[dropcap]C[/dropcap]e jeudi 11 novembre, à l’heure où un hommage national était rendu au dernier Compagnon de la Libération Hubert Germain, une émouvante cérémonie de la commémoration de l’armistice de 1918 était organisée au parc de la Victoire. Sous un beau soleil, un public venu nombreux a pu assister à cette commémoration ponctuée par des prises de paroles de collégiens et de lycéens, ainsi que par une très belle Marseillaise interprétée par les élèves des écoles publiques et privées de la ville.
Avant la lecture du massage de la secrétaire d’Etat auprès de la ministre des Armées par André Joachim, sous-préfet de l’arrondissement de Millau, Michel Durand, conseiller municipal délégué aux anciens combattants, a rappelé le lourd tribut payé par les soldats aveyronnais avant d’inviter à alimenter sans cesse notre travail de mémoire « pour comprendre notre temps présent » :
« En ce onzième jour du mois de novembre à onze heures les armes se taisaient. A Millau comme dans toute la France, les clairons ont retenti et les cloches de toutes les églises ont sonné. C’était en 1918, il y a 103 ans jour pour jour, la Première Guerre mondiale prenait fin. La guerre faisait place à la désolation. Dès le lendemain de l’armistice, commença le funèbre décompte. Le bilan est terrible : 9 millions de morts, dont 1 million et demi de Français, presque tous des soldats mobilisés. 15.000 Aveyronnais tombés au front. 10 morts par jour pour notre seul département ! 15 000 destins brisés. Une génération tout entière sacrifiée dans ce que l’on appellera la saignée de 14. Ce matin encore nous leur témoignons notre reconnaissance et leur rendons un hommage mérité. Un hommage qui embrasse tous les soldats de la République morts pour la France.
Le nombre de blessés est lui aussi extrêmement important : évalué à 6, ils vont marquer profondément l’après-guerre en devenant les tristement célèbres gueules cassées, exclues du monde du travail, psychologiquement et socialement brisées.
Il faut lire, et j’incite les élèves présents aujourd’hui à le faire, les témoignages des acteurs de cette véritable boucherie pour prendre la mesure de l’ampleur du traumatisme qu’aura été cette première guerre mondiale. Lire Maurice Genevoix décrivant avec une intensité inouïe la douleur de ceux qui, restés debout après l’assaut, voyaient mourir leurs frères d’armes dans la boue, recroquevillés dans leur détresse et qui permettent de mieux appréhender certains comportements jugés déméritant. Il faut lire Henri Barbusse relatant l’angoisse des interminables nuits de veille au fond des tranchées. Lire l’allemand Erich Maria Remarque évoquant ces terrifiantes scènes de guerre. Tout comme les lettres de poilus telle celles dont nous on fait écho Julie, Lison et Enzo. Rien n’égale ces témoignages pour comprendre ce qui s’est produit là, marquant pour notre humanité un souvenir indélébile, faisant à jamais de ce 11 novembre, un jour de deuil et de la paix un objectif absolu.
Votre présence, ici, ce matin, devant ce Monument aux Morts témoigne de l’intérêt que les Millavois portent à cette cérémonie du souvenir, mais au-delà, et j’en suis persuadé, à l’idée de Paix que nous commémorons également. Elle nous encourage à faire vivre la mémoire collective, lui donner un sens fort dans notre société, une société soumise au doute. Car cette mémoire collective, notre mémoire, doit enfanter le devoir.
A l’heure où un hommage national est rendu à Hubert Germain, dernier Compagnon de la Libération. A l’heure, à quelques mois d’une élection présidentielle, où certains médiatiques polémistes sous des élans patriotiques et à coups de transgressions et de contrevérités historiques, agitent des idées dangereuses en espérant prospérer sur des inquiétudes légitimes générées par une succession de crises. À l’heure où l’on voit monter les populismes, où nombre de nos concitoyens sont sensibles à leurs sirènes, nous devons nous rassembler.
La peur est un instrument et désespérer les peuples a toujours conduit au pire. Visées impérialistes, humiliations, esprit de revanche, crise économique, populisme, radicalisation, communautarisme, repli sur soi ont toujours nourri la montée des nationalismes et des totalitarismes.
Romain Gary disait, « Le patriotisme c’est l’amour des siens. Le nationalisme c’est la haine des autres !». Et François Mitterrand de renchérir lors de son ultime message en tant que Président en 1995 « le nationalisme, c’est la guerre ! ». Deux hommes aux parcours et aux destins différents, mais qui avaient tous deux connus l’abomination de la guerre et son cortège de morts inutiles. Connaître et tirer les leçons de l’Histoire, c’est préparer l’avenir, car c’est toujours l’ignorance qui engendre la peur et la peur qui engendre la violence.
C’est pour cela que l’école est si importante. Et c’est aussi pour cela que je tiens à saluer aujourd’hui la communauté éducative ici présente. Saluer tous ces héros du quotidien, qui œuvrent obstinément, pour attirer nos enfants vers la connaissance sans œillères, dans l’esprit laïque et indivisible de notre République.
Car il est toujours nécessaire d’expliciter en quoi la connaissance du mécanisme diabolique qui a mené de conflits nationalistes locaux à un conflit mondial est vitale pour comprendre notre temps présent. Il est toujours nécessaire d’expliquer en quoi la compréhension des dérives qui menèrent d’un légitime patriotisme à sa caricature nationaliste peut éviter à notre temps et dans l’avenir de nouveaux et terribles drames. C’est cela le sens de nos commémorations : mieux connaître notre passé commun pour y puiser la conscience de ce qui nous relie les uns aux autres, des valeurs que nous voulons défendre ensemble dans un monde où bien des équilibres sont menacés, où refont surface des idéologies en appelant au rejet de l’autre et au repli sur soi.
Cela nous donne collectivement des responsabilités particulières à l’égard de celles et ceux qui, chaque jour encore, risquent leur vie et qui, pour certain(e)s, la perdent en France et hors de France en opérations extérieures pour notre sécurité, pour nos valeurs républicaines et pour la Paix, prenant ainsi place dans cette douloureuse continuité des victimes que nous célébrons aujourd’hui.
A l’instar des enseignants et de nos soldats, remercions aussi les anciens combattants qui font également en sorte que la flamme du souvenir ne s’éteigne jamais et cultivons collégialement la flamme de la fraternité, de la solidarité, de la bienveillance et de la concorde. Rejetons tous les extrêmes, ceux qui veulent nous imposer leur loi du talion, leur haine de l’autre et leurs idéaux portant atteinte à nos libertés. »