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Patrimoine Millavois : La place de la Tine (1/2)

Sur la droite de l’avenue Jean-Jaurès s’étend la place, à peu près carrée, de la Tine. Elle mesure 450 m2 et communique directement avec la rue de la Fraternité par la rue du Sacré-Cœur, avec le boulevard de Bonald par la rue Louis Julié.

En langage du pays, Tine signifie cuve, auge, bassin. La fontaine peu monumentale, mais très pittoresque, qui se dresse au centre de la place, est l’ancienne Tina de Vezobias (1392) qui signifie « bassin de la fontaine de Vésoubies » du nom de la rivière souterraine qui traverse la rue Fabié (ancienne rue des bains)  et passe sous la place de la Tine. Pendant des siècles, hors des murs, mais proche de l’enceinte des remparts de la ville, à la lisière du très ancien chemin qui menait de Millau à Rodez, par le Clapier Mauran, elle ne fut, jusqu’à l’ouverture de l’avenue de Paris en 1786 renommée avenue Jean Jaurès en 1922, qu’un point d’eau, mais combien précieux au milieu des champs, de prés et de jardins où le bruit de la bêche ou de la boue faisait écho aux trilles de son unique jet. Maintes fois réparée, comme en 1496, par des ouvriers payés « sept blancs journaliers » commandés par les consuls de Millau, elle jaillissait au débouché de la rue Fabié. Cette fontaine était considérée comme « très précieuse pour le quartier de la ville se trouvant à sa portée ».

Le bassin circulaire (1787)

Après avoir subi quelques réparations en 1775, et suite à la création du tronçon de la route nationale n°9 où elle apparaissait près de la nouvelle voie (avenue de Paris) en 1786, on fut obligé de la déplacer sur un terrain acquis à cet effet, en 1788, des héritiers Rey-Hérant comme nous le rappellerait si besoin Jules Artières : « On acheta, pour la somme de 700 francs, partie du jardin, pour agrandir la place de la Tine, « afin de faciliter les abords de la fontaine et donner aux habitants un espace commode pour laver et étendre les blés » » (Annales de Millau, p.228).

Ce terrain n’était couvert que de jardins. Alors que l’ancien bassin était adossé à un mur, sur le côté ouest du chemin que formaient les actuelles rues Alméras et Fabié, la nouvelle installation avait été gratifiée d’un bassin circulaire, primitivement acheté pour la fontaine de Payssière, mais qui était resté inemployé dans la maison commune. La fontaine de Payssière fut créée en 1778 sur la place du même nom, et on avait acheté le bassin en 1783 en vue lui rendre un côté plus monumental (D’après Jules Artières, Annales de Millau, p.227).

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En 1786, la Tine possédait donc un bassin relativement neuf et un jet d’eau qui apparaît dans les archives municipales (30 pluviôses et 3 floréals an II (19 février et 23 avril 1803). Ceci étant, la place de la Tine a cette époque n’avait guère belle apparence. Elle n’avait pas la forme du quadrilatère que nous connaissons, c’était une petite place étriquée entre jardins et champs.

Le déplacement de la fontaine de la Tine au Mandarous (1775-1803)

Aussi, alors qu’on travaillait ardemment à la création de la Place du Mandarous voisine, il vint l’idée à nos édiles de déplacer la fontaine de la Tine sur la place du Mandarous. Après tout, pourquoi la laisser à cette place ? Sur ce carrefour mal dessiné, où se rencontraient l’avenue de Paris (Jean Jaurès), la rue de la Tine ouverte en 1782 (Julié) et son prolongement par la rue des bains (rue Fabié depuis 1943), enfin le chemin, ou traverse des Ouliers (qui est devenue la rue du Sacré-Cœur). La rue Alméras n’existait pas, elle ne sera ouverte qu’en 1827 sous le nom de « rue basse de la Pépinière » puis de « Chateaudun » en 1883.

Ce vœu de déplacer la fontaine existait même avant la création de l’avenue. Le 24 juillet 1775, alors que la grand-route n’était qu’à l’état de projet, le conseil communal avait déclaré :  « D’abord après que la route de Paris sera décidée, il faudra rapprocher ladite fontaine de la ville et la placer à l’endroit qui sera jugé le plus agréable et le plus commode » et c’est ainsi que la place du Mandarous nouvellement créée, on voulait la gratifier de ce jet d’eau dans son bassin ou « il serait mis davantage en valeur, tout en agrémentant la place et en dotant la ville d’une entrée des plus accueillantes ». Aux détracteurs qui critiquaient la dépense de ce déplacement, on répondait qu’on vendrait l’emplacement où se trouvait alors la Tine, ce qui payerait la dépense du transfert à effectuer. On vota ce déplacement le 18 février 1802. Le maire demanda alors à l’ingénieur Biljoin de préparer au plus tôt les plans et devis des travaux (Archives de Millau, 4 D 81). Biljoin qui n’était guère enthousiaste à l’idée ce projet de déplacement et laissa trainer les choses, ce qui provoqua la colère du maire qui le relança le 23 avril 1803. On avait condamné entre temps le puits des cordeliers sur la Place du Mandarous et on était dans l’attente d’y recevoir la fontaine. Des lenteurs administratives liées à l’autorisation du préfet pour des dépenses de cet ordre firent abandonner ce projet, et la Tine conserva sa fontaine à la place qu’elle occupe actuellement.

