Actualité

Millau. Trois parapentistes franchissent la barre mythique des 200 km

Mercredi 19 août, les Millavois Juan Blasco, François Bodot et Antoine Laurens ont pulvérisé un nouveau record : celui de la plus longue distance parcourue par des parapentistes millavois, qui restait bloqué à 170 km. Partis de la Pouncho à midi, ils se sont posés six heures plus tard dans la région de Saint-Germain-Laval, dans le département de la Loire.

Le « vieux rêve » de Juan Blasco, celui de franchir la barre des 200 kilomètres, est aujourd’hui atteint. Il est pour l’histoire le nouveau recordman de distance libre de Millau (217 km), devant Antoine Laurens (214 km) et François Bodot (+/- 205 km).

Sur son compte Facebook, Juan Blasco raconte délicieusement son vol pas comme les autres, qui, en compagnie de ses deux camarades, lui a permis de poser son parapente au-delà de son rêve. Récit.

_______________

Publicité

Est-ce la chanson de Franck Sinatra « Fly Me To The Moon », que j’ai l’habitude de fredonner quand je vole, surtout lors du dernier glide (plané), qui m’a fait penser à ce titre, ou la beauté des galaxies de cet univers insondable dans lequel nous sommes, que j’aimerais parcourir ou, plus prosaïquement, la série éponyme que je suivais à l’époque à la télé et qui me donnait envie de la passer cette porte des étoiles ?

Le fait est que, quand mon instrument de vol égrenant les dernières centaines de mètres précédant l’objectif du jour, au plafond, bras hauts, je filais à près de 70 km/h sol, ce qui a eu pour effet de faire dérouler les 500 derniers mètres comme les 5 dernières secondes d’un réveillon du jour de l’an, j’ai vu la membrane de la fameuse Stargate, là devant la pointe de ma sellette, se troubler, m’engloutir et me transporter dans cette : Galaxie 200 +++.

Heureux je l’étais ! Fier je l’étais ! Et heureux de le partager avec Antoine et François, je l’étais bigrement.

Tout a débuté il y a plus de 50 ans, mais, accélérons le temps comme si nous étions à bord de l’Atlantis en vitesse hyperespace.

Francois Bodot à l’attaque depuis le décollage. La route est très longue dans le bleu… (photo : Juan Blasco)

Lundi 17 août

Comme tous les matins après avoir savouré un petit-dej’, celui d’un mec en vacance, j’allume mon ordi, clique sur http://xn--mto-parapente-bhbb.com pour connaître le temps du jour et à venir. Il décidera de mon emploi du temps de la journée et à venir.
Je reste ébaubi, pantois comme un couillon devant la prévision à trois jours, surtout celle du mercredi 19 août.

Je compulse et recompulse, je coupe et recoupe les prévis d’autres sites météo. Tout concorde ! Mercredi serait-ce possible ? Mercredi serait-ce LA journée du siècle ? Mercredi celle qui ? Par bonheur je peux en être.

Mardi 18 août

J’inverse le rituel ; météo d’abord, petit-dej’ ensuite et en même temps. Pareil ! Rien n’a bougé d’un iota. Oh là là ! Mercredi ! Mais c’est demain ! Aussitôt, je lance une alerte sur notre réseau ; Dynamique cross Millau : Au feu ! Au feu ! Mercredi. Ils comprendront et iront voir si ce n’est pas déjà fait.

Mercredi 19 août

Météo, météo, météo. C’est mon petit-dej’ de la matinée. Putain on y est ! Deuxième alerte mercredi : « Objectif 200. Rendez-vous Golf à 11h15 ». D’aucuns répondent pouvoir être là à l’heure, d’autres vers midi au déco.

Par bonheur, Antoine, François, Maryline et Gilles sont au Golf bien avant l’heure et c’est tant mieux, car la balise du déco annonce déjà un sud à 26 km/h. Quand on sait que Millau est une usine à vent, mieux vaut décoller avant qu’il ne rentre en fracassant tout avec ses rafales pleines d’acrimonie et, même s’il ne rentre pas finalement, voir venir depuis l’air, c’est plus cool.

Je me prépare et décolle plus vite que mon ombre tant et si bien, que je suis en vol bien avant le groupe. Ça tient, ça monte, c’est tout bon, j’attends. Ouf ! Ça semble plutôt bien parti, mais maintenant il va falloir tenir 7 ou 8 h pour atteindre l’objectif. Il n’en sera rien, moins de 6 h.

Signal de Randon ou Truc de Fortunio. Le stress augmente voyant les nuages tout proches. Antoine Laurens point bas au pied de l’antenne, Juan Blasco, derrière le lac de Charpal, François Bodot en partant, les quittent vers les sud-est. (photo : Juan Blasco)

En l’air à 11h36 pour un départ en cross, c’est aussi rarissime que le cadeau que nous a fait la masse d’air, s’apprêtant, du moins sur le papier, de pied en cap de ses plus beaux atours aérologiques.

