La Dourbie, de tout temps, outre les gués comportait, de nombreuses passerelles « les planches ». Il en existait à l’Esperelle, à Laumet, au Monna et à Massebiau. Sous l’ancien régime, les registres paroissiaux évoquaient déjà la planche de Massebiau : « Le 21 octobre 1789, s’est noyé au gay de Laumet Jean Jacques Rivière, de Salles Curan, domestique chez M. le comte de Vézins, âgé d’environ 24 ans, et a été trouvé le 27e du même mois après la planche de Massebiau ».
Durant des siècles, c’était les propriétaires riverains, aidés quelquefois par les diverses communautés qui entretenaient les passerelles en bois, et fréquemment les renouvelaient. Au XIXe siècle, la municipalité de Millau, prend conscience d’aider ces populations qui vivent dans son orbite. Et les indemnités qui sont accordées aux villages de Massebiau ou du Monna pour réparer ou reconstruire ces passerelles sont pendant longtemps aussi fréquentes que les inondations qui les endommagent ou les emportent.
Une passerelle métallique piétonne
En 1887, on parla pour la première fois de créer une passerelle métallique à Massebiau. Le 18 août de cette année-là, Monsieur Viguier, Maire de Millau charge Jean Pailhès, architecte de mener à bien ce projet, il expose : « que la passerelle établie sur la Dourbie à la hauteur du village de Massebiau, si utile aux habitants de cette section pour le service de leurs propriétés de la rive gauche… se trouve dans un tel état de délabrement que des accidents sont à craindre et que sa réfection s’impose. Il soumet un plan à l’assemblée, dressé par M. l’architecte Voyer de la nouvelle passerelle à édifier et un devis estimatif portant la dépense à 1055 francs. Le Conseil, ouït les observations de son président, considérant que la reconstruction projetée est réellement urgente… vote pour la construction de la passerelle, une somme de 1055 francs… décide que les travaux de maçonneries seront exécutés en régie, et demande à M. le Préfet de vouloir bien nommer comme régisseur M. Deltour, surveillant des travaux communautaires. Décide en outre que la fourniture de la travée métallique sera l’objet d’un traité de gré à gré ». (Délibération de la Commune de Millau).
Le 20 juin 1891, au nom de la commission des travaux publics on constate que « Depuis les dernières élections municipales (qui ont porté M.Sully Chaliès à la tête de la municipalité) rien n’ayant été fait pour donner satisfaction à la demande des habitants de Massebiau. Le Maire ordonne à l’architecte de la ville d’établir un nouveau projet qui tienne compte des observations faites par les ingénieurs des Ponts et Chaussées dont celles-ci portaient « sur la nécessité d’élever de 0m50 la hauteur du tablier afin de faciliter l’écoulement plus rapide des eaux en cas de fortes crues et d’augmenter la largeur de la passerelle en la portant à 8 mètres entre les culées et quelques autres considérations dont M. l’Architecte aura à tenir compte. En attendant et pour satisfaire les justes réclamations des habitants de Massebiau, M. l’Architecte a été invité de consolider la passerelle existante en clouant quelques traverses au plancher, afin que le passage en soit rendu plus facile et sans danger ». (Séance du 20 juin 1891).
Cependant, et ce n’est pas nouveau dans l’administration, trois ans après, rien n’a été fait pour la passerelle. Les projets sont toujours dans les cartons de l’architecte. Après bien des tergiversations, la passerelle fut inaugurée en cette fin d’année 1894 à l’entrée de Massebiau : c’était une étrange passerelle métallique, reposant sur deux piliers de maçonnerie, le premier adossé au talus de la route, le second dominant la Dourbie dont le courant changeant passait à son extrémité, laissant un lit de graviers sous le tablier, qui se trouvait à l’entrée de Massebiau. On avait voulu faire du solide et du définitif, mais sa durée de vie fut brève.
Une passerelle devenue vite inutile
L’inondation du 29 septembre 1900, l’une des plus graves de cette époque après celle de 1875, avait emporté la passerelle du Monna et rendu inutile celle de Massebiau en détournant le cours de la Dourbie. En effet, l’infidèle rivière avait profité de la crue pour changer de lit en partant vers le nord, rendant la passerelle inutile. Celle-ci conduisait désormais au beau milieu du cours d’eau, les passants qui croyaient pouvoir le franchir.