La création du « quadrilatère » de la Tine

C’est en 1835, seulement qu’eut lieu, entre la commune et Joseph Maury, marchand, un échange de terrains qui permit de donner à la place de la Tine sa forme agrandie et régulière.  D’autres cédèrent aussi quelques mètres carrés de leur terrain en contrepartie, ils eurent l’autorisation de faire acheminer les eaux versantes du bassin pour leur usage domestique. La fontaine simple jet d’eau qui coulait au centre d’un bassin, alimentée comme beaucoup d’autres fontaines millavoises  par le ruisseau de Vésoubie ou Mère de Dieu via un aqueduc qui descendait par l’actuelle rue François Fabié (ancienne rue des Bains et plus anciennement chemin de Millau à Rodez) vit son pilier central couronné par quatre dauphins crachant l’eau par leur bouche et maintenant une sphère de leur caudale. L’ensemble était en grès, dont les carrières les plus proches étaient à Verrières, Moulibez, Castelnau-Pegayrols.

La fontaine de la Tine. (DR)

A bien des égards elle ressemblait à notre fontaine des lions de la place Foch qui lui était contemporaine (1835). Sous la fontaine existait un réseau de tuyaux tentaculaires allant vers les écuries ou les cours des différents propriétaires en contrepartie des terrains qu’ils avaient concédés. Il y avait à cet effet, sur un flanc du bassin, un petit réceptacle dont les 18 trous, alimentés par les eaux du bassin qui s’y déversait, approvisionnaient gratuitement par des canalisations souterraines autant de bassins particuliers à l’intérieur de maisons environnantes de ce quartier.

De par sa situation privilégiée près d’une voie de grande communication, elle vivra au rythme des fléaux frappant le blé, le cahotement des voitures à cheval ralliant des auberges tout nouvellement ouvertes aux portes d’une ville sortie de la ceinture de ses anciens remparts, et, déjà le concert tonitruant des bestiaux dans les étables. Des artisans ne tardèrent pas à venir s’y implanter ainsi que des aubergistes.

Teinturier Saltel 1843. (DR)

La première « Auberge de la Tine » vint s’y implanter. Elle appartenait en jusqu’en mars 1839 à Jean François Lagarde qui décéda cette année-là, et son auberge fut vendu aux enchères publiques avec des meubles et objets de la succession le 8 juillet 1839.

Vint ensuite le café de Paris. « A céder le fond du café de Paris, place de la Tine, s’adresser à M. Jules Muret, on donnera toutes facilités pour le paiement » (L’Echo de la Dourbie, 1er septembre 1866)

En 1844, le maire de Millau, Delmas, fait savoir que par délibération du 20 juin 1842, le conseil municipal a fixé le mode de jouissance des eaux de la fontaine de la Tine ; que, conformément à l’ordonnance royale du 18 décembre 1838, cette délibération restera déposée pendant un mois, à partir du 4 janvier 1844, au secrétariat de la Mairie, où tout contribuable et prétendant droit aux eaux versantes de cette fontaine pourront en prendre connaissance sans déplacement.

Malheureusement il y avait pas mal de laisser-aller autour de cette fontaine,comme nous le rappelle journal local de l’Echo de la Dourbie dans son édition du 22 août 1841 : « Grâce aux mesures sérieuses qui vont être prises pour rendre la vigilance de MM. les agents de police plus active et plus efficace… le pourtour de quelques-unes de nos fontaines cessera d’être un bourbier fangeux et puant, et la limpidité des eaux de leurs bassins  ne sera plus troublée par les saletés des objets qu’on y lave nonobstant défense ; les citoyens ne seront plus arrosés, le soir en se retirant, par des matières dont l’odorat fait reconnaître facilement la nature… On ne verra plus à l’avenir les cochons vaguer dans les rues, sur les places ; enfin il ne sera rien négligé de tout ce qui peut garantir la liberté et la sûreté de la voie publique, la salubrité et la propreté de la ville. »

En septembre 1869, la rue de la Tine était encombrée depuis trois mois par cinq respectables troncs d’arbres qui ne pouvaient guère s’être échoués là tout seuls ou par la simple inadvertance d’un transporteur. Cependant, dit un arrêté municipal « nonobstant les recherches actives faites par la police, il n’a pas été jusqu’ici possible de découvrir le propriétaire de ces arbres, pas plus que l’auteur de leur dépôt ». On fit transporter les cinq troncs dans le bas du jardin de l’Hôtel de Ville (emplacement actuel de la Maison du Peuple) en attendant que l’ayant droit les réclame.

Derrière la Tine, il y avait de nombreux jardins potagers et quelques maisonnettes : « A affermer, au quinze mai prochain, un jardin avec serre et maisonnette, sis à la Tine. » (L’Echo de la Dourbie, 12 janvier 1867).