Tiens ! Puisqu’on parle d’elle, et en attendant les potes, voyons comment elle nous a fait tourner en bourrique.

Elle nous a fait quoi pendant ces dix ans ? Elle a joué à la migraineuse, à la « j’ai mes trucs », à la « je suis crevée », à la « j’ai pas envie », à la « on verra la prochaine fois ». On verra la prochaine fois ! Ça a duré 10 ans. Dix ans à nous balader en comparses éconduits, dont on se joue !
« — Je suis au nord, venez,
– Je suis au nord-est, venez mes amis,
– Je suis au nord-ouest, aujourd’hui, venez mes chéris. »

Et nous, pauvres pantins, pauvres diables, on y allait et on en revenait en parapentistes à la triste figure.

Fallait-il y aller avec des bonbons, comme le chantait Brel ?

On y est allé combien de fois, en solitaire, par petits groupes, avec des ailes plus belles, plus performantes et à chaque fois, ça a été le même résultat.
Mais que faire, se faire mener par le bout du nez, ça va un moment, mais après un temps, faut concrétiser, car de guerre lasse.

Antoine Laurens en mode relax, c’est gagné ! (photo : Juan Blasco)

A-t-elle senti notre agacement à toujours tomber à ses pieds ? S’est-elle laissée hacker par le réchauffement climatique ? A-t-elle volontairement ou par inadvertance aligné tous les paramètres complexes pour cette réalisation ? Le fait est que nous sommes trois à être passés par la Stargate, et hop, nous voici dans cette galaxie 200 +++ tant convoitée, qu’on nous interdisait depuis belle lurette.

Nous avons pénétré en terra incognita sur 50 kilomètres, mais sous un double étalement nuageux qui stoppe notre progression sans pour autant nous mettre au sol de suite, car nous entamons ce dernier plané à 2.800 et poussés par un vent laminaire à plus de 30-35 km/h.

La masse d’air, trouvant certainement qu’elle avait été trop généreuse avec nous, mais voulant montrer sa générosité à ces nouveaux hôtes, nous fait glisser sur près de 40 bornes à ne rien faire, si ce n’est de profiter de cette vue qui s’offre à nous pour la première fois. Nous dressons une carte visuelle pour la rapporter à nos petits camarades, leur raconter notre expédition et leur dire que oui, c’est possible de passer au travers de cette Stargate et d’en revenir vivant.

Amios. « Je passe le village et pose grâce à deux bullettes et par là même les 210.2 km en ligne droite. » (photo : Juan Blasco)

Enfin, tout le groupe est là, les choses sérieuses commencent.

Cela fait environ 15 minutes que je suis en l’air et, en attendant les copains, je sonde la masse d’air qui ne cesse de gonfler, gonfler comme un soufflet aux thermiques. Laissons-le encore au four.

Cinq minutes plus tard… 12h, voilà on y est ! Il est temps de le sortir du four et de l’emporter avec nous. D’autant plus que François, voyant derrière nous, sur notre route, deux vautours enrouler pas bien haut, s’était déjà jeté sur eux. Gros risque qu’il prenait là, car si cette bulle ne donnait rien, il hypothéquait fortement la suite du vol, et quel vol ! Mais ça marche et son thermique le monte à un bon niveau que nous atteignons nous aussi sur les falaises de la Puncho. 1500. Nous partons à sa suite sachant pertinemment que la traversée du Causse Noir vers Fontaneilles sera une formalité. Mais gare toutefois !
Malheureusement, pour certains, Millau en début d’après-midi est plus particulièrement en ce début de vol prématuré, fait encore plus de dégâts qu’à l’habitude parmi le groupe. L’expérience parle !
Seuls Antoine et moi partons dans le sillage de François. Les autres se battent avec plus ou moins de bonheur.

Notre échappée est à Fontaneilles. Il est juste au-dessus du relief. Je le note et prends soin d’enrouler une bullette dans la vallée du Tarn. Antoine fait feu sur lui, mais arrive si bas qu’il restera englué longtemps entre Suèges et Fontaneilles. Je rejoins François à Suèges dans une ascendance puissante, occupée aussi par des vautours.
1650, c’est mieux, mais pas la panacée pour affronter la platitude du Causse de Sauveterre et l’heure inhabituellement avancée.

Nous sommes à Novis quand nous voyons Antoine s’extraire de son point bas. Nous, lentement mais sûrement nous perdons de l’altitude. Patience !

Son plafond est bien meilleur que tout ce que nous avons fait jusqu’à présent. Rassurant !
En venant vers nous et pas bien loin, il en trouve un autre dans lequel il monte rapidement. Pas d’hésitation, bras hauts, barreaux : 1-2-3, c’est-à-dire pour les profanes : à fond +/- 60 km/h, nous affrontons le vent de face, mais ce même vent, nous sert Antoine et son thermique sur un plateau. Cerise sur le gâteau, François, étant plus bas, percute un plus gros vario, et hop ! On se cale sur lui : 2260.

