Causses et vallées
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Le trésor de Rémèsi

L’histoire qui suit nous vient de Gaston Boulouis (1908-1991). Il fit paraître dans un ouvrage « A travers Causses et Raspas » en 1983, des légendes et récits de la vallée du Tarn, soucieux de transmettre une série d’articles parus dans des journaux locaux d’époque, mais dont les histoires se sont dispersées au point de devenir introuvables. Voulant fixer ses contes sur du papier, il en profita pour rajouter un autre récit qu’il définissait bien volontiers comme « un produit d’un terroir, avec les hommes, les lieux et l’environnement de chez nous », cette histoire du « trésor de Rémèsi » tire son intérêt de cette attirance que les hommes éprouvent toujours pour les aventures de trésors enfouis et redécouverts.

Nous sommes le jeudi 30 mars 1939. Un paysan d’Ayssènes voulant profiter de cette belle journée de printemps s’en allait planter quelques pommes de terre qu’il portait dans son panier. Il s’appelait Henri Vayssettes. Comme tous les autres habitants du village, on lui avait donné un surnom : « Enric de Rémèsi, ou plus simplement Rémèsi. C’était un vieux garçon, autour de ses 70 ans, qui menait un train de vie modeste et, comme ont dit dans le pays, n’attachait pas son chien avec de la saucisse.

Le champ était tout proche de son habitation, mais peut-on même parler de champ ? C’était un de ces « faïssous » qui, en contrebas des ruines de l’ancien château, descendent en terrasses les pentes du roc de Saint-Jean, en direction du Vernobre, face aux escarpements de Roquefage.

Vue du roc Saint-Jean (DR)

Bien que vaillant, le poids des années se faisant sentir, lorsqu’il descendit la rue en destination de son champ, il avisa un jeune homme d’une quinzaine d’années dont il connaissait la famille, et lui dit « Viens avec moi, tu m’aideras ». Et le garçon le suivit de ce pas.

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Une pierre gênante 

On arriva au champ. Il y avait là une large pierre plate qui semblait installée en cet endroit depuis des siècles. Sa présence était une gêne pour le travail, et même si Rémèsi avait fini par s’en accommoder, le jeune homme qui avait plus de vigueur que le vieil homme voulut la déplacer. Après quelques efforts, il la souleva et l’envoya au ruisseau, et là, stupéfaction ! Voilà qu’à l’emplacement de la pierre, la pioche se heurte à tout un embrouillement de vieux bas pourris et de pièces métalliques, jaunes et blanches, qui s’éparpillent au soleil. Les deux hommes n’en croient pas leurs yeux. Il faut se rendre à l’évidence. La chose qui n’arrive que dans les romans d’aventures vient de se produire sous leurs yeux. Ils ont découvert un trésor.

Oui, mais voilà, où le mettre sans éveiller l’attention ? Rémèsi qui est toujours quelqu’un de prévoyant, avait apporté comme à son habitude, sa traditionnelle musette pour y loger son casse-croûte et son incontournable « pintou » de vin. On y dépose précautionneusement les pièces, mais il y en a tant que la courroie cède. Qu’importe, la maison n’est pas loin, on prend le tout à la maison Rémèsi et on verse le magot dans une de ces antiques « paillasse » où on faisait jadis le pain. Elle était pleine à déborder. Certaines de ces pièces étaient toutes noires et terreuses. « Prends de la cendre et frotte-les », dit Rémèsi à son compagnon de fortune.

Et sous l’action de la cendre, les pièces reprenaient leurs couleurs éclatantes.

Afin de ne pas se faire remarquer, la journée n’étant pas terminée, ils retournèrent au champ pour continuer à planter des pommes de terre, mais le cœur n’était plus à l’ouvrage et leur esprit était ailleurs.

Le soir tombant, chacun rentrant chez soi, Remèsi eut cette nuit-là beaucoup de mal à trouver le sommeil.

Un secret mal gardé

Le lendemain, vendredi 31 mars, après cette journée qui n’était pas de tout repos, le jeune homme reprit le chemin de l’école. Au moment où il passait sous la fenêtre de Rémèsi, ce dernier, qui avait remercié la providence toute la nuit, l’appela et lui tendit un billet de 1000 francs lui demandant en compensation de ne jamais révéler l’existence de ce trésor.

Le samedi 1er avril, c’était jour de foire à Villefranche-de-Panat. Deux voisins causaient ensemble des cochons qu’ils en ramèneraient : « Avec ce que j’ai trouvé murmura Rémèsi, on pourrait en acheter… des cochons ! » Enhardie peut-être par ces mots ou par d’autres confidences voilées, une dame du village se hasarda à lui demander de voir quelques-uns de ces fameux louis d’or. « Oh vous, vous n’êtes pas assez fine pour voir mes pièces », lui fut-il répondu. Le bruit du trésor enfoui trouvé par Remèsi se répandit dans tout Villefranche-de-Panat, comme une traînée de poudre. Tout le monde voulait voir ses pièces. Pris de panique ou agacé que tout le monde veuille prendre une part de son trésor, et la nuit portant parfois conseil, le lendemain, Rémèsi montra un autre visage.

Vue aérienne de Villefranche-de-Panat (DR)

Un billet de 1000 francs 

Trois jours à peine venaient de s’écouler depuis la découverte du magot, quand le dimanche 1er avril, Rémèsi se mit à protester avec véhémence que tout était faux, que les histoires que racontait le jeune homme étaient fantaisistes, qu’il n’avait absolument rien trouvé. Quand on lui demanda d’où venait le billet de 1000 francs du jeune homme, Rémèsi répondit que ce billet lui avait été volé par ce garçon, qui, affabulateur astucieux, aurait inventé cette histoire pour masquer ce vol.

La rumeur du trésor, bien que persistante, se calmera un peu jusqu’au mercredi 4 avril. Ce jour-là, un nouvel attroupement vint à Ayssènes. Aux paroissiens venus pour l’adoration perpétuelle se mêlèrent procureur, gendarmes, huissiers, journalistes qui eux n’étaient pas là pour assister eux Vêpres, mais pour enquêter sur la découverte du magot.

Malgré un interrogatoire serré, Rémèsi nia avec la dernière énergie avoir trouvé quoi que ce soit et avec des termes et des gestes éloquents, il invita ses visiteurs à prendre la porte au plus vite, les menaçant s’ils insistaient avec leurs questions, d’avoir recours à des moyens sans doute à la limite de la correction, mais qu’il était prêt à employer. Toute l’équipe des enquêteurs dut se retirer bredouille. Journalistes, huissiers, gendarmes et procureurs retournèrent en ville dans l’ordre où ils étaient venus.

Remèsi, dessin de Joseph Naudan (DR)

Un trésor contesté

Le village retrouva la paix, mais beaucoup étaient déçus. Pensez ! Une découverte pareille, ça n’arrive pas tous les jours. Le curé Héblès, historien amateur, aurait aimé scruter quelques-unes de ces pièces pour les dater, ce qui lui aurait permis d’élucider certains points obscurs d’histoire locale. Pour lui, d’ailleurs, la découverte de ce trésor n’offrait rien d’invraisemblable. Au cours de son histoire, le château avait été assiégé plusieurs fois. On peut très bien supposer, disait M. Héblès, ancien curé d’Ayssènes (mort en 1954) qu’au cours de l’un de ces sièges, le châtelain croyant la partie perdue, avait décidé de déposé son or dans une cachette toute proche, espérant le récupérer quand la tempête serait passée. Et puis, pour des raisons ignorées, la mort peut-être, le châtelain n’aurait pas eu la possibilité de le faire. Et l’or serait resté endormi dans les bas de laine cachés au coin du « faïssou », sous la large pierre plate.

On épia Remèsi, chacun de ses faits et gestes étaient commentés. Comme il arrivait souvent à Rémèsi de parler tout seul à haute voix, des curieux s’aventuraient parfois sous les fenêtres, à la nuit tombée, espérant saisir peut-être des mots révélateurs. Ils en furent pour leur peine. On le vit plus que de coutume faire des trajets vers Saint-Affrique, qu’allait-il y faire ? Quoiqu’il en soit, trésor ou pas trésor, son niveau de vie qui était des plus bas, ne changea pas, il ne s’éleva pas d’un pouce. On ne le vit pas plus souvent au café ni chez le boucher. Chichement, il vivait avant l’affaire du trésor et chichement il continua à vivre après.

Les années ont passé, Rémèsi est mort, emportant avec lui son secret dans la tombe. Et l’étrange découverte qui mit un jour le village d’Ayssènes en ébullition est restée une des énigmes de son histoire. Le trésor a-t-il de nouveau été caché quelque part ? Toutes les hypothèses sont permises et aussi toutes les espérances. Peut-être le trouverez-vous un jour de promenade dormant silencieusement dans un vieux tronc de châtaignier au bois de la Burgue ?

Marc Parguel

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