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Patrimoine Millavois : l’immeuble de Bonald

Il y a 45 ans, le 17 juin 1977, disparaissait à l’angle des rues Peyrollerie et Saint-Martin, la maison natale du philosophe de Bonald, maire de Millau, académicien et pair de France.

Une plaque en marbre blanc apposée par son petit fils en 1895 signalait au passant au numéro 4 de la rue Saint-Martin, son souvenir, sur l’emplacement actuel d’une partie du petit square baptisé du nom du philosophe-académicien.

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Son fils, Louis Jacques Maurice cardinal-archevêque de Lyon, allait aussi naître dans cet immeuble le 30 octobre 1787. C’était une demeure remarquable par une sculpture extérieure grimaçante et une cage d’escaliers avec balustres et peintures au plafond, dont l’ensemble était cependant bien fragilisé par le poids des années. On pouvait lire sur une de ses colonnes la date de 1732, année probable de son édification.

L’Immeuble peu avant sa démolition en 1977. (DR)

Emilie Arnal (1863-1935) évoque cet immeuble dans son ouvrage « un oiseau dans l’azur » (1932) : « Notre ville possède une belle demeure dont on ne parle pas, et que des ignorants ont achetée un jour pour un morceau de pain.

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Dans une vieille rue, la rue Peyrollerie, habitée autrefois par de grandes familles, est l’hôtel ancien des seigneurs de Bonald. Une plaque de marbre indique les deux dates de naissance et de la mort du philosophe.

Cette noble maison fut jadis mutilée, ainsi que le blason dont s’ornait le portail. Pourtant, à l’intérieur, ignorée des passants, une chose est restée inviolée, superbe ; un escalier de pierre aux voûtes en arceaux, aux rampes de granit fermement dessinées. Au plafond est encore une fresque où l’on voit Ganymède enlevé par l’aigle du tonnerre. Sur les murs, des tons bleus, entre les pierres grises, forment une harmonie de suave douceur.

Tout cela devrait être un musée pour la ville qui eut l’honneur d’avoir un jour un pareil fils ; et ce décor, plein de mystère en sa grandeur, ferait mieux pénétrer la puissante pensée de celui dont les yeux s’ouvrirent dans ce cadre qui semble plus un monastère qu’un palais » (extrait de L’Aspect de nos montagnes, 1932)

Le somptueux plafond du grand escalier à balustre

L’enlèvement de Ganymède. (DR)

Il représentait une peinture évoquant l’enlèvement d’un personnage mythologique : Ganymède.

L’iconographie fait ici appel à l’aigle, connu comme le messager préféré de Zeus, doté de larges ailes enveloppantes et de griffes à harpons, le royal rapace possède de ce fait de puissantes armes offensives dont on ne peut nier l’efficacité. Dans la Mythologie grecque, c’est un prince troyen fils de Tros, roi de Dardanie et de la nymphe Callirrhoé, fille du dieu-fleuve Scamandre. Il fut aimé de Zeus qui l’enleva et en fit, dans l’Olympe, l’échanson des Dieux. Plus tard, on raconta que Ganymède, gardant ses troupeaux sur le mont Ida, Zeus avait pris la forme d’un aigle pour l’enlever.

Les peintres ont souvent représenté « l’enlèvement de Ganymède » aux XVIIe et XVIIIe siècles ; il devait être cher aussi aux nobles de Millau qui, jouissant de vastes hôtels particuliers, mais aussi très au fait eux-mêmes de l’art architectural de l’époque, les décoraient toujours d’un imposant escalier à larges degrés bordés de balustres ou d’une rampe à ferronneries, et couronnaient ce somptueux ensemble par un plafond à fresque figurative.

L’escalier. (DR)

Dans les années 1930, au rez-de-chaussée de cet immeuble on trouvait un petit commerce de vins.

Edouard Mouly (Mylou du Pays Maigre) sur le sujet écrivait alors que la « Place nouvelle » future place Emma Calvé venait d’être terminée en 1935: « N’y a-t-il pas ingratitude pour nous, Millavois, à ne pas honorer ainsi qu’il conviendrait, une pareille mémoire ? Après tant d’autres, me sera-t-il permis de formuler un vœu ? Une grande place s’est créée à Millau, toute voisine du berceau de la famille de Bonald. Ne pourrait-on pas y aménager un petit coin de verdure et, à défaut de statue, ériger un monument très simple avec deux médaillons faisant revivre les traits du Penseur et ceux de son fils le Cardinal ? Millau s’honorerait par cet acte de reconnaissance et de justice » (Alades, Au Monna, 1948)

En 1934, on envisageait de moderniser ce quartier de Millau et même dans sa délibération du 3 mai, le conseil municipal prend comme décision de construire un lavoir public en bordure de la rue Saint-Martin et non de la rue du Prêche, comme certains habitants du quartier l’auraient désiré (L’Auvergnat de Paris, 19 mai 1934).

