Patrimoine Millavois. Quand on allait faire parler « l’Echo »  dans la vallée de la Dourbie

Marc Parguel
Marc Parguel
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La vaste prairie, sur les bords de la Dourbie, aux pieds de l’Echo (DR)

Avant la Révolution française, il était une coutume aujourd’hui complètement disparue et oubliée des mémoires de se rendre lors des journées  de fête, sur les bords de la Dourbie, pour aller pique-niquer en un lieu déterminé appelé « L’Echo ».

Cet endroit pittoresque situé, comme nous le verrons plus loin, à près de 6 kilomètres de Millau, peu avant le Monna, était prisé des Millavois « de la bonne société », tellement prisé qu’il donna son nom au journal local de l’époque « L’écho de la Dourbie », hebdomadaire qui naquit dans la cité du gant le dimanche 11 juillet 1841.

Remontons le temps au jour de Pentecôte 1776, et laissons la parole à une Millavoise déjà avancée en âge se remémorant le temps de sa jeunesse où elle se rendait à L’Echo : « C’était le 26 mai 1776 : ce jour-là, cinquante personnes se réunirent à la Place d’Armes de Millau (actuelle place Foch) pour se rendre sur les bords de la Dourbie, au pied de l’Echo, sur ce beau tapis vert que la nature semble avoir créé tout exprès pour les fêtes et les jeux. En souvenir de cette fête, je me rappelle avoir fait un point de rappel particulier sur une des colonnes de la place, la quatrième en commençant du côté de la Capelle…

Les colonnes de la place d’Armes (Foch) (DR)

Nous partîmes donc de la place d’Armes pour aller dans les appartenances de l’Echo de la Dourbie. Les enfants ouvraient la marche, puis venaient les jeunes gens et les jeunes personnes et après eux les bons parents. J’étais alors du nombre des jeunes personnes. La musique nous accompagnait, nous cheminâmes, la gaieté dans l’esprit, heureux et rejouis » (Souvenirs de l’Echo, 1er août 1841). Il fallait bien compter 1h30 de marche pour se rendre entre le point de départ (actuelle place Foch) en passant par la rue du du Rajol , alors appelé rue du Monna (jusqu’en 1883), l’avenue Gambetta n’existant pas à cette époque (créée en 1855) et une fois passé le pont de Cureplats, continuer vers Massebiau, et se rendre  jusqu’à la prairie propre au pique-nique.

Le rocher de l’Echo (DR)

Laissons notre Millavoise raconter son souvenir champêtre : « Arrivé sur les lieux, chacun voulut saluer l’écho, lui parler, rire et chanter avec lui. L’écho répondait, il en tenait à tous. Ce mélange de voix, de questions, d’instruments et de sons répétés au loin dans le paysage ; produisait un effet semblable au brouhaha du marché d’une grande ville entendu d’une certaine distance. Les jeux commencèrent, les farandoles, les courses, les barres, les danses, les valses et les menuets vinrent tour à tour prêter à la société les charmes de leurs distractions ; ils furent remplacés par les charades, les proverbes, les quatrains et les couplets improvisés sur les rubans, les festons, la musique, l’écho, la campagne et la Dourbie.

Je me souviens de mon couplet, ce qui justifie bien les deux derniers vers qui le terminent. Le voici :

« Les bords de la Dourbie
Sont des endroits charmants,
La campagne est jolie,
Les sites ravissants.
On sait toute la vie
Ce qu’on dit en chantant ».

Un brillant feu d’artifice clôtura cette fête délicieuse dont le souvenir ne s’effacera jamais de ma mémoire. On s’amusait bien alors ! » (Souvenirs de l’Echo, L’Echo de la Dourbie, 1er août 1841).

Ce lieu fut prisé des Millavois pendant de nombreuses années, puis délaissé pendant la Révolution française avant d’être à nouveau fréquenté au début des années 1830.

Au crépuscule de sa vie, notre Millavoise octogénaire, voulu laisser son témoignage sur l’Echo en publiant quelques 65 ans après les faits, ses souvenirs et en 1841, elle en profita pour expliquer les motivations de ce récit : « J’ai été il y a deux ou trois jours voir les enfants d’un de mes anciens amis qui faisait partie de la réunion des cinquante. Il y dansa le menuet avec tant de grâce, ses jambes étaient si bien faites, que ses mollets faisaient proverbe : « Jambes à la P… » était toujours dit, quand il s’agissait de citer ou de comparer. Eh bien ! le cher homme portait de faux mollets, je les ai vus de mes propres yeux vus, suspendus dans sa garde-robe à côté de son habit prune Monsieur. Dispensez-moi de vous faire part des réflexions qui m’ont assaillie, accablée, à l’aspect de ces faux mollets, je vous en prie ».

