Patrimoine millavois
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Patrimoine Millavois. Le boulevard du Quai

De 1770 à 1820, la partie de l’actuel boulevard Richard allant de la rue Saint-Antoine à la rue des Gozons était occupée par un terrassement un peu surélevé, muni d’escaliers à ses extrémités et bordé par un perron du côté du Tarn. Cette promenade d’abord appelée « Cours Lescalopier »  fut renommée « le quai » lors de son aménagement final en 1770.

Ce nom de « quai » se comprend difficilement aujourd’hui vu que son axe ne suivait pas les berges du Tarn, contrairement à la promenade de la Grave figurant sur les plans d’époque, mais il faut savoir qu’autrefois dans notre région tout au moins, le nom de « quai » ne supposait pas nécessairement un terrain en bordure d’un cours d’eau. Il désignait aussi tout terrassement longeant, au-dehors, l’enceinte des remparts, sur l’emplacement ou au voisinage des anciens fossés. Ainsi en est-il encore, notamment à Saint-Jean-d’Alcas et à Cornus.

Le quai de Sauclières. © DR

Le cours Lescalopier (1745)

Au milieu du XVIIIe siècle et depuis le Moyen-âge, se trouvaient en bordure du Tarn du côté de la Grave, « les calquières », quartiers des tanneries et des mégisseries, mais ces dernières n’occupaient pas toute la place, la plus grande partie consistait en jardins et en terrains vagues, descendant en pente naturelle et irrégulière jusqu’au rivage. Les berges n’étant pas maçonnés comme aujourd’hui, la rivière les rongeait continuellement, les envahissaient à la moindre crue et les eaux remontaient plus souvent et plus près de la ville que de nos jours, mais comme le rappelait P.-E. Vivier : « Malgré la menace permanente qui se concrétisait périodiquement par des inondations dévastatrices, malgré les âcres relents qui montaient des fabriques, ce quartier suburbain se trouvait être, surtout l’hiver, l’un des plus agréables de la ville, véritable cagnard, à l’abri de la bise, orienté plein midi, et d’où l’œil parcourait un admirable panorama sur la vallée, de la Graufesenque à Creissels, et sur les contreforts qui la dominent » (L’ancien quai (Bd Richard), journal de Millau, 23 janvier 1979). Forcément, la vue n’était pas arrêtée par tous ces immeubles qui bordent désormais le boulevard, face à la vieille ville.

Une illustration du quai datant de 1815. © DR

On doit en grande partie à Gaspard-César-Charles Lescalopier, nommé aux travaux d’urbanisme de Millau en 1740, la création du quai. S’il fut unanimement reconnu, notamment lorsqu’il réalisa l’ouverture de la route Millau-Montauban, on lui doit aussi la construction du lavoir monumental de l’Ayrolle, dont les plans furent approuvés dès mai 1749. Cinq ans plus tôt, lors d’une de ses visites à Millau, Charles Lescalopier forma le projet de combler les fossés, au moins grossièrement. Ce premier travail, était achevé, de l’Hospice à la Capelle, avant octobre 1744 : la constatation en fut faite par l’Intendant Lescalopier lui-même en visite à Millau, où il ordonna de continuer à aplanir en comblant la partie restante des fossés, c’est-à-dire le côté nord, allant de la Capelle au bas de l’Ayrolle par le Mandarous. Ces travaux furent exécutés par corvées par les habitants de la cité et les membres de la noblesse y contribuèrent, sinon personnellement, du moins en se faisant remplacer à leurs frais.

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Nos aïeux s’honorèrent en l’appelant « Cours Lescalopier » rendant par là, un hommage mérité au grand administrateur. Jules Artières nous le rappelle : «  Cette promenade avait été établie sur les conseils de M. Lescalopier, intendant de Montauban entre la porte Sainte-Antoine et celle des Gozons, elle prit d’abord le nom de Cours Lescalopier et ensuite celui de Quai, quoiqu’elle ne fut pas au bord de la rivière qui était longée par la promenade de la Grave » (Millau à travers les siècles, 1943).

Le plan dressé en 1746  ou figure au numéro 21 « le cours Lescalopier ». Les mégisseries longent la promenade de la Grave. Le boulevard est garni d’une superbe allée d’arbres. (DR)

Création du  « quai »

R.Artault de Tauriac nous explique la création : « En 1766, la place de l’église de Notre-Dame de l’Espinasse ne suffisant plus aux délassements de la population, les consuls, dans des vues hygiéniques, profitèrent d’un fossé des fortifications exposé au midi pour y construire (entre la porte Saint-Antoine et celle des Gozons), une promenade qui prit le nom de Quai, quoiqu’elle en fut pas au bord de la rivière. » (Esquisses sur Millau et sa vallée, l’Echo de la Dourbie, 2 avril 1843).

En effet, à cette époque, la seule place qui existait était l’actuelle place Foch, la place du Mandarous n’existait pas. Les travaux furent terminés en 1770 comme nous le rappelle Pierre-Edmond Vivier : « Trente ans après le comblement des fossés, on avait surélevé la partie du boulevard Richard en construisant le Quai. En effet, un document de nos archives communales nous apprend qu’au 2 janvier 1770, on s’occupait d’une « nouvelle promenade » dont l’établissement projeté ou même commencé faisait quelque difficulté. Elle devait s’étendre, est-il précisé, de la porte Sainte-Antoine exclusivement à la porte des Gozons exclusivement aussi. Elle était en remblai et, à chacune de ses extrémités étaient prévus des escaliers d’accès (plans dressés par l’architecte Garabuau). Cette partie du boulevard constituerait donc une terrasse, assez haute par rapport au tronçon voisin du Tour de ville.

Un document de 1778 (Arch. de Millau, DD 5), nous explique le pourquoi et le comment de cette réalisation : « Depuis la porte appelée de Saint-Antoine jusques à celle appelée des Gouzons, la plus grande partie du rempart avoit croûlé et l’autre partie menasser dans le quartier sans exposer la vie au danger ; aussi, pour prévenir et éviter un pareil malheur, la communauté demanda la permission de former dans cet espace de terrain une promenade, ce qui feut accordé par une ordonnance de Monseigneur l’Intendant de cette Généralité. En exécution et en conformité d’icelle, la partie dud.rempart qui menassoit feut abattue, en sorte que pour séparer les possessions des particuliers qui avoisinoient led.rempart, il feut fait une muraille, non à droite ligne, mais faisant cercle, depuis lad.porte Saint-Antoine jusques à celle des Gouzons, (muraille à qui en effet sépare les propriétés des particuliers cy-après nommés avec le promenade publique. D’après le rapport sur le tour de ville par François Trinquier, agrimenseur (géomètre) de Millau » (Journal de Millau, 23 janvier et 1er février 1979).

De la murette en saillie, il restait deux vestiges au 8 et au 18 bis, seul subsiste désormais celle au 8 de l’actuel boulevard Richard, celle du 18 bis faisant partie des maisons abattues pour créer durant l’été 2007 un impressionnant escalier pour monter à la rue Basse.

Au numéro 8 du boulevard Richard- vestige de la muraille du Quai. (DR)

Description et utilisation du quai 

C’est donc ce terre-plein, dominant les terrains qui descendaient vers la rivière, et s’étendant de la rue Saint-Antoine (autrefois appelée aussi rue de la Fontaine) à la rue des Gozons qui fut appelé le « Quai » (Archives de Millau B.B,29, folios 463r et 464v), ce nouveau « Quai » n’avait pris la place que d’un terrain vague, improductif, et en tout cas peu utilisable alors pour le commerce et l’industrie. C’était une belle promenade en terrasse, sur les anciens fossés, avant que ce quai ne se garnisse d’immeubles sur ses deux côtés pour devenir le boulevard Richard. On avait une visibilité sur le Tarn allant du faubourg Saint-Antoine (actuelle rue du Pont de Fer) jusqu’aux terrains appartenant à l’hospice où fut créé le square Ramondenc en 1897.