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L’opération « Aménagement de la Ville »

 Le temps passa, et en juillet 1976, fut lancée l’opération « Aménagement de la Ville ». Ce projet prévoyait, entre autres, le prolongement de la rue Saint-Martin, son élargissement et son ouverture sur l’Ayrolle. L’objectif est de  créer une voie reliant cette artère principale à la Place Nouvelle et au centre ancien. Alors allait-on faire tomber le vieil immeuble fortement délabré situé dans l’axe du projet de percée ? Dans sa séance du 16 juillet 1976, le conseil municipal après de vives discussions décide dans son plan d’urbanisme, la disparition de l’immeuble appelé «  l’Hôtel de Bonald ». On pensa un temps sauvegarder tout ce qui pouvait l’être (escalier, fronton de la porte d’entrée, le plancher), le monument étant en phase d’être classé, on commença par faire tomber l’hôtel des De Corneilhan face à l’Hôtel de Sambucy, sans faire trop de vague.

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Puis le 15 juin 1977, le couperet tombe et nous pouvons lire sous la plume du maire M. Diaz, l’article suivant :

« Nous avons dans l’équipe municipale, le plus grand respect pour les vestiges du passé en général, et pour les vieilles pierres de Millau en particulier. Arrivant à la mairie, nous nous sommes trouvés devant un problème paradoxal : je parle de la querelle concernant la démolition de la maison de Bonald.

Il se peut que la dernière municipalité n’ait pas choisi le meilleur endroit pour tracer la voie de pénétration dans la vieille ville. D’autres solutions existaient peut-être. Mais la question n’est pas là.

Nous nous trouvions devant une œuvre aux trois quarts exécutée et qui avait déjà nécessité la destruction de l’Hôtel Corneilhan qui valait largement celui faisant l’objet du litige.

Cent millions anciens avaient été engagés déjà dans l’opération. La ville ne pouvait pas se permettre une telle dépense en vain. Les tenants de la conservation ont agité beaucoup de monde, et du beau monde, des ministres mal informés, et crié au scandale. Pourquoi les précédents propriétaires si jaloux de cette conservation ont-ils vendu, sachant pertinemment les projets de la Municipalité ?

Pourquoi les honorables descendants de la famille fondatrice de l’Hôtel ont-ils fait pétition sur pétition alors qu’ils avaient  laissé à l’abandon la demeure ancestrale ?

Le petit square. (DR)

Les contribuables millavois n’ont pas les moyens de conserver sur leurs propres deniers un souvenir sentimental, honorable certes, mais qui, sur le plan architectural, avait une valeur toute relative. Leur position aurait été différente s’il s’était agi d’un chef-d’œuvre.

Prenant mes responsabilités, et en plein accord avec tous les élus, j’ai ordonné la démolition de la maison de Bonald le vendredi 17 juin. Auparavant, j’avais pris la précaution et la courtoisie d’avertir la société des Amis du vieux Millau sur nos intentions. J’ai cru trouver auprès d’eux une certaine compréhension à une exception près, d’autant plus que je me suis engagé à associer leur groupe aux futurs travaux de rénovation et de réhabilitation du Vieux Millau, auquel, et c’est normal, ils tiennent tant.

J’ai reçu de nombreux coup de téléphone de diverses autorités et administrations, me mettant en garde contre les conséquences qu’aurait pour le Maire une décision de démolir. Ces conséquences, je les assume. Cette démolition, au point où nous en étions, devait être faite  et elle l’a été. Si mes ennuis commencent peut-être, au moins l’affaire est finie. Millau doit aller de l’avant, sans hésiter, une fois que les décisions sont prises » (L’officiel de Millau n°1, juin 1977).

La polémique éclate, très virulente, entre les conservateurs attachés au patrimoine et les novateurs désireux d’assainir et d’ajourer l’endroit. Le 17 juin, l’immeuble de Bonald tomba, dévoré par les pelles mécaniques, mais il faut le reconnaître, l’ensemble était vétuste, en apparence ce n’était qu’une ruine et surtout il bouchait l’accès à la place de notre vieille ville.

Aujourd’hui, sur ces lieux, près de la Miséricorde, une placette rappelle la mémoire du philosophe, un buste, les traits du penseur, sont bien représentés, comme le voulait Mylou du Pays Maigre mais dans un cadre qu’il était sans doute bien loin d’imaginer.

Marc Parguel

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