La baume de l’Ironsel ou Ironcel, appelée également Grotte-Exsurgence de l’Ironselle, se situe sur la rive gauche du Tarn en aval des Vignes dans les Gorges du Tarn. Son nom lui vient des hirondelles rustiques qui viennent y nicher de mai à août, car comme nous le rappelle Achille Foulquier dans sa Monographie de Saint-Préjet en 1908 : « La baume de l’Ironcel est le séjour de prédilection des hirondelles, d’où son nom » (p.40).
Pour nous y rendre, il faut traverser le pont à l’entrée des Vignes en venant de Millau, puis prendre à droite et monter vers le Causse Méjean sur 700 mètres. À droite, prendre le GR qui relie les Vignes au Rozier distant de 11 km comme l’indique le panneau. Longer ce chemin largement carrossable sur 1800 mètres. On passe devant le ravin des Poutres « Balat de las Fustos », on faisait dégringoler par là du Causse Méjean vers les Vignes, les billots de pin : ils glissaient sur les parois de la roche et allaient s’abattre dans le Tarn.
Nous arrivons devant une barrière qui nous met en garde : « Troupeau de vaches, fermer le passage, merci ». Au bout du chemin carrossable, plusieurs pistes s’ouvrent devant un immense rocher, il faut prendre sur la droite le chemin qui descend vers un talweg. Nous atteignons l’entrée inférieure de la grotte au pied d’une belle falaise, dans les calcaires du Bajocien qui se trouve à 70 mètres du Tarn. Ici coule une résurgence abondante, non loin d’un rocher à la forme évocatrice : la Japonaise. Au-dessus de l’exutoire, cette grotte creusée dans la falaise dolomitique du Bajocien, remontable sur 60 mètres présente le plus grand intérêt. Elle n’est fréquentée que par les promeneurs initiés. C’est une cavité fossile utilisée encore temporairement par la résurgence en crue. La désobstruction d’un trop-plein situé dans la grotte a mené jusqu’à un plan d’eau pérenne qui se prolonge dans les éboulis.
Si Achille Foulquier était avec nous, il dirait que « cette caverne est encadrée dans un paysage de verdure et au-devant de laquelle sort une abondante fontaine. Le fond de la caverne à la forme d’une rotonde avec une immense ouverture à ciel ouvert, le tout d’un saisissant effet » (p.40). En effet, cette ouverture circulaire, creusée dans les parois calcaires du lit de la rivière du Tarn intéressera les géologues voyant ici le travail d’érosion accompli par les eaux turbulentes, entraînant des galets ou des blocs rocheux dans un mouvement tourbillonnaire.
On peut contempler cette vaste ouverture en prenant le chemin qui monte et qui se dirige devant l’entrée en forme de marmite 20 mètres au dessus de l’entrée inférieure.
Martel décrit le lieu ainsi : « Après le Villaret, rive droite, la fontaine résurgente de l’Ironselle (ou Ironcel) sort à 12° en ruisseau subit, à 30 ou 40 mètres, de distance du Tarn (rive gauche). Immédiatement au-dessus se trouve, dans un lit de torrent une vaste « marmite », puis l’ouverture basse, mais large de la grotte du même nom. Elle mène à une salle à voûte crevée, soit par un effondrement, soit comme ancienne issue de trop-plein, abaissée en cul-de-four et fermée par des dépôts de tufs ; le tout, long de 50 à 60 mètres, finit à une dizaine de mètres au-dessus du Tarn (qui est ici à 402 mètres et non à 395). C’est l’évident trop-plein de la fontaine ; mais j’ignore s’il fonctionne encore » (Causses et gorges du Tarn, p.272, 1925)
La grotte semble connue depuis toujours. Les bergers venaient y amener leurs troupeaux de brebis du Causse Méjean depuis le hameau du Viala ou du Bruel (d’après Alain Bouviala), un muret solidement bâti dans l’entrée inférieure est là pour nous le rappeler.
La baume et sa légende
Comme nous l’indique Achille Foulquier : « Cette baume occupe une grande place dans les traditions légendaires du pays. Elle était, assure-t-on, un repaire de sabbats antiques. Les passants entendaient la nuit des bruits insolites, des éclats de rire aigus, des cris comme des sanglots et des hurlements sinistres monter du fond de la caverne. On voyait, le jour, sur le sable fin de cette caverne, des empreintes légères de pas, des figures bizarres, des signes énigmatiques, des cendres, des foyers éteints, des restes d’orgie. De nos jours encore, le pêcheur le plus intrépide, qui se trouve surpris la nuit par l’orage dans les environs de l’Hironsel, ne pénètre jamais dans la redoutable caverne sans éprouver une certaine frayeur et sans s’être, au préalable, muni d’un bon signe de croix. » (Monographie de Saint-Préjet, 1908, p.40)
Dans son « Voyage au Pays des Merveilles » en 1892, voici comment Léon Costecalde (1852-1945) décrit le site : « Voici deux nouveaux rapides : le Gas del Joug et Lyronsel, qui nous lancent dans les planiols ou les magmas de la Rulle et de Poudomios. Devant nous (rive gauche) s’ouvre une belle grotte d’où s’échappe une charmante source au flot chantant. Le site est ravissant, avec ses grandes roches en surplomb, sa fontaine, sa prairie, son banc de sable, son bouquet de saules, de peupliers, d’oseraies et sa solitude. Ce petit bout du monde, bien digne de captiver les regards du dessinateur, lui offrirait un superbe sujet d’aquarelle. Notez, cher touriste, que la réputation de Lyronsel n’est plus à faire. C’est là, dans ce petit recoin, que se réunissaient les fées des temps anciens ; et même, si on en croit certaines vieilles femmes, c’est encore là que les francs-maçons de la province tiennent aujourd’hui leur sabbat. On n’en dit pas plus long . Intelligenti pauca » (p.260-261)
L’abbé Alexis Solanet (1837-1919), un des précurseurs de la spéléologie lozérienne nous donne ces informations : «D’après une tradition populaire, assez répandue dans la vallée, que nous avons recueillie enfant de la bouche des anciens, et qui a couru sous la foi d’un ouï-dire et du simple énoncé d’un fait vague sans preuve, la fameuse grotte de Lironcel serait en communication, par un passage souterrain, avec la grotte de Balme Obscure qui se trouve à quatre kilomètres de là, sur la même rive, en face des Vignes et à mi-hauteur de la montagne.
Anciennement, à une époque indéterminée, un riverain courageux armé d’un falot et d’une corde qui lui servait d’échelle aux endroits difficiles, serait entré par Balme Obscure et, suivant les détours de la caverne, au bout de trois jours d’excursion dans le sombre tunnel, serait sorti sans encombre par Lironcel.
Géologiquement le fait ne paraît pas impossible, et quoiqu’il y ait entre l’orifice extérieur des deux grottes une différence de niveau de près de trois cents mètres, il est aisé de constater que l’entrée des deux grottes est creusée dans l’épaisseur du même banc dolomitique qui, à partir de Balme Obscure, en passant par Roquefiel, le maigre piton de la Peyre, le massif de Bon-de-Billière, va en s’affaissant jusqu’aux rochers de Lironcel et suit une inclinaison correspondant à la différence d’altitude des deux cavernes…
À Lironcel, pas plus qu’à Balme Obscure, aucun indice révélateur ne fait soupçonner le prolongement de l’excavation. Ici, le fond est aussi de sable fin, mais d’origine plus récente. Ce dépôt est dû à la rivière qui, aux fortes crues, atteint facilement ce niveau » (Les Gorges du Tarn illustrées, 1894, p.282-286)
Si la liaison avec Balme Obscure n’a pu être établie, on sait qu’à la suite d’une coloration qui a été faite dans l’Aven de Banicous le 30 décembre 1974, une relation hydrogéologique a été prouvée avec l’émergence de l’Ironcel. Le colorant était détectable à l’œil nu. Le temps de transit fut de cinq jours. La distance théorique est de 4500 mètres pour un dénivelé de 529 m (en fait, le dénivelé réel est de 554 mètres, puisque le siphon de l’Ironselle est au moins profond de 25 m) (d’après Daniel André, Lozère des Ténèbres, 1992)
Description de la baume par l’abbé Solanet
En dehors de l’auréole poétique que lui a donnée la légende, la grotte est des plus intéressantes qu’on puisse voir. Elle a quatre-vingts mètres de développement et se divise en deux parties. À l’entrée est un couloir rocheux de dimensions monumentales. Du milieu, quand on se retourne, on a par l’ouverture un coup d’œil ravissant sur la rivière et plus près, sur le gracieux paysage qui lui sert d’avenue. Le sol est l’ancien lit de la fontaine qui a fini par s’ouvrir un passage au-dessous. Le fond de la caverne est un dôme, une rotonde, avec une immense ouverture circulaire, à ciel ouvert.
Le jeu de lumière de cette sorte d’œil-de-bœuf a un charme saisissant. Au-dessus, le ciel bleu et profond ; dans le passage, le soleil dont les chauds rayons viennent se tempérer et se mêler d’ombre, à travers le pâle feuillage des fougères, des plantes grimpantes et des arbustes qui, indécis entre la lumière d’en haut et l’ombre d’en bas, pendent et flottent en festons mouvants sur le pourtour. Nous ne connaissons pas dans toutes les Gorges du Tarn une perspective plus originale, plus franche et plus gaie. Les touristes bien renseignés qui suivent le cours de la rivière ne manquent jamais de descendre de bateau pour venir saluer cette merveille et les artistes en font leurs délices. M. Yard et M.Tanzi, peintres parisiens de valeur, dont le jury de l’exposition a plus d’une fois couronné les œuvres, en ont fait de jolis tableaux. Ces deux toiles, parmi toutes celles que nous avons vues sur le même sujet, qui est d’ailleurs très peu aisé, sont ce que nous connaissons de mieux réussi. » (Les gorges du Tarn illustrées, 1894, p.282-286)
Marc Parguel