Lorsque j’étais enfant, et que je me rendais sur le Causse Noir avec mes parents, ma mère voyant s’agiter une petite tête derrière la muraille s’écriait « Oh, regarde c’est une clé de Saint-Pierre ! ». Un peu surpris par cette expression, mais amusé par celle-ci, je désignais dès lors ce petit lézard gris des murailles connu aussi sous le nom de rapiette, par ce nom que ma mère lui donnait.
En sa qualité de reptile, il ne produit pas de chaleur par lui-même, aussi il n’est pas rare de le voir profiter d’un bain de soleil, sa couleur grisâtre se confondant parfaitement avec celles des murailles, ces dernières lui permettant de surveiller les environs immédiats, il peut en quelque sorte lézarder en toute tranquillité sous le soleil. D’un naturel curieux, et peu craintif, il est assez facile de le voir.
Mais il n’est cependant pas à l’abri des prédateurs, aussi, il n’est pas rare de le voir apparaître avec une queue reconstituée, car plutôt que de laisser sa peau, son système de défense quand il est en danger ou coincé est d’abandonner sa queue qui continue à remuer et à faire diversion, laissant à notre reptile le loisir d’aller se réfugier dans la lézarde d’un mur. Une autre queue de remplacement repousse progressivement, mais est dépourvue d’écailles, avec une couleur gris sombre.
Paul Sébillot (1843-1918) évoquant les croyances singulières quant à la tête et à la queue des reptiles rappelle cette idée : « On sait que la queue du lézard, par une sorte d’action réflexe, remue pendant quelques instants alors qu’elle est détachée du corps ; les gamins de Marseille croient que cette queue qui s’agite tant jure le nom de Dieu » (Le folklore de France, la faune et la flore, 1906)
Si le lézard des murailles est appelé « rapiette » dans le sud-ouest de la France, du verbe latin rapio « enlever, dérober à la vue », qui a donné « rapt » comme se cache vite le lézard, sa proie tout juste gobée, d’où lui vient ce nom vernaculaire de « Clé de Saint-Pierre » que ma mère employait pour le désigner ?
Voyons un peu ce que nous en disent les encyclopédistes… Si les expressions évoquant les clés sont légion comme prendre la clef des champs ou mettre la clé sous la porte, aucun n’évoque la clé de saint-pierre dans son sens figuré. Il existe bien les clefs du Paradis qui symboliquement ouvrent ou ferment les accès au paradis, mais pourquoi donner à cet animal, ce nom de clé de Saint-Pierre. Ma mère étant originaire de Livinhac-le-Haut, ce surnom ne pouvait provenir que de l’Aveyron. Et en effet, les occitanistes connaissent bien cette « Clau de Saint-Pèire ».
Reste à savoir quel est le lien entre ce saint, la clé et le lézard. Visiblement, la vision de ce lézard est signe de bons présages. Pour certains, Saint-Pierre régnant sur la météo, quand le lézard apparait c’est signe qu’il va faire beau temps. On sait que ce lézard porte chance. En témoigne Paul Sebillot dans son ouvrage sur les croyances, mythes et légendes de France : « Les reptiles passent en plusieurs régions, et surtout dans le Midi, pour exercer une influence favorable sur le lieu où ils se montrent d’habitude… En bas-languedoc, pour trouver de l’argent, il faut avoir dans son soulier un fragment de petit lézard des murailles. ».
Quant à la clé, elle viendrait d’après le célèbre linguiste Albert Dauzat (1877-1955) de sa forte ressemblance avec la forme du lézard : « L’analogie de la bête au repos avec une clé a fait créer un joli dérivé dans la région du Mont-Dor (Puy-de-Dôme), le type régional croz-al-viva ».
Cette fameuse clé en mouvement fait penser à la clé que l’on tourne lorsque le lézard se faufile facilement avec son corps plat dans les anfractuosités même minuscules des rochers. Ainsi dans l’Aveyron, cette « clé vivante » est apparue sous le nom clé de Saint-Pierre, tandis que dans l’Aude et le Lot, le lézard gris a pris le nom de Clé de Saint-Georges, patron de la Catalogne.
Marc Parguel