Au début du XXe siècle, la fontaine servait d’abreuvoir pour les chevaux logés dans les écuries des hôtels du quartier. Le plus étonnant d’entre eux fut incontestablement celui du brave père Tournemire, pacifique revendeur de légumes et de fruits. Son cheval qu’il appelait « Petit » savait à merveille l’art de se laver les dents au jet de la fontaine, boire à la stricte commande, exécuter quelques pas de danse rythmés par la flute de Pan de son maître et, fruit d’une parfaite éducation équestre, frapper de son sabot à la porte de son écurie avant d’entrer.

Juillet 1908 (DR)

Sur cette vue de juillet 1908, on y voit une dame à l’ombrelle, assise sur la margelle, une dame au chignon et en tablier qui s’apprête carafe en main à prendre de l’eau. De l’autre côté, un beau cheval, délivré de son harnais, assoiffé lui aussi, tandis que son compagnon le chien se contente de laper la flaque.

Parfois il arrivait des déconvenues : « Dimanche matin (13 juillet 1902), vers les 3 heures, M. Connes, camionneur, rue de la Tine, se rendant à son écurie pour y atteler son cheval qu’il y avait laissé à onze heures mangeant une botte d’excellent foin, fut fort surpris de ne trouver que le licol et pas de cheval. Plainte est immédiatement portée à la gendarmerie ; nos braves pandores commencent leurs recherches, ils découvrent même une piste sérieuse. A Boyne, un cavalier de mine suspecte a été vu sur la route, montant un cheval dont le signalement répondait à la description faite par M. Connes. Un voyageur l’a rencontré lui aussi sur la route de Peyreleau ; il a même été frappé de l’allure extra rapide que le cavalier avait donnée à sa monture. Plus de doute ! C’est le cheval volé. Entre-temps, un bon gendarme s’avise de consulter les habitants de la rue de la Tine. La dame Candon, épouse Jean, déclare que peu après onze heures elle a entendu un cheval errer librement dans la rue. Les recherches continuent dans les écuries de la ville. Bientôt le cheval est retrouvé dans l’écurie du sieur Candon, restaurateur, rue de Bonald, où des passants qui l’avaient rencontré errant, s’étaient empressés de le reconduire. On juge de la satisfaction de son propriétaire » (Cheval volé et retrouvé, Journal de l’Aveyron, 20 juillet 1902).

Les chevaux n’étaient pas du genre à se laisser faire comme nous le rappelle « L’auvergnat de Paris » dans son journal du 16 mai 1897 : « Monsieur Pomarède, coiffeur, voulut prendre par la bride un cheval que l’on essayait de vendre, lorsque l’animal lui saisit la main avec ses dents. Lorsqu’on parvint à lui faire lâcher prise, le petit doigt de la main droite était complètement détaché ».

« Lundi (15 avril 1912), vers 6 heures du soir, M. Manson, ouvrier corroyeur, revenait du Monna, en compagnie de sa femme, lorsqu’arrivé près de la fontaine de la Tine, le cheval prit peur et fit un écart si brusque que le véhicule fut renversé et les époux Manson projetés violemment sur le sol. Mme Manson et son mari ont reçu des contusions graves sur diverses parties du corps et notamment à la tête. Les deux blessés furent conduits à leur domicile dans un pitoyable état. » (Messager de Millau, 20 avril 1912).

DR

On peut s’y rendre de différentes manières

Par la rue du Sacré-Cœur (ancienne traverse ou chemin des Ouliers). C’est le plus court chemin pour les habitants qui viennent de l’Avenue Gambetta. On pouvait aussi s’y rendre par la rue (ouverte en 1782) et la traverse de la Tine renommée depuis du nom de Louis Julié et comme nous le rappellerait Jules Artières : « L’assiette de cette rue est l’emplacement d’un très ancien chemin que l’Etablissement de la gare a bien morcelé et modifié. Au XVIe siècle, on le qualifiait  de vieux chemin de Millau à Rodez, ancien chemin de Millau au Clapier Mauran. Il partait de la porte de la Capelle, suivait les rues actuelles de la Tine et des Bains (Fabié), longeait le plo de Vezoubies, puis laissant sur la droite l’embranchement du Vieux Crès, traversait le vignoble de Tenens et se dirigeait vers les Aumières.

Quant à la traverse de la Tine, elle paraît remonter à 1782. Une délibération de cette année dit, en effet : « Il est intéressant d’ouvrir un chemin à côté de Paulet, potier de terre, pour conduire à la Tine » (Millau, ses rues, ses places, ses monuments, 1924).

C’est Georges Girard qui eut l’idée de faire donner le nom du poète millavois Louis Julié (1877-1947) à cette rue de la Tine et à la traverse adjacente (décision municipale du 23 avril 1949). Une cérémonie d’hommage eut lieu en juillet 1952, sous la présidence du félibre rouergat Joseph Vaylet, vice-syndic de la Maintenance de la Langue d’oc.

A suivre…

Marc Parguel

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