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Patrimoine millavois. La rue de la Paulèle

La rue de la Paulèle part de la rue de la Fraternité et de l’Avenue Gambetta et rejoint la rue Étienne Delmas. Son nom tiré de Palus ou Palud signifie la rue des fondrières ou marécages qui croupissaient au bord du Tarn.

Nous trouvons ce terroir de la Paulèle déjà dans des actes du XIIIe siècle. Jules Artières rapporte « le testament de B. Dauriac, en 1222. Nous le trouvons encore dans un titre des archives nationales en date de l’année 1234 ; ce nom est orthographié Paulella » (Millau, ses rues, ses monuments, 1924).

© Marc Parguel

Autrefois, la rue de la Paulèle se prolongeait jusqu’à la rivière comme l’indique cet acte : « À louer, en totalité ou en deux lots, une propriété en très bon produit de fourrage, ayant appartenu à la veuve Michel Jeanjean, sise au terroir de la Paulèle, aboutissant à la route de Paris et se prolongeant jusqu’à la rivière du Tarn » (L’Écho de la Dourbie, 4 novembre 1848).

Paradis des baigneurs et des pêcheurs

Le point où débouchait la rue de la Paulèle au niveau du Tarn s’appelait Navech, qui vient du latin navis, barque ; il est donc probable qu’avant la construction du pont de Cureplats, on traversait le Tarn en barque sur ce point.

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C’est aussi à cet endroit que se retrouvaient les baigneurs Millavois et les amateurs de pêche. Ainsi pouvait-on lire dans cet article paru sous le titre de « Promenade sentimentale dans Millau » :

« Allez vous promener sur les bords du Tarn. La fraîcheur de l’eau vous fera respirer agréablement et vos yeux se reposeront avec plaisir sur le panorama verdoyant et gracieux que vous offrent les bords de la rivière. Assis à l’ombre des peupliers, sur un gazon semé de pâquerettes et de boutons d’or, vous pourrez voir à votre aise les ébats de ces jeunes baigneurs qui folâtrent, sautillent, disparaissent dans l’eau et reparaissent un moment après ; ils ne se baignent pas, ils nagent.

Nous devons rappeler à ces nouveaux tritons que la vérité seule a le droit de se montrer toute nue et que les baigneurs doivent porter des caleçons, d’après les règlements de police. Ce rappel à la décence est d’autant plus nécessaire qu’à cent mètres de distance, est l’endroit où se baignent les femmes. Là, on n’entend pas ni bruit, ni cris, ni tapage, tout est calme comme l’eau pure et claire d’où sortent une quantité de têtes, toutes singulièrement coiffées : on aurait beaucoup de peine à reconnaître dans ces costumes de baigneuses nos lionnes gracieuses et pimpantes » (L’écho de la Dourbie, les baigneurs, le Tarn et ses trois ponts, 15 septembre 1866).

Mais comme partout, se produisaient des accidents, comme ici en 1867 : « Il ne faut pas se jeter à la rivière quand on vient de manger, disent les médecins. Malgré ces avertissements recteurs de la science, il se trouve toujours des imprudents pour tenter l’aventure au péril de leurs jours.

Dimanche 1er septembre passe un jeune homme de Millau, Édouard Thomas, après avoir copieusement bu et mangé, à la fête de Creissels, en compagnie de quelques amis, s’en séparait, vers les 4 heures du soir, pour aller prendre un bain dans le Tarn, au quartier de la Paulèle. Surpris par la fraîcheur de l’eau, l’infortuné s’est noyé. Le soir même, son corps échappait à toutes les recherches ; ce n’est que le lendemain qu’on l’a retrouvé, retenu par quelques racines, juste à l’endroit où il avait disparu la veille » (L’Écho de la Dourbie, 7 septembre 1867).

Edouard Mouly dans son ouvrage « Alades » se souvenait du temps où il allait « à Tar » quand il était jeune du côté de la Grave : « Un jour que nous regardions faire les mottes, l’un de nous signala que des poissons descendaient sur la surface de l’eau. Quelque chenapan avait encauqué (empoisonné) du côté de la Paulèle, et les poissons encore vivants en nageant en surface, descendaient nombreux.

