[dropcap]C[/dropcap]e vendredi 22 avril à 11h avait lieu la cérémonie d’anniversaire de la libération des Camps devant la Stèle de la Résistance du parc de la Victoire.
Avant la lecture du message de la Fédération Nationale des Internés et Déportés, résistants et Patriotes, par Michel Raynal, c’est une nouvelle fois Michel Durand, premier adjoint à la Ville de Millau et adjoint délégué aux Anciens Combattants qui a pris la parole avec des mots toujours aussi justes. Ou quand l’actualité se rappelle à l’histoire la plus sombre de notre proche passé…
« Entre l’été 1944 et mai 1945, c’est en libérateurs que les troupes soviétiques, cruelle ironie de l’histoire au regard de l’actualité, et les armées alliées enfoncent et font reculer la ligne de front ouvrant peu à peu les camps de concentration. « Pénétrant à l’intérieur même des replis de ce cœur malfaisant », comme l’écrira le journaliste américain Meyer Levin, qui accompagne les armées américaines dans leur marche en avant, ils se trouvent face à un monde dont l’horreur dépasse tout ce qu’ils avaient imaginé.
« Pour les peuples d’Europe épuisés par la guerre, ce ne fut pas même un événement. Pour les survivants, ce fut à peine un soulagement », rappellera Simone Veil, évoquant la libération des camps. Le pire avait déjà eu lieu. Tant d’enfants ne retrouveraient jamais leurs parents, tant de parents ne retrouveraient jamais leurs enfants.
C’est pourquoi il ne sera jamais vain de connaître et rappeler des chiffres implacables: 1,3 million de personnes ont été déportées à Auschwitz-Birkenau. Parmi elles, 1,1 million sont mortes, dont 900.000 furent assassinées dans les chambres à gaz, hommes, femmes, enfants confondus.
A Auschwitz, la folie meurtrière du IIIe Reich toucha aussi des Tsiganes, des prisonniers de guerre, des prisonniers politiques, des homosexuels, des femmes et des hommes jugés asociaux.
Ce ne fut évidemment pas le seul centre de mise à mort. Il y en eut d’autres. Mais Auschwitz fut le seul à remplir son terrible dessein à une échelle si large. Et c’est ce qui en fait l’emblème de l’entreprise d’extermination nazie.
En France, les victimes de la Shoah furent 80.000. Et nous ne devons pas oublier que c’est dans des camps administrés par Vichy que 3.000 d’entre eux sont morts de faim, de froid, de maladie et des suites des conditions de vie épouvantables qui leur étaient imposées.
Ces chiffres, nous devons les garder en mémoire même s’ils ne diront jamais à eux seuls l’horreur de la réalité. Car derrière ces nombres, il y a autant de vies liées les unes aux autres, autant de vies qui ont sombré violemment dans le néant, autant de regards éteints dont nous devons nous rappeler l’étincelle.
Les mots ne seront jamais assez forts pour décrire l’innommable. Tous ceux qui ont fait l’expérience des camps ont éprouvé cette insuffisance du langage. Et pourtant, ils ont témoigné.
En revendiquant cette mémoire, en la portant inlassablement, les rescapés des camps se sont rendus supérieurs au destin qui avait voulu les faire taire à jamais.
Et s’ils se sont fait violence, c’est pour ceux qui venaient après eux, c’est pour que leur passé ne devienne pas l’avenir des générations futures, muent qu’ils étaient par la nécessité de transmettre, de nommer l’innommable pour faire entendre aux vivants le message des morts. Car tout cela est vrai. Tout cela s’est passé. C’est pour cela que l’holocauste ne saurait être une histoire que nous pourrions manipuler, ou utiliser, ou revisiter. Car tous ceux qui sont tombés nous obligent à la vérité, à la mémoire, au dialogue et à l’intransigeance. Ne jamais oublier, ne jamais se diviser.
C’est aussi cela leur enseignement. Et la communauté internationale ne doit rien oublier non plus de ce que la barbarie est née de la négation de l’autre, d’un nationalisme exacerbé, du droit international et de la sécurité des nations ainsi bafoués. C’est bien cela qu’il nous faut partout défendre. Oui, il nous faut cette unité de l’Europe, de la communauté internationale, l’unité nationale, car aujourd’hui, même au cœur de nos démocraties, « la bête immonde » peut ressurgir, violente, brutale et avec elle son cortège de haine, de racisme et d’intolérance.
« Oublier le passé, c’est se condamner à le revivre », nous disait Primo Levi, lui-même emprisonné au cours de l’année 1944 dans le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Monowitz.
Ceux qui nient, relativisent ou s’habituent, doivent toujours trouver face à eux la réponse implacable de notre triptyque républicain.
Au moment où les soubresauts de l’actualité établissent des parallèles troublants et effrayants, à l’heure où les derniers témoins de cette abomination que furent les camps nous quittent peu à peu, puissions-nous aujourd’hui, tous ensemble, inspirer les nouvelles générations afin qu’elles trouvent ce courage et afin qu’à leur tour, elles se tiennent debout, fières de nos valeurs, et qu’elles n’y cèdent rien, et qu’à leur tour, elles puissent dire ce qui s’est passé. Nous nous devons de préserver, de transmettre la mémoire, et le respect de cette mémoire.
Cette exigence ne doit jamais nous quitter. Car à l’heure du libre flux d’idées sur Internet et les réseaux sociaux, du relativisme dévoyé, ce qui nous menace tous est peut-être au-delà de l’oubli : c’est l’indifférence au passé et, en Histoire, l’indifférenciation du vrai et du faux.
Céder devant un tel révisionnisme, ce serait tuer les disparus une seconde fois. Nous nous devons de préserver la mémoire, et le respect de cette mémoire. C’est tout cela, cette mémoire collective, et bien plus encore. Ne jamais oublier, ne jamais se résigner ! »