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Millau. « SOS de soignants en détresse »

Il y a quelques jours tombait l’annonce de la fermeture du SSR polyvalent de l’hôpital de Millau pour plusieurs mois. Ce service qui devait rouvrir mi-mai est fermé depuis presque un an et n’avait que partiellement rouvert quelque temps sous la forme hybride d’une dizaine de lits de médecine. La direction explique avoir été « contrainte de prendre cette décision en raison d’un manque de personnel, une quinzaine de postes au total ».

Le représentant du syndicat Sud Santé Sociaux Pierre-Jean Girard reconnait volontiers une « pénurie nationale engendrée par la crise covid et un climat dégradé dans les hôpitaux publics ». Localement, il s’étonne cependant de « ne pas avoir vu d’annonces sur les plateformes dédiées à l’emploi pour trouver des IDE (Infirmier Diplômé d’État) » et se demande « s’il y a vraiment une volonté de recruter ».

Aujourd’hui, on a une dette de 30 M€ qui nous plombe, on est dans une dynamique de contraintes budgétaires et dans une politique sociale de réduction de la masse salariale pour faire des économies ».

De son côté Sylvie Marty, la directrice de l’hôpital assure que « le service de SSR du site du Puits-de-Calès a été fermé le 1er juillet 2021, car il n’y a pas assez d’infirmières et d’infirmiers pour le faire fonctionner ».

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Nous avions prévu de le rouvrir le 5 ou le 6 janvier, mais par malchance nous avons dû faire face à la cinquième vague du Covid, et les lits ont été transformés en lits Covid… La décrue de cette vague se fait ressentir à l’hôpital seulement depuis la semaine dernière, et en cette période pré estivale, nous allons de nouveau avoir des problèmes de ressources humaines avec un manque d’infirmier(e)s en période de congés. Nous espérons pouvoir rouvrir après la fin des congés, en septembre ».

D’autant que, comme l’explique Sylvie Marty, « les patients qui ne trouvent pas de lits en SSR sont souvent amenés à rester plus longtemps et à occuper des lits d’hôpital ».

Pointant également du doigt « un problème national » au niveau des effectifs, la directrice assume devoir faire un choix. « Nous avons deux SSR, le SSR polyvalent à l’hôpital et le SSR gériatrique à Sainte-Anne. Le plus simple était vraiment d’en fermer un. » « J’en suis la première désolée, si on pouvait garder tous nos services ouverts, on le ferait », assure-t-elle.

« Le personnel est à bout »

Pour le personnel du service de SSR déjà fortement éprouvé par deux ans de crise covid, le choc est immense et la pilule est dure à avaler. « Lassés d’être déplacés d’un service à l’autre au gré des fermetures et ouvertures de services et des remplacements », certains d’entre eux ont souhaité témoigner de leur mal-être aux côtés de représentants du syndicat Sud Santé Sociaux, sans pour autant y être associés.

Elles sont infirmières, aides-soignantes, et « n’arrivent plus à faire [leur] travail correctement ». Elles expliquent que depuis des mois,  leurs conditions de travail « se sont considérablement dégradées » au point que « certains d’entre eux ont déjà quitté leur poste et changé de métier ». Pour ceux qui restent, « le quotidien est devenu très difficile ».

« Depuis quelques années, on nous a mis à toutes les sauces selon les besoins des uns et des autres. On est prévenus quelques heures avant qu’on change de service. On remplace au pied levé sans connaitre les patients, on nous met en service covid sans avoir été formé, on est rappelé sans cesse sur nos jours de congés, nos plannings changent sans arrêt, on ne peut rien prévoir. On nous fait même culpabiliser quand on est en arrêt maladie ! On est surchargés de travail, parfois un infirmier est seul pour deux services ! On ne pense même pas aux patients, comme partout ailleurs, on les pousse vers le privé et vers une médecine à deux vitesses ! »

À leurs côtés, le syndicat dénonce « un management de la direction maltraitant, nocif et dangereux dans lequel les soignants sont rabaissés et pas assez reconnus pour le travail qu’ils font ainsi qu’une politique de recrutement qui n’est pas attractive ». Il met en avant les « 7 directeurs successifs depuis dix ans au sein de la structure dont le dernier aurait même refusé de faire un bilan de son action ou de son inaction… » et regrette que « le patient ait complètement disparu de tous les discours à cause notamment de la tarification à l’acte ».

Le boycott

À la veille de l’été, les soignants déjà épuisés s’inquiètent d’une nouvelle fermeture de service ou d’une réduction d’amplitude horaire comme cela se pratique déjà dans d’autres hôpitaux qui par exemple ferment les services d’urgence la nuit faute de soignants. Ils redoutent aussi le déclenchement d’un plan blanc pour pallier les carences de personnel aggravées par les congés d’été. Le syndicat laisse entendre que si la situation ne s’améliore pas au sein du centre hospitalier de Millau, il appellera le personnel à boycotter la certification du mois de juin.

Le syndicat « souvent taxé de critiquer sans proposer de solutions concrètes » explique qu’il est « nécessaire de résorber la dette pour pouvoir se projeter dans le projet d’hôpital médian » dont il a pris acte, mais qu’il « souhaite des garanties pour la période intermédiaire ».

Les solutions passent le bon sens nationalement et localement. Il faut par exemple relever les salaires de 400 €, titulariser plus rapidement les jeunes pour les retenir, proposer un salaire aux étudiants en échange d’un engagement de quelques années dans l’établissement après l’obtention du diplôme ».

Le point de non-retour

Comme pour beaucoup de leurs collègues, le malaise est profond et ne se limite pas aux murs de l’hôpital de Millau. Beaucoup de soignants semblent avoir atteint le point de non-retour, celui de la rupture. La parole libérée lors de ce rendez-vous est un véritable appel à l’aide. Les personnes présentent expliquent qu’elles ne savent plus « vers qui se tourner » et en appellent aux élus et aux candidats à quelques semaines des élections législatives.

Amélie Bossu est infirmière diplômée d’état depuis une trentaine d’années explique avoir souhaité témoigner parce qu’elle n’avait « plus rien à perdre ». Comme tous ceux qui restent, elle dit continuer « avant tout par amour du métier, par conscience professionnelle pour les patients et pour mes collègues, mais aussi par souci financier s’il fallait se former à un autre métier ». Mais jusqu’à quand ?

« J’en suis malade, on nous demande de nous asseoir sur nos valeurs, ce n’est pas possible, on a des êtres humains en face de nous ! J’aime mon métier, j’ai du mal à me dire qu’il faut que je l’arrête, mais c’est parce que j’aime mon métier que je l’arrêterai », lance-t-elle en larmes.

« Si ça continue comme ça, la prochaine étape, c’est que vous ne nous entendrez plus parce qu’on ne sera plus là… » conclu le représentant syndical.

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