaisseur Léon Roux nous en dire davantage : « Les petits boyaux des moutons sacrifiés à Paris, deviennent, dit-on, des cordes de violon, de guitare, voire de banjo. Les tripous d’Auvergne ne sont pas moins harmonieux, ils font vibrer toutes les notes de la gamme du goût, celui des cinq sens humains dont le palais et la langue sont des organes. Les paquets faits sont placés dans lou toupi (pot de terre) et bien arrosés de bon vin blanc – d’autres ne les arrosent que d’eau – certaines ménagères y ajoutent un oignon piqué de girofle et une toute petite brindille de thym. L’ouverture du pot est hermétiquement close d’un fort papier parcheminé, solidement ficelé sous le rebord de l’ouverture et, sur cette couverture, afin que rien de la saveur ne s’échappe, voici lou coubertou, avec son bouton brillant de vernis émail. Et le soir, la ménagère, prenant la queue del toupi de la main droite, mais le soutenant au fond de la main gauche, se dirigera vers le four banal ou celui du boulanger voisin. Toute la nuit lous trénels mijoteront. Dès le matin, la ménagère, pourvue d’une serviette, reprendra lou toupi – après avoir laissé deux sous. Renversés dans un plat, les trénels remplissent la salle d’une odeur suave. A table !…A table !… Nous allons nous délecter. Si à Paris, Pharamon et Joanne ont une réputation pour leurs tripes normandes, elle n’égale certes pas celle dont jouissait, il y a soixante ans à Millau, « La Charlesse », pour ses trénels. Rien que d’y penser, l’eau m’en vient à la bouche, car, « hyperémotif », j’éprouve un « réflexe conditionné », comme disent les savantasses dans leur charabia. » (Léon Roux, Messager de Millau, 24 juin 1933).

Les trénels de Millau.

Comme le souligne, le journal Midi Libre dans sa chronique des « Balades gourmandes » : « Les trénels occupent une place à part dans la gastronomie locale. Consommés, parfois sans modération, dans de nombreuses fêtes locales. Il est une coutume bien connue des noceurs aveyronnais, qui consiste à manger les trénels au petit matin, pour se remettre d’une nuit festive. Notons qu’il existe à Millau, la confrérie des maîtres taste trenels. Celle-ci se réunit tous les ans, pour perpétuer l’art et la manière de préparer et consommer le trénel » (Midi Libre, 9 mars 2008). Cette confrérie a été créée à Millau en 1996.

Et voici la recette : Les ingrédients :

  • 2 kg de panse de brebis (de race Lacaune de préférence, de 2 à 3 ans d’âge) ou d’agneau
  • un pied de veau
  • un os à moelle
  • 3 gousses d’ail
  • 2 clous de girofle
  • 300 grammes de jambon
  • 3 carottes, une branche de céleri
  • Thym, laurier, sel et poivre
  • 150 grammes de couenne de porc
  • un demi-litre de vin blanc
  • un litre d’eau
  1. Nettoyer, racler et dégraisser soigneusement la panse.
  2. Coupez là en morceaux suffisamment longs pour confectionner une poche.
  3. Introduisez alors dans chacune d’elles un peu d’ail, de girofle, quelques lanières de jambon et de panse préalablement coupée en menus morceaux.
  4. Fermez soigneusement chaque trénel à l’aide d’une petite ficelle. Ensuite, déposez-les dans un pot, auparavant tapissé d’une épaisse couche de couenne de porc (le fond du pot est tapissé).
  5. Ajouter les carottes, le thym, le laurier, sel poivre, le pied de veau, l’os à moelle, le vin blanc et pour finir l’eau à votre convenance.
  6. Couvrir le pot d’un papier épais et laisser mitonner le tout à feu doux entre 6 et 7 heures (pour la brebis) et moitié moins pour de l’agneau. Ajouter la branche de céleri une heure avant la fin puis dégustez.

En février 2010, L’Association de la jeunesse de Candas (AJC) a eu une idée assez originale : celle d’organiser un concours intitulé « le trénel d’or », et pas n’importe quel jour, le 14, fête habituellement dédiée aux amoureux.

Un jury composé de restaurateurs du cru et quelques amateurs éclairés s’est attablé dans la petite salle des fêtes du village, pour déguster les plats concoctés par sept artisans bouchers. Un trénel d’or a été décerné au cuisinier Gilles Coqueau lors de cette édition.

Forte de ce succès, l’association a relancé ce concours en 2011 et les années suivantes, toujours dans la convivialité. Voilà de belles initiatives qui en appelleront sans doute beaucoup d’autres.

Les manouls du Gévaudan

Ils correspondent aux trénels du Rouergue avec certaines variantes. Spécialité lozérienne liée au village de la Canourgue, ici, il n’est pas question d’agneau mais de veau. La recette vient de MM. Prouhèze, du Grand Hôtel de la Gare à Aumont-Aubrac (Lozère) :

Pour quatre personnes :

  1. Préparer un court-bouillon avec deux tomates, carottes, poitrine fumée, bouquet garni, quart pied de veau, quart pied de bœuf, quart de litre de vin blanc sec, sel, poivre. Porter à ébullition.
  2. D’autre part, prendre 2,5 kilos de tripes de bœuf. En découper quatre morceaux circulaires de la grandeur d’une main, le reste en petits morceaux.
  3. Garnir chaque cercle avec carottes, échalotes, poitrine fumée coupées en mirepoix, sel, poivre, thym, laurier, les morceaux de tripes. Coudre chaque morceau avec une ficelle à brider pour obtenir un « paquet ».
  4. Cuire dans le court-bouillon pendant au moins six heures. En cours de cuisson ajouter un coulis de tomates pour colorer.

Les manouls sont souvent accompagnés de pain de campagne et d’un vin rouge de pays des coteaux cévenols (D’après Midi Libre, jeudi 15 octobre 1981).

Marc Parguel

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