Montbrison (photo : Juan Blasco)

Voilà un bon et excellentissime viatique pour affronter cette platitude brûlée par le soleil sans partage et un ciel désespérément vierge.

Mais nous sommes trois et comme les trois Mousquetaires, nous avons leur devise : « Nuage si tu ne viens pas à nous nous irons à toi ». A ce moment-là, les petits cums que l’on voyait étaient si loin que la devise était une gageure bien osée. Il faut bien s’encourager !

Moi, je ne sais pas pourquoi j’ai foi dans les prévis à 99 %, avec ce petit doute de 1 % toutefois.

Car j’ai déjà connu ce genre de situation où la masse et ses prévis ne font qu’un et se mettent en marche au fur et à mesure qu’on avance. Et quand on a cette chance, c’est un tapis rouge qui se déroule sous les pieds.

Vertical du Massegros : 2400 bleu.

Et voilà que le tapis se met en place vers la Canourgue sous forme de petites nuelles, émergeant de leur lit douillet. Désolés les filles de vous bousculer si tôt, mais on a un truc à faire.

Dans la dérive, 2600 vertical le Villard. C’est la montée des marches à Cannes ce tapis rouge.

Les premiers vrais cumulus sont sur cette crête juste au nord-ouest de Mende ; le hameau de Goudard y a fait son nid. Moi j’y vais : 2700. Confortablement calé sous un beau cum, j’attends mes petits camarades qui sont en délicatesse, indisposés quelque peu ; qui, pour s’être fait appuyer sur la tête, qui, pour avoir tenté autre chose. On communique, ils ont enfin trouvé un bon vario, ils arrivent, on part.

Les éoliennes, en bout de cette crête, confirment la bonne dérive en moulinant aisément dans le vent ; sud-ouest, parfait !

Les gardiens de la Margeride sud sont avalés dans une senteur de bruyère. Le Truc de Fortunio à 1550, avalé, le Signal de Randon à 1550, avalé. Ah, non ! Antoine se prend les pieds dans le tapis, racle la bruyère, enroule en se faisant reculer, mais en bon mousquetaire qu’il est sort sa botte secrète et monte comme pas un derrière nous.
François et moi sommes pour peu de temps encore ensemble. Voyant de beaux nuages tout neufs, il part cap à l’est, seul. Good luck body !

Saint-Germain-Laval. Atterrissage pour Antoine qui a négligé le dernier plaf. (photo : Juan Blasco)

Moi, filant toujours droit devant quelle que soit l’humeur du ciel, je vise une nuelle, qui me joue un mauvais tour. Elle me fait de l’œil, mais quand j’y arrive joue à l’Arlésienne. Aïe ! Aïe ! Aïe ! Premier point bas, mais celui-là est compliqué. Rien pour m’appuyer, dérive marquée sous le vent des Trucs et au pire moment.

C’est à ce moment-là qu’Antoine arrive par-dessus moi, pas haut, il y a de fortes chances que sa masse d’air soit la mienne et, au même moment sur le petit massif boisé qui est tout proche, apparaissent simultanément un gruppeto d’humilis (petite concentration de tout petits, petits nuages) et un rapace.

Il ne m’en faut pas plus. Barreau à fond toute, travers au vent, je m’engage sur le massif du col des Trois Sœurs, juste assez haut, faut pas que ça merde ! Mais je n’ai pas trouvé mieux à faire. Ça castagne grave sur les premiers hectomètres, ma Rossinante, se tort, rue des quatre fers, souffle des naseaux, mais me sort de ce guêpier.

On monte moins haut, 2400. Mais la dérive est telle, le pays où poussent les nuages si vaste et si proche que le reste du vol est d’un scolaire ennuyeux dont je vous fais grâce, car nous jouons ni plus ni moins à la marelle sous les nuages.

François ? En haut, en bas, très bas sur le Puy-en-Velay, s’en sort, on le croit à Saint-Etienne, puis silence radio pendant une heure, puis finalement réapparaît sur la fréquence en nous écoutant franchir les 200. il vient vers nous et se pose tout proche en franchissant également les 200.

Juan Blasco tout heureux à l’arrivée de son périple de 6h, qu’il a partagé avec François Bodot et Antoine Laurens. (photo : Juan Blasco)

Heureux déjà nous sommes quand la deuxième bonne nouvelle tombe ; Gilles Robert, de sa propre initiative a pris la caisse d’Antoine et s’est mis en route pour nous récupérer. Un Xième merci à lui.

Je retrouve Antoine à Saint-Germain-Laval, c’est là qu’il pose. Nous récupérerons le troisième larron tard dans la soirée.

Epilogue

Lundi soir à Millau, resto pour fêter ça et pour oublier le passage au MacDo auquel, vu l’heure tardive à laquelle nous étions dans Thiers, nous n’avons pas pu éviter.

Bouton retour en haut de la page