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Patrimoine Millavois. Une visite au Lavoir de l’Ayrolle en 1866

Un voyageur de passage à Millau envoya au début du mois de février 1866 à la rédaction du journal « L’Echo de la Dourbie » ses impressions concernant l’état du Lavoir qu’il venait de découvrir. Déjà à cette époque, ce vieil édifice avait, semble-t-il, besoin d’être rafraîchi. Voici la lettre telle que l’avait postée M. Claude Viator :

« Millau, 31 janvier 1866

Monsieur le Rédacteur.

Appelé depuis peu à Millau, par mes affaires, j’y connais encore fort imparfaitement les hommes et les choses. J’ai consulté avant de venir la géographie. Cet oracle m’avait dit : petite ville au confluent du Tarn et de la Dourbie, commerce de peaux, tanneries, pas de monuments. Cette dernière mention abrégeait considérablement mes recherches architecturales. Mais l’autre jour flânant sur le boulevard, j’ai découvert un monument véritable : portiques élégants, ornementation sobre et élégante. Je me suis empressé d’interroger un bourgeois qui passait : c’est le Lavoir. Je me suis mis à rêver d’eaux limpides et courantes, de battoirs bruyants frappant le linge au milieu des flocons d’écume savonneuse… Millavois, pourquoi tromper un étranger candide ? Ce que j’ai vu là, Monsieur, peut bien se sentir, mais non se dépeindre, et quelles couleurs pourrait-on employer ?… Ce nom de Lavoir, ne viendrait-il pas, Monsieur, de ce que le monument aurait grand besoin d’être lavé et lavé à grandes eaux ? Prenez pitié des étrangers qui visitent votre ville, racontez-nous les vicissitudes d’un édifice qui paraît répondre à des besoins pressants et réitérés, mais qui n’est pas un lavoir. Qu’a-t-il été ? Que doit-il être ?

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Je vous salue, etc.  Claude Viator »

DR

La rédaction du journal, sous la plume de Jean Fabry dit Legros (1807-1892)  dans son édition du 3 février rendit publiquement une réponse humoristique à cet homme de passage à Millau qui n’avait guère était enchanté de voir le lavoir dans cet état : « La ville de Millau n’est pas riche en monuments, comme vous le faites observer si bien ; mais nous n’y tenons pas, et la preuve c’est que nous n’en avons qu’un seul que nous gardons pour un en-cas. Qu’a-t-il été ? on vous la dit, un lavoir dans le principe ; c’est pour cela qu’il a été construit. Sa forme indique assez sa destination. Rapportez-vous-en à l’argumentation des causes finales. D’abord son onde a servi de miroir à nos lavandières et ses échos ont répété le bruit harmonieux des battoirs. Mais depuis…il a entendu et vu hélas ! beaucoup d’autres choses. Ce qu’il est maintenant, vous l’avez deviné en le voyant. Que doit-il être ? Parbleu ! un magnifique témoignage de notre propreté, si l’administration municipale n’y met bon ordre. Ah si le commissaire de police savait et si les sergents de ville pouvaient ! Que si vous nous demandez ce qu’il aurait pu être, nous vous répondrons, théâtre. L’emplacement était bien choisi, on utilisait un édifice bientôt sans emploi, et la ville posséderait aujourd’hui une salle de spectacle qui aurait un peu plus brillé à l’extérieur que celle que nous avons.

En attendant mieux, nous proposons d’en faire un lieu sacré, d’où seront bannis les profanes, et de graver sur le fronton, pour la gouverne des étrangers, ces mots en lettres d’or : Sta, viator, Heroem calcas. » (Causerie, l’Echo de la Dourbie, 3 février 1866).

Le lavoir en 1920. (DR)

Le Lavoir de l’Ayrolle a eu l’honneur d’avoir un article dans la revue d’informations artistiques, Beaux-Arts en 1931. Voici comment il est détaillé : « Il n’est pas un édifice, si platement utilitaire qu’en soit la destination, qui, traité par un homme intelligent, ne puisse constituer une œuvre d’art. Nous pouvons encore admirer de très beaux greniers du Moyen Âge, et très nombreuses sont les caves dignes de renfermer les produits des plus glorieux vignobles. Souvent aussi, il nous est donné de voir de fort belles halles. Les lavoirs susceptibles d’être signalés sont beaucoup plus rares ; le plus souvent composés d’un rang de cuves en plein air, profondément rongées par l’humidité et le frottement, ils sont d’une simplicité extrême. Aussi, en raison du soin exceptionnel qui y fut apporté, celui de l’Ayrolle, à Millau (Aveyron), nous paraît-il mériter quelques instants l’attention.

Il fut édifié en 1749 par l’ingénieur du roi Ramond et présente une disposition bien étudiée d’un bassin supérieur alimentant deux bassins inférieurs, l’ensemble disposé en fer à cheval, et entouré d’arcatures. La façade d’entrée est constituée par un portique d’ordre toscan, à trois arcades surmontées d’un fronton arrondi et d’une balustrade.

Des mascarons suffisent à donner quelque agrément à cette composition très simple. Ce petit bâtiment était couvert à l’origine, mais en 1773, un incendie détruisit la charpente, et depuis, dans cette petite ville du Rouergue il ne se trouva plus un second mécène pour remettre en état l’œuvre de Ramond.

Au moins celle-ci a-t-elle su inspirer assez de respect aux usagers pour demeurer à peu près intacte. Agée de deux siècles bientôt, habituée aux caquets – les lavandières n’ont jamais passé pour discrètes – combien de secrets millavois, sombres ou joyeux, si l’écho se faisait médisant, pourrait-elle nous raconter ? » (Le lavoir de l’Ayrolle, revue Beaux-arts, 25 août 1931).

Marc Parguel

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