Artault de Tauriac le définit comme suit : « Deux rangées d’arbres, des bancs de pierre, un escalier et un perron circulaire caractérisaient le lieu où les citadins venaient se réunir le dimanche et se délasser des travaux de la journée… Cette promenade, bien exiguë, était cependant pour l’enfance de la cité millavoise, la petite Provence du jardin des Tuileries. Là, comme ici, les petits enfants déployaient au soleil leurs grâces et leurs jeux, et le soir faisaient place à leurs grands-parents, qui venaient y attendre avec impatience l’heure de l’ouverture du modeste théâtre que l’amour scénique avait placé tout auprès. C’est sur cette scène que souvent des jeunes acteurs ont fait leurs premiers pas (Monrose et Julienne, actrice du Gymnase, ont débuté à ce théâtre) ; là aussi, la société de Millau se formait aux représentations du monde et à la vie publique lorsqu’elle-même remplaçait les acteurs absents. » (Esquisses sur Millau et sa vallée, l’Echo de la Dourbie, 2 avril 1843).

Cette toute première salle de spectacle millavoise était située rue de l’Ancienne Comédie, donc tout près du quai.

Le quai avait reçu pour mission d’agrémenter le côté sud de la cité, et il n’était certainement pas le moins apprécié de tous ces établissements urbains.

Lithographie (entre 1815 et 1835) reproduite par Abel Hugo (frère de Victor » dans sa « France pittoresque », en 1835. (DR)

Un projet d’une statue de la liberté sur le quai (1791)

Depuis la prise de la Bastille de 1789, il était devenu une coutume de célébrer le 14 juillet, et le Maire de Millau avait un programme de fête plutôt original pour 1791.

Ainsi De Bourzès, maire de notre ville (d’août 1790 à septembre 1791) propose au conseil les lignes qui suivent : « Je propose avec confiance de faire établir à l’une des extrémités du Quay ou dans tout autre lieu qu’on jugera plus convenable, un autel à la Patrie, surmonté de la statue de la Liberté, avec les emblèmes qui la caractérisent, et de celle de la France tenant à la main le décret sur les droits de l’homme et du citoyen, d’y faire célébrer la messe, d’y renouveler le serment de vivre libres ou mourir, et de défendre la constitution jusqu’à la dernière goutte de leur sang. Sur quoi… il a été unanimement arrêté que l’assemblée habilite MM. les officiers municipaux à faire toutes les dépenses relatives à cet objet… » (Archives de Millau, 1D24).

Si cette statue de la liberté n’a pas vu le jour, les comptes à la date du 12 novembre suivant, nous apprennent que l’autel de la Patrie avait effectivement été dressé par Lacas, menuisier, et garni par Mazars  aîné, tapissier. Monthialoux, marchand avait fourni les cierges.

Il est presque certain que dès le début du XIXe siècle vint s’installer en bordure du quai, le café du levant, au nom prédestiné, qui se situait à l’angle de la rue Désiré Mazars, près de l’Hôtel-Dieu. Son nom s’explique, comme la création du « Quai » lui-même par la belle orientation du quartier. L’existence du Café du Levant est attestée déjà en 1867, où il comportait un billard, jeu alors très à la mode, et appartenait au mécanicien Condomines.

Quand le quai devint « le boulevard du Quai ». (DR)

Quand le quai devint « le boulevard du Quai »

Après que nos aïeux aient pu jouir pendant un demi-siècle de leur belle promenade, avec l’expansion industrielle commencée, une bonne partie des terrains situés entre le « Quai » et la Grave s’était couverte de fabriques et autres constructions, qui, peu esthétiques par elles-mêmes, devaient aussi restreindre plus ou moins le panorama.

Mais, comme nous le rappellerait Pierre-Edmond Vivier : « En réalité, la cause première de la suppression du « Quai » fut la construction du pont, depuis si longtemps réclamée à cor et à cri par les Millavois et leurs administrateurs, et enfin réalisée, sous la direction de l’ingénieur Le Rouge, de 1817 à 1820.