Ce fut la ruée vers la rivière. Pour mon compte, je pus attraper un gros cabot et cinq ou six « sièges » (vandoises) assez belles. Et, triomphalement, je revins à la maison, mouillé comme un rat, mais fier de ma pêche. Évidemment, ce jour-là, il me fut difficile de dire que je n’étais pas allé à Tar » (Contes, récits souvenirs de Mylou du Pays Maigre, 1948)

Près du Tarn, avant la création du boulevard extérieur, on voyait des petits jardins familiaux s’étendant jusqu’au bord de l’eau. On y voyait également une belle croix appelée simplement « Croix de la Paulèle » que des vandales ont brisée au début du XXe siècle : « La nuit dernière (30 septembre 1903), des énergumènes ont arraché la croix de la Paulèle et l’ont jetée dans le Tarn, mettant ainsi en pratique les misérables conseils du publiciste Romainville qui venait de leur prêcher ; « Ni Dieu ni maître. » (Journal la Croix, 1er octobre 1903).

Ces jardins situés en zone inondable étaient à chaque crue submergés.

30 septembre 1933. La rue de l’abattoir et les jardins. © DR

L’abattoir

Près de là, la Paulèle rencontre la rue de l’Abattoir.

À l’angle avec la rue de l’abattoir, il y avait les Établissements Mercier. Sur la gauche se trouvaient plusieurs écuries où les bestiaux, veaux, vaches, moutons, cochons, etc. attendaient l’heure du « sacrifice » à l’abattoir tout proche crée en 1891 sous la municipalité de Sully Chaliès d’après un projet évoqué en conseil municipal dès 1889, sur la rive gauche du ruisseau de la Cabre.

Au-dessus du portail, une demi-lune en fer forgé avec le nom de l’abattoir. © Marc Parguel

Avant de se rendre à l’abattoir, on descendait les futures victimes par la rue de la Paulèle et gare si une bête vous échappait. Ainsi peut-on lire en 1898 : « Mercredi 25 mai, les maîtresses de l’école de la Liberté recevaient un élève d’un nouveau genre, celle d’un superbe bœuf qui désirait apprendre le moyen de ne pas finir ces jours à l’abattoir.

Ces dames ont eu la cruauté de ne pas accéder à son désir pourtant fort naturel ; elles ont seulement appelé le propriétaire de l’animal qui s’est empressé de le ramener à l’écurie » (L’Auvergnat de Paris, 29 mai 1899) et un an plus tard : « Mardi 16 mai, un moment de panique a été causé sur le boulevard de Bonald par un bœuf que M. Rayssac, boucher, conduisait à l’abattoir ; effrayé par un chien aboyant d’une terrasse dans la rue de la Paulèle, il s’échappa et reprit le chemin de la ville. Au bout d’un moment il s’enfuit vers la ferme d’où il était venu et d’où il fut ramené une heure après, sans avoir occasionné d’accidents » (L’Auvergnat de Paris, 21 mai 1899).

Une future victime à l’abattoir municipal. © DR

Le pont de l’abattoir fut emporté suite à un orage épouvantable, accompagné de grêlons qui sévit le 26 août 1901 et qui occasionna d’importants dégâts sur les voies de circulation à Millau. Beaucoup de murs de clôture furent démolis. Comme le rappelle le journal « la libre parole » : « Le pont de la Paulèle a été emporté et il n’est plus possible de communiquer avec l’abattoir » (29 août 1901).

Sur le pont de la Paulèle, vue du ruisseau de la Cabre et de l’Abattoir sur la droite. © Marc Parguel

L’ouverture de la rue de la Paulèle vers l’avenue Gambetta remonte à 1897 : « Rue à créer entre l’avenue Gambetta et la rue de la Paulèle : à la commission des travaux publics » (délibération communale du 13 février 1897), ce sera la rue Benezech plus tard appelée « Rue Emilie Arnal » (décision municipale du 10 janvier 1957).

La même année (1897), dans le prolongement de cette rue, fut créée la rue de Planard.

La rue Emilie Arnal. © Marc Parguel

La rue des usines du cuir

La rue de la Paulèle était autrefois une rue très fréquentée, connue pour être la rue des usines du cuir, on y trouvait les bâtiments de la manufacture des gants Lauret, dont un des principaux propriétaires manqua perdre la vie : « Dimanche dernier (27 novembre 1932), vers 18 heures, la famille et des amis de M. Lauret, fabricant gantier, rue de la Paulèle, revenaient en automobile, de Saint-Rome-de-Tarn.

Arrivé aux environs de Peyre, au hameau de Linas, le conducteur, M.Aigouy, gendre Lauret, trompé par le brouillard et la pluie, n’aperçut pas un tournant dangereux, et le véhicule bondit par-dessus le talus et roula vers le Tarn. Heureusement des rocailles arrêtèrent la voiture, mais les occupants : Me Lauret, Me Aigouy, née Lauret, M. Aigouy, M.Albinet, beau-frère de M. Lauret, et son jeune fils furent projetés hors de l’automobile.

Malgré ses contusions, M.Aigouy alla chercher du secours dans les fermes voisines. Cet accident, qui aurait pu faire cinq victimes, se réduit à des blessures graves, mais dont aucune ne paraît mortelle. Les deux voyageurs les plus atteints furent Mme Lauret et son frère, M.Albinet » (L’auvergnat de Paris, samedi 3 décembre 1932).

© Marc Parguel

C’est dans cette rue qu’une grange dépendante de la propriété dite la Pépinière a été détruite par un incendie, dans la nuit de lundi 24 à mardi 25 janvier 1848 et où une grande quantité de fourrage a été brûlée. Après inspection, il fut reconnu que ce sinistre était dû à l’imprudence de mendiants qui auraient passé une partie de la nuit dans le bâtiment incendié, on a reconnu que des individus se sont introduits, après en avoir enfoncé la porte, dans la cave au-dessus de laquelle se trouve la grange, qu’ils y ont allumé du feu, fait cuire des aliments et percé deux barriques dont ils ont répandu le vin » (L’écho de la Dourbie, 29 janvier 1848).

Au n° 3 de la rue de la Paulèle. © Marc Parguel

C’est dans une étable de cette rue qu’est mort, par un froid hiver Gardette, « le chevalier de la colonne », celui que l’on rencontrait près de la Marianne du Mandarous, gardien de la Tine, roux de poil et à la tignasse souvent habité.

C’est dans cette rue et à l’angle de la rue Benezech que fut créé l’entreprise des gants fantaisie A. Montrozier, fondée en 1890. On voit encore le nom sur la façade au n° 24.

C’est dans la rue de la Paulèle qu’il y avait une famille Clavel dont Camille était gantier (20 septembre 1897) et Gabriel Cordonnier au 14 de la rue (la dépêche, 26 février 1921)

C’est dans cette rue que fut décidé en juin 1924, la création d’une société en nom collectif entre MM. Henri Crouzet, mégissier à Millau, rue de la Paulèle et Henri Javal, à Paris, rue de Longchamp ayant pour objet la préparation et la vente de peaux de tous animaux, la vente des laines, la fabrication des gants, l’acquisition du fonds de commerce appartenant à la Société Sauvat, Bernard et Cie, et situé à Millau, 47 bd de l’Ayrolle (La journée industrielle, 11 juin 1924)

C’est dans cette rue que fut décidé par une décret en date du 5 avril 1947, l’acquisition par la ville de Millau, des terrains nécessaires à l’aménagement d’un stade municipal (terrains sis au lieu dit « les Graves » et « la Paulèle » figurant au cadastre sous les numéros 190, 191 et 187 p de la section C. [Journal officiel de la République française, 6 avril 1947]

Enfin, c’est dans cette rue que figurait aussi le grand entrepôt des magasins « L’étoile du Midi »

Marc Parguel

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