En août 1901, il était question « d’améliorer la passerelle de Massebiau» et de reconstruire celle du Monna, mais tous les projets sont abandonnés en raison « du chiffre de la dépense » (Délibération communale, séance du 13 août)
Le 25 septembre, le Maire Sully Challiès donne connaissance d’une lettre de M. l’agent Voyer, relative au projet de passerelle à Massebiau : « je vous retourne le projet de passerelle mobile que vous avez bien voulu me communiquer officieusement et que la ville de Millau voudrait placer à Massebiau en prolongement de l’escalier donnant accès à la trouée existante… ne pourriez-vous pas remplacer votre projet actuel par celui d’une passerelle à plus longue portée, d’un système léger tel que celui de Eiffel par exemple ? Je l’ai employé pour charrette de 4000 kilogs au pont du Rozier, et j’en suis fort satisfait. Ces ponts sont réellement économiques et fort bien compris… bien à vous, signé Marion. ». (séance du 25 septembre 1902).
Ce projet tomba à l’eau et deux ans plus tard, le projet d’un véritable pont, traversant la Dourbie, à Massebiau, était à l’étude motivée et renforcée par une certaine activité qui s’amorçait dans les petites mines de charbon ouvertes à Potensac et au-dessus de Massebiau. Une nouvelle crue en décembre 1910 emporta la moitié d’un pilier de ce qui restait de la passerelle de Massebiau. On se décida, à construire un pont en pierre, un peu en amont.
Une association pour un pont
Nous pouvons lire dans le journal L’Indépendant Millavois du 24 août 1912 que « Tous les propriétaires et fermiers de la Rive gauche de la Dourbie, ayant intérêt à la construction d’un pont, sont instamment prier d’assister à une réunion, qui aura lieu à Massebiau, le dimanche 8 septembre, à deux heures de l’après-midi, dans la grande salle du Restaurant des Lilas, mise gracieusement à leur disposition ».
Et on continue durant toute l’année 1912 à faire des réunions : « Les adhérents à l’association libre du pont de Massebiau sont priés d’assister à la réunion générale qui aura lieu dimanche 24 novembre 1912, à 2 heures du soir, dans la salle du restaurant du pont à Massebiau. Ordre du jour : commencement des travaux .» (Messager de Millau, 23 novembre 1912). Enfin en 1913, après de nouveaux débats et une nouvelle délibération du 29 mai 1913, un beau pont solide allait voir le jour à Massebiau.
En béton armé
Pour cette réalisation, on fit appel à un matériau qui était alors relativement nouveau, le béton armé qui apportait une solution intéressante face au coût de l’acier, notamment pour les grandes portées. Le projet retenu fut celui de l’ingénieur Hennebicque et l’œuvre fut confiée à l’entreprise millavoise Sérignac qui commença la construction de ce pont de 55 mètres de long sur 2m60 de large au-dessus de la Dourbie.
La maçonnerie était terminée lorsqu’éclata la guerre de 1914/18, la route y conduisant de part et d’autre restait à faire. Quelques prisonniers allemands y travaillèrent, mais les travaux n’avançaient pas. Longtemps, on vit le pont sous le corset des cintres et l’armature des étais, entièrement faits de pièce de bois.
Dans sa séance du 19 août 1919, « M. Lacure, architecte, donne à l’assemblée sur le pont de Massebiau d’intéressantes précisions. Le Projet approuvé en 1914 s’élevait à 22 000 francs. Les travaux de construction furent adjugés à M.Sérignac, cimenteur et les déblais rocheux à M.Devidal. Il reste à effectuer sur les deux rives certains travaux que l’association des propriétaires riverains s’est engagée à exécuter. »
La vieille passerelle de Massebiau devenu inutilisable fut démontée en vue d’être utilisée ailleurs en 1920, elle fut offerte aux habitants du Monna qui l’acceptèrent. Mais ils ne purent s’entendre pour savoir où la placer. Aussi alla-t-elle à la ferraille. Revenons en à notre nouveau pont, en 1922, les travaux étant stoppés, on montait sur le pont à l’aide d’une échelle. Le pont n’était d’ailleurs utilisé que par les chercheurs de champignons voulant monter sur le causse. En 1922, les travaux reprirent jusqu’en 1923.
Coût des travaux au final : 19 500 francs (9000 payés par la commune, 6500 par l’État, 4000 par un syndicat de propriétaires). Il devait aboutir à faire un chemin assez bon arrivant à Navadou, et un chemin à pic et presque impraticable donnant accès au ravin de Potensac et à Bréfuel. Il faut reconnaître que c’était payer cher une telle construction servant à deux métairies.