Dès avant l’achèvement de ce bel ouvrage, on se préoccupa de lui donner son maximum d’utilité pour la ville, en aménageant les voies publiques sur lesquelles le pont devait déboucher… de plus, les commerces et industries qui s’étaient installés en contrebas du « Quai » devaient tendre à remonter jusqu’à celui-ci et faire sentir le besoin de le rendre accessible au roulage, comme une continuation normale des boulevards de la Capelle et Saint-Antoine» ((L’ancien quai (Bd Richard), Journal de Millau, 1er février 1979)

La promenade du quai a disparu en 1820, comme le rappelle cette délibération communale du 10 août : « La partie a exécuter sera établie sur la promenade du Quay, entre la porte Saint-Antoine et la rue du Voultre (Gozons). A partir de ce point, elle suivra un alignement droit dont l’axe passera à dix mètres de l’angle sud-est de l’église de l’hospice… ». La conversion du quai ne tarda pas à passer à celle de boulevard, faisant disparaître les escaliers d’accès, le parapet du côté de la rivière, et donnant au terrain une très faible pente. Quant aux arbres ils seront abattus par le sieur Segui, et les travaux de terrassements assurés par Jean Roucoules, maçon fin septembre 1824.

Les travaux furent terminés en novembre 1825 laissant De Tauriac amer :  « Sous prétexte d’un nouveau plan de ville, des barbares, vers 1820, firent arracher les arbres, abattre les perrons, abaisser le sol. Le nom seul du Quai est resté à une partie du boulevard, délaissé depuis que les oiseaux n’y ont plus trouvé d’ombrages, ni les promeneurs d’abri contre les rayons du soleil. Aujourd’hui la promenade et le théâtre ont disparu, les rapports de société sont presque effacés, le goût des beaux-arts a fui. Quoique le bien-être matériel soit plus répandu qu’autrefois, la ville n’étale plus que des chemins poudreux et des cafés. Il n’y a plus de ces douces réunions où l’urbanité des hommes, les charges du beau sexe faisaient les délices des étrangers.

Les villes voisines progressent toutes vers la civilisation ; Millau revient, sous le rapport des agréments de la vie, à ce qu’il était au Moyen-âge, industrieux, mais monotone et triste. Puissent les autorités municipales entrevoir l’utilité, pour la santé publique, d’une promenade aérée, et nous donner quelques touffes de verdure, loin des embarras des routes publiques ! » (Esquisses sur Millau et sa vallée, l’Echo de la Dourbie, 2 avril 1843).

En 1826, figurait pour la première fois dans les actes administratifs le nom de « l’ancien Quay ». Cependant pendant des décennies, son nom resta et il devint « le boulevard du Quai ».

La mode étant d’installer des fontaines un peu partout dans la ville, ainsi que des bornes-fontaines, beaucoup des points d’eau furent installés à Millau, on éleva la fontaine monumentale de la Place d’Armes (fontaine des lions) en 1835, l’obélisque-fontaine du Mandarous à quatre robinets déversant l’eau à jet continu en 1839, mais aussi parallèlement des fontaines de moindre importance notamment une sur la « place ronde du Pont Le rouge », une autre sur  l’avenue de Rodez, mais également rue Neuve Basse, rue de la Capelle, rue droite, rue des commandeurs et boulevard du quai.

En 1860, encore malgré la disparition du « quai » depuis 40 années, son nom continua à rester dans l’esprit des vieux Millavois. Aussi lorsqu’un fait-divers devait survenir on n’omettait pas de le signaler sur le « Boulevard du Quai »

Extrait de l’écho de la Dourbie, 16 mars 1867. (DR)

Ce n’est qu’en 1887 que ce boulevard changea de nom. La municipalité voulant honorer ses personnalités, le boulevard du Mandarous prit le nom de Boulevard de Bonald,  tandis celui du Quai prit le nom de Théodore Richard.

Marc Parguel

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