Au bas du boulevard de l’Ayrolle s’étend la place Frédéric Bompaire (autrefois appelée Place de l’Hospice ou Place de l’Hôpital) établie sur l’emplacement qui servit de cimetière paroissial de 1782 à 1824.
Auparavant, et depuis des siècles, le cimetière paroissial était situé sur la place Mage, près de l’église Notre-Dame-de-l’Espinasse.
En 1782, nous rappelle Jules Artières dans ses annales : « régnait à Millau, « une grave épidémie variolique » ; beaucoup de gens mouraient et l’administration municipale, craignant avec raison que le lieu de sépultures, placé au centre des habitations, ne devînt un foyer de contagion, abandonna ce cimetière, d’ailleurs insuffisant. Les inhumations se firent dès lors, conformément à une ordonnance consulaire, dans le cimetière de l’hôpital, situé hors de l’enceinte des murs et dans une position beaucoup plus saine » (Archives de Millau, B.B.20). Ce cimetière existait déjà en face du couvent des Carmes puisqu’il y fut créé en 1756, mais il ne servait que pour le quartier.
En 1820, le tour de ville étant incomplet, on éprouva le vif désir de faire disparaître cette lacune en ouvrant à la hauteur de l’Hospice (actuel Hôtel-Dieu), le passage de l’Ayrolle au Saoutadou, ceci en raison de l’ouverture du Pont Lerouge qui nécessitait la création de voies publiques sur lesquelles il devait déboucher. A cela s’ajoutait la nécessité de transférer ailleurs le cimetière, qui manquait d’espace en cet endroit.
On fit disparaître pour ouvrir le tour de ville, sur l’angle sud-ouest du boulevard de l’Ayrolle et de la rue Louis-Blanc le couvent des Carmes qui s’étendait jadis à cet endroit.
Suite à un remaniement de l’Hospice qui menaçait ruine, d’après les plans de M. Boissonnade, architecte du département, on bâtit entre 1824 et 1827 le corps central et l’aile droite du bâtiment actuel qui longera la place projetée. L’aile gauche ne s’ajoutera qu’en 1860. Le cimetière fut abandonné fin 1824 au profit du cimetière actuel, sis au terroir du Cayrel (cimetière de l’Egalité). La première inhumation eut lieu dans ce dernier le 1er janvier 1825.
En 1825, les berges du Saoutadou n’étant pas encore remblayées et régularisées, l’Hospice avait presque les pieds dans le Tarn, où l’on accédait par une pente assez étroite et irrégulière de terrain vague. Ce qui fit dire à un Millavois exilé à Paris dans une lettre écrite en 1843 : « La ville se développe comme une nappe blanche quadrillée, au-devant de laquelle on distingue l’Hôpital, cet asile du malheur qui pour raison d’hygiène, ne devrait pas être au bord de l’eau » (L’Echo de la Dourbie, 29 octobre 1843).
Initialement, la place projetée devait être une place semi-circulaire qui devait voir le jour au bord du Tarn, mais devant l’opposition de plusieurs gros propriétaires, ce projet avorta au profit de la place de l’Hospice. Celle-ci ne vit le jour qu’en 1830, après la percée de l’Ayrolle au Saoutadou, ce délai de cinq ans minimum étant exigé alors avant tout travaux sur un cimetière désaffecté.
Durant cette période, comme nous le rappelle Pierre-Edmond Vivier : « la veuve Richard, mère du peintre Théodore, en 1825 (lettres de juin, juillet, septembre) puis le peintre lui-même en 1828 (12 juin), avaient demandé l’autorisation de faire transférer les restes mortels de leurs parents, dans le nouveau cimetière du Cayrel. Elle leur fut refusée, comme à d’autres : on voulait éviter de créer un précédent et d’ailleurs on faisait remarquer que l’aménagement de la place de l’Hospice, loin de nuire aux anciennes sépultures et de déterrer les ossements, allait les garantir en les recouvrant de nouveaux remblais (Archives de Millau, 4 D 83). Ainsi, beaucoup plus tard (1887), en donnant le nom du peintre Théodore Richard au tronçon du tour de ville situé tout à côté, nos administrateurs accordèrent-ils, à leur insu, une espèce de dédommagement à sa famille, déjà éteinte à cette époque » (L’ancien quai (Bd Richard), Journal de Millau, 8 février 1979)
La place était totalement opérationnelle en 1830. Elle portera comme nom « Place de l’Hospice » ou « Place de l’Hôpital ». La mode étant d’installer des fontaines un peu partout dans la ville, ainsi que des bornes-fontaines, beaucoup des points d’eau furent installés à Millau, on éleva la fontaine monumentale de la Place d’Armes (fontaine des lions) en 1835, l’obélisque-fontaine du Mandarous à quatre robinets déversant l’eau à jet continu en 1839, mais aussi parallèlement des fontaines de moindre importance notamment une sur la « place ronde du Pont Lerouge », une autre sur l’avenue de Rodez, mais également rue Neuve Basse, rue de la Capelle, rue droite, rue des commandeurs et boulevard du quai.
Beaucoup de Millavois étant nostalgiques de la promenade du quai, on transforma la petite place s’étendant naguère, entre l’Hospice et la rivière du Tarn en square. Ce petit clos de verdure sera inauguré le 29 août 1897 et portera le nom de square Ramondenc en 1917, nom d’un bienfaiteur de la ville disparu cette année-là (voir Le square Ramondenc, Patrimoine Millavois, 8 avril 2018).