Voulant revoir le point de rappel qu’elle inscrivit sur la colonne de place d’Armes quand elle avait une quinzaine d’années, là où le rassemblement se tenait, elle le revit non sans émotion : « J’ai été visité ma colonne favorite et j’ai retrouvé mon point, bien noir sans doute, mais il y est. Cette colonne est pour moi un calendrier parfait, elle est couverte de croix, de points, de virgules et de traits qui tous me rappellent les évènements de ma vie déjà bien longue, mais bien remplie ; mon mariage, mon veuvage, mes secondes noces, le bal donné par M. le comte XXX, où je fus si brillante, et tant d’autres choses… Je suis bien vieille aujourd’hui ; mais je n’ai pas été toujours comme cela, croyez-le bien »  

La colonne favorite face à Notre-Dame-de-L’Espinasse qui conserve toujours quantité de traits, de points et autres marques. (DR)

Et terminant son récit, cette Millavoise nous disait : « Allez consulter l’écho, questionnez-le, il vous répondra, ce sont plutôt ses souvenirs que les miens que je viens de vous raconter. Vous y trouverez toujours beaucoup de monde. Il avait été négligé, abandonné pendant quelques années, mais aujourd’hui, il est visité, fêté plus que jamais. Il est devenu influent, puissant, depuis quelque temps, et surtout depuis qu’il a donné son nom au journal de notre bonne ville. Allez donc le trouver, je vous le conseille ».

Le trouver n’a pas été chose aisée, ce lieu-dit ayant disparu des mémoires. Il ne figure sur aucune carte.

Pierre –Edmond-Vivier qui était parti à sa recherche écrivait : « Nous avons en vain interrogé là-dessus les habitants de la vallée, sans oublier les spécialistes de son histoire, personne n’a pu nous éclairer. On devrait tout de même parvenir à retrouver l’endroit, d’autant plus que, si le nom s’est perdu, l’écho lui-même doit s’y entendre encore, et la distance sur laquelle il faut chercher ne peut être très grande puisqu’on s’y rendait à pied avec des enfants » (Journal de Millau, 14 décembre 1973)

Ce lieu a été abandonné, semble-t-il avant la guerre franco-allemande de 1870. Léon Roux (1858-1935), du haut de ses douze-ans  évoque les promenades dominicales et les pique-niques qui se tenaient non pas à l’Echo, mais au lieu-dit « les Rivages » bien plus proche de notre ville : « Nous quittons la route pour prendre le rivage où encore la coutume n’est pas perdue de venir aux belles journées estivales du dimanche, souper sur l’herbe. Il fallait voir, alors, vers quatre heures, les groupes familiaux ou amicaux se diriger vers l’oribal, les femmes portant de grands paniers recouverts d’une serviette aux bras, les hommes lou boral pendant à la bandoulière, les enfants grandets portant enveloppes, miches et « boulanjous ». Et sur l’herbe, parmi les boutons d’or, à l’ombre des pibouls et obicassos, la nappe est étendue, les assiettes placées, lo gigo, lo combojou, lous fricondéùs installés, chacun s’assoit, mange de bon appétit et boit le vin sorti d’être mis au frais dans l’eau gazouillante dé Dourbio. » (Notes éparses, Promenades (1870), L’Auvergnat de Paris, 4 novembre 1933). Cet endroit  a depuis cette époque de tout temps était fréquenté : « La température froide de lundi n’a pas favorisé nos Millavois qui se font un plaisir d’aller manger la « pascade » traditionnelle sur les bords du Tarn ou de la Dourbie » (L’Auvergnat de Paris, 30 avril 1927).

L’aire de détente « des rivages ». (DR)

De nos jours encore, cet espace des « rivages » est apprécié des Millavois. Une « aire de détente » avec des tables de pique-nique y est même aménagée.  Dès la fin du XIXe siècle, sans pour autant délaisser la Dourbie, les Millavois se rendirent à Piquepoul, route de Peyre, ou encore aux Cascades de Creissels pour leur pique-nique.

Aux pieds de l’Echo. (DR)

Après bien des mystères, voici où se situait « le lieu-dit de l’Echo ». En partant de Millau, après avoir quitté Massebiau, et longé la route où coule la source de la Mouline, on voit sur la droite, derrière une barrière (propriété privée) une immense prairie propre aux pique-niques et aux fêtes « ce beau tapis vert que la nature semble avoir crée tout exprès pour les fêtes et les jeux ». Au bord de cette prairie, où coule la Dourbie peu profonde en cet endroit, se voient de nombreux rochers, dont l’un s’avance avec des marches dans la rivière. Si l’on pousse un cri, il y a un écho bien net (écho produit par cette grande paroi rocheuse située en face de là, sur l’autre rive). C’est ici qu’autrefois était le « lieu-dit de l’Echo », à près de 6 kilomètres de Millau, à l’entrée du grand tournant qui précède le village du Monna.

Marc Parguel

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