Patrimoine millavois. La foire du mercredi des Cendres

Marc Parguel
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Moins importante que celle du 6 mai, mais tout aussi connue, la foire du mercredi des Cendres était autrefois « la foire aux fourrures et à la sauvagine », un héritage aujourd’hui perdu venu du Moyen-Âge.

En effet, en 1437, par lettre patente, le roi Charles VII a accordé la concession de trois nouvelles foires à Millau (autrefois, il n’y en avait qu’une, celle du 28 octobre, dite de Saint-Simon). Les trois autres foires créées furent celle du 15 août, fête de l’Assomption de la Sainte-Vierge, la seconde au 22 février, fête de la chaire de Saint-Pierre, et la troisième au 6 mai, fête de Saint-Jean l’Évangéliste (Jules Artières, Annales de Millau, 1900, p.86-87).

Afin de ne pas porter préjudice aux foires voisines, de nombreuses enquêtes ont été menées. Ce n’est que dix ans plus tard que la première manifestation millavoise a vu le jour.

Ces trois nouvelles foires ont été octroyées définitivement par « lettres royales » données à Paris le 9 septembre 1447 qui réduisirent à 6 jours francs les huit jours pendant lesquels ces festivités devaient durer. Les trois foires étaient maintenues, mais plus aux mêmes dates. L’historien de Gaujal nous apprend que la première foire de l’année initialement prévue le 22 février se tiendra le 18 janvier, celle du 6 mai sera maintenue à cette date, mais celle du 15 août sera reportée au 10 août, jour de Saint Laurent parce que trop rapprochée de la fête de Notre-Dame à Pézenas. Pour cette dernière concession, les Millavois durent verser 150 écus d’or « monnaie courante à présent ». Cette foire déplacée au 10 août venait à coïncider avec une foire de Saint-Rome-de-Tarn : deux consuls vinrent s’en expliquer à Millau, redoutant cette concurrence et arguant du caractère plus ancien de la leur…ils le firent en vain.

Enfin, la foire qui nous intéresse aujourd’hui initialement se tenait le 18 janvier, mais par lettres patentes du 22 mai 1554, le roi Henri II transféra cette foire au premier jour de carême. Il lui donna de même qu’aux autres, une durée de 6 jours ouvrés et voulut qu’elle fût pareillement franche de toute espèce de charges (Études historiques sur le Rouergue, de Gaujal). En 1638 fut créée la foire du 5 novembre. Celle du 17 mai, dite de « la loue » n’a jamais été mentionné comme une foire, mais comme une continuité de celle du 6 mai : « c’est une foire où, d’habitude, il ne se traite pas d’affaires commerciales et qui a surtout pour but le louage des domestiques. » (Journal de l’Aveyron, 15 mai 1867).

Les paysans se rendant à la foire. © DR

Celle du premier jour de carême que nous évoquons aujourd’hui était connue comme celle où l’on allait acheter des porcelets, des chevaux, des mulets, des brebis et comme le disaient nos aînés « per las pèls de sauvatgina », une foire identique se tenait à Rodez pour la « Mi Carême ». On y vendait des peaux de renards et de blaireaux, mais aussi des peaux de lapin.

Cette foire très populaire était mentionnée chaque année dans la presse, en voici quelques extraits :

1862. La foire de Millau du 1er jour du carême a eu son importance ordinaire. Les chevaux et les mulets, qui abondaient sur le marché, se sont vendus à un excellent prix. Le cours du fromage destiné aux caves de Roquefort s’est ouvert à des conditions avantageuses pour les éleveurs. Le commerce de la ville s’est bien trouvé de ce mouvement imprimé aux affaires par le nombre considérable d’étrangers que le beau temps avait amenés parmi nous (Journal de l’Aveyron, 12 mars 1862).

1864. Notre foire n’a pas été si bonne que de coutume. Cela s’explique : la neige qui n’a cessé de tomber, épaisse et drue pendant la moitié de la journée a fait fuir les acheteurs et interrompu les transactions. Il s’est vendu peu de chevaux et de mulets. Le cours de fromages destