Si le nom de William Maury fait désormais incontestablement partie du paysage de la bande dessinée franco-belge, le parcours du Millavois ne s’est pas fait sans embûches. Le dessinateur s’est accroché, sans relâche, à son rêve de gosse : devenir auteur de BD. En croquant sa vie ou plus exactement celle de ses deux filles, Wendy et sa petite sœur Marine à travers la série « Les Sisters », il a convaincu les éditeurs et surtout conquis le cœur des lecteurs. Retour sur une success-story fabriquée en Aveyron.
Le dessin comme une évidence
Dès l’enfance, William Maury développe un goût prononcé pour la bande dessinée. « Dans le quartier de Malhourtet, où j’ai grandi, il y avait un marchand de journaux, se rappelle l’artiste. C’est là que j’ai découvert la bande dessinée, à travers des revues comme Strange ou Métal Hurlant. Ensuite, j’ai commencé à dessiner mes propres histoires, de manière très naïve, mais en prenant beaucoup de plaisir. Je disais toujours à ma mère que comme métier, je voulais être auteur de BD ».
Une passion pour le dessin que William cultive sans relâche, en autodidacte et de manière transversale, puisque le Millavois s’intéresse aussi bien aux crayonnés des comics américains, qu’aux pastellistes ou aquarellistes classiques.
« Quand on est autodidacte, on est toujours en train d’apprendre, explique l’auteur. C’est plus long que de faire une école spécialisée, mais ça permet aussi de s’ouvrir à des choses très différentes et de s’intéresser à un large panel de techniques ».
Un rêve en suspens
Malgré un talent certain, les réalités de la vie vont forcer le Millavois à mettre son rêve entre parenthèses.
« Je n’étais pas un très bon élève et je me suis orienté par défaut vers une école hôtelière, indique William Maury. Ce n’était pas mon truc. J’ai ensuite fait mon service militaire, durant lequel j’ai travaillé dans une imprimerie. Pouvoir assister à la fabrication d’un bouquin, c’était fascinant. Ça m’a donné encore plus envie de devenir auteur ».
À son retour, le Millavois n’a d’autre choix que d’accepter un emploi à l’usine d’ITA à Sévérac, où il va rester près de 10 ans. En parallèle, le dessinateur va tout faire pour poursuivre son rêve, sans jamais lâcher sa passion pour le 9e art.
Des ruelles de Compeyre au Moulin de Georges Lautner
En parallèle de son travail à l’usine, William Maury sillonne les villages aveyronnais durant l’été.
Lors des fêtes de village, le jeune dessinateur réalise de nombreuses caricatures et portraits des touristes et habitants. Une expérience formatrice qui fait office de première étape, dans son parcours d’auteur professionnel.
« Je suis quelqu’un d’assez timide de nature et ça m’a permis de me mettre dans le bain, de prendre confiance pour pouvoir proposer quelque chose de plus personnel, raconte l’artiste. En 1996, je participe à un concours pour le festival de BD de Compeyre et je finis troisième. À ce moment-là, je fais plus de peintures, de tableaux. Ça me donne envie de retourner vers la BD ».
Trois ans plus tard, William Maury trouve sa place dans le festival local, qui attire bon nombre d’auteurs à la réputation déjà bien établie.
En 1999, le jeune auteur a bien progressé et est publié pour la première fois, dans le cadre d’un ouvrage collectif baptisé Mystic Compeyre et réunissant les meilleurs espoirs locaux.
« C’est une sacrée fierté de voir son travail sur le papier, se souvient William. Ça me permet aussi de rencontrer Hugues Robert, qui me propose de produire de petites histoires pour les magazines régionaux : Aveyron Mag, Lozère Mag et Cantal Mag ».
Rapidement, le Millavois est invité sur divers salons et multiplie les rencontres avec d’autres auteurs. Dans le même temps, il profite de la naissance de sa seconde fille Marine, pour prendre un congé parental et se concentrer pleinement sur la BD.
On est en 2000, William Maury a 31 ans et c’est pour lui le début d’une nouvelle aventure.
C’est au festival de La Fouillade, près de Villefranche-de-Rouergue, qu’il fait la connaissance de Pascal Croci, dessinateur et scénariste. L’auteur qui s’est déjà fait un nom dans l’univers de la BD lui présente Emmanuel Proust, fondateur des éditions éponymes. Une rencontre qui va permettre à William Maury de franchir une étape de plus dans sa carrière de dessinateur.
« On se rencontre une première fois sans vraiment que ce soit concluant, explique l’artiste. Puis je réalise, avec le scénariste Philippe Ajalbert, une BD historique baptisée Alban de Montcausson, éditée par Hugues Robert. L’année suivante, lorsque je la montre à Emmanuel Proust, il me dit « banco, on va travailler ensemble ». Je suis loin de me douter que quelque temps plus tard, il va me proposer de collaborer avec le cinéaste Georges Lautner. Ensemble, on réalise deux tomes d’une BD intitulée Baraka, lui au scénario et moi au dessin. C’est un tirage important et une édition nationale, même si commercialement, ce n’est pas un succès ».