Bientôt de nouvelles constructions virent le jour, l’école Victor Hugo en 1905 qui était au départ prévue pour abriter une maternité, dépendance de l’hôpital. Cet édifice abrite désormais la Maison des Syndicats.
La place où se tenaient les foires
Très tôt cette place de l’Hospice sera animée pour ses foires. Pour acquérir ou voir les porcs, il fallait se rendre à cet endroit, mais aussi Place de la Tine, où on se tenait en hiver des marchés aux cochons très prisés par les Millavois. A la fin du XIXe siècle s’y tenait la dernière foire de l’année : « La foire du 15 novembre qui depuis quelques années semblait vouloir occuper son rang, par le nombre d’affaires qui s’y traitaient pour la vente des animaux gras et l’achat des jeunes porcs, coïncidant cette année avec un dimanche, est passée presque inaperçue à cause du mauvais temps qu’il a fait durant toute la journée du lundi 16. La place de l’hospice où se tient le foiral des bestiaux était presque déserte » (Journal de l’Aveyron, 21 novembre 1891)
Un fait divers en 1892
Fausse alerte. Samedi dernier (3 septembre), le nommé Martin Cros père, boucher, rue des Gozons, fut fort surpris de ne pas trouver son troupeau de bêtes à laine dans son écurie. Immédiatement, il va porter plainte à la police pour dénoncer le vol qu’il croyait avoir été commis à son préjudice ; mais il lui fut aussitôt répondu que déclaration avait été faite que son bétail avait été trouvé sur la place de l’Hospice et qu’il n’avait qu’à le retirer de chez M. Cavalier, qui le lui avait remisé. On ne sait pas s’il y a eu tentative de vol ou si la porte de l’écurie n’était pas bien fermée (Journal de l’Aveyron, 7 septembre 1892).
Jules Artières et Camille Toulouse dans leur ouvrage intitulé « Millau, ses rues, ses places, ses monuments, 1924 » détaillent la Place de l’Hospice comme suit : « Au bas du boulevard de l’Ayrolle, s’étend la Place de l’Hospice, si tant est qu’on puisse appeler ce carrefour une place. En y comprenant le boulevard qui la traverse en son milieu, elle forme une sorte de quadrilatère presque rectangulaire, incliné vers le sud-est, et mesurant une superficie de 27 ares environ. On y arrive du nord par l’Ayrolle, du sud-ouest par la rue Louis Blanc ; le Quai de la Mégisserie (Chaliès) la limite au sud-sud-est, et le boulevard Richard lui ouvre une échappée vers le nord-est. Par la rue du Jumel, elle communique avec le centre de la ville. »
Elle est désignée comme « voie communale : à caractère de place publique n°6, surface 2400 m2. C’est en fait davantage un carrefour, entre le boulevard de l’Ayrolle et la rue Louis Blanc, que les Millavois surnommèrent « le tournant de Bompaire ».
Le tournant de Bompaire
Frédéric Bompaire (né à Millau le 14 mars 1869- décédé dans la même ville le 8 novembre 1936) embrassa, après des études au collège de Millau, la carrière de médecin en clientèle, mais aussi les fonctions de médecin-chef de l’Hôpital Hospice de Millau. Il s’acquit une immense popularité, grâce à la sûreté de sa science médicale, faisant profiter aux Millavois des derniers progrès de la médecine auxquels il s’intéressa de très près, notamment aux notions d’hygiène sanitaire, d’hygiène pratiques et aux maladies mentales…
Conseiller municipal, puis maire de Millau en 1904, il s’investit pour sa ville. Mais s’il était aimé comme médecin, il l’était moins pour sa politique. De religion protestante, il fit interdire les processions en ville, refusant des subventions à des œuvres religieuses, appliquant avec rigueur les lois contre les Congrégations, il en démissionna, laissant la place libre à André Balitrand, dont il soutint par la suite la longue carrière politique.
Il lança le projet de construction d’une maison du peuple, il conçut et mit en œuvre le Syndicat d’Initiative et il osa même planter sur la place du Mandarous un édicule en forme de kiosque.
Il habitait la maison formant l’angle du boulevard de l’Ayrolle et de la rue Louis Blanc.
Aussi, Millau s’en est souvenu, dans sa délibération du 10 janvier 1957, en renommant la Place de l’Hospice, « Place Frédéric Bompaire », cette place qui jouxte à la fois la maison qui fut son domicile et l’Hôpital dont il fut le médecin-chef.
Aujourd’hui, la place Bompaire offre un nouveau visage. Dès le 7 janvier 2019, d’ambitieux travaux de réaménagement commencent, dans le cadre du programme Millau 2030 et Action Cœur de Ville. La requalification de la place Bompaire faisant partie intégrante de l’ensemble du réaménagement des Quais. Les travaux furent finalisés le 7 juin. Maintenant, pour les automobilistes, des places de stationnement et une voie à double circulation. Pour les piétons, une superbe esplanade permettant un accès très agréable pour passer de l’Ayrolle au Quai-Sully Chaliès récemment repensé et destiné à la promenade.
Marc Parguel