Les Sisters : une histoire de famille devenue phénomène de la BD hexagonale
Après des premiers pas prometteurs, William Maury pâtit de l’échec commercial de Baraka. L’éditeur Emmanuel Proust ne lui confie plus que des missions de coloristes, qui précarisent son activité. Mais le Millavois ne se laisse pas abattre et continue de dessiner sans relâche, postant régulièrement son travail sur des blogs de dessinateurs et sur son propre site.
« Depuis qu’elles sont petites, je dessine mes filles, indique l’auteur. Au début, je les intègre dans les différentes BD que je fais, sous forme de clin d’œil. Puis elles deviennent de plus en plus une source d’inspiration, qui finit par donner naissance à une série de dessins avec des gags baptisée « Un Air de Famille ». On retrouve Wendy, avec ses histoires d’ados et Marine avec son regard d’enfant de sept ans, dans différentes situations de la vie quotidienne. Quand je poste ces dessins sur Internet, l’accueil est vraiment bon et ça me pousse à continuer ».
Dans le même temps, William fait la connaissance de Christophe Cazenove, scénariste pilier des éditions Bamboo et qui deviendra son binôme en tant que scénariste pour la série Les Sisters. C’est par son intermédiaire qu’il va rencontrer Olivier Sulpice, directeur des éditions Bamboo, qui va contribuer à faire des « Sisters » une bande dessinée à la dimension nationale.
« Olivier est tout de suite intéressé, explique William Maury. Il me demande d’adapter un peu le format des cases, ce que je fais et on signe rapidement, pour le premier tome des Sisters.
L’album paraît en 2007 et est directement tiré à 20.000 exemplaires, ce qui représente un volume important. En prime, il sort en prépublication sur le Journal de Mickey. Tout s’enchaîne très vite, avec deux albums par an les quatre premières années et ensuite un tous les ans. Aujourd’hui, on va vers le 19e, qui sortira en octobre et aura pour titre « Ça déménage », vu que nous avons changé de maison cette année. La collaboration avec Christophe Cazenove est très fluide. Je lui envoie grossièrement les idées, puis il élabore tout le scénario. Il fait un boulot incroyable, c’est un véritable travail d’équipe. »
Depuis 2017, Les Sisters, en plus d’être une série de BD vendue à plusieurs millions d’exemplaires, c’est également un dessin animé réalisé par Samka Production et produit par M6 en collaboration avec les éditions Bamboo, avec deux saisons, soit 104 épisodes et une troisième qui est actuellement en production.
La série est un véritable succès grâce à sa diffusion sur plusieurs chaînes de télé et des plateformes de VOD comme Netflix et Amazon Prime.
Les Sisters ont également donné vie à deux jeux vidéo, des livres et de nombreux produits dérivés : cahiers de vacances, cadres, figurines…
« Je garde un œil sur tout ce qui se fait autour des Sisters, explique William Maury. Que ce soit les jeux vidéo ou la série, je trouve ça vraiment génial, encore plus quand on assiste à des projections et qu’on voit le bonheur dans les yeux des enfants ».
TiZombi, Wat, Supersisters, les Doudous des Sisters…
Aujourd’hui, Wendy et Marine ont respectivement 29 et 24 ans, les petites filles sont devenues des adultes dans la réalité, mais leurs personnages ont gardé le même âge dans la série.
Lorsqu’on demande à William Maury s’il ne se lasse pas de la série, la réponse ne se fait pas attendre.
« Je prends toujours beaucoup de plaisir à dessiner les Sisters. Bien sûr, aujourd’hui, c’est plus comme un album photo de souvenirs, qu’une illustration d’un moment présent, mais c’est aussi une très belle manière de travailler. Durant toutes ces années, j’ai également tenu à mener d’autres projets, pour diversifier l’univers et continuer à nourrir cette créativité ».
On retrouve parmi les créations de William Maury, la série Ti Zombi (cinq tomes), qui raconte les rapports d’un duo improbable composé de Tizombi, un mort-vivant à l’appétit insatiable et Margotik, une ado rebelle qui veut écrire un livre sur lui.
Dans un style plus fantasy, Wat (deux tomes) narre l’histoire d’une fée urbaine, qui lorsqu’elle perd ses ailes se retrouve forcée de retourner habiter à la campagne.
Plus directement inspirés par les Sisters, Supersisters (trois tomes) transforme les deux sœurs en super-héroïnes dans des situations plus fantastiques les unes que les autres.
Sorti au début du mois de mai, le premier tome des « Doudous des Sisters » offre un récit graphique à mi-chemin entre l’album pour enfant et la BD, où l’on suit les aventures des doudous qui sont confrontés à des questions existentielles, dès que leurs maîtresses ont le dos tourné. Un récit drôle et touchant qui offre aussi bien une porte d’entrée dans l’univers des Sisters, qu’une parenthèse tendre à l’univers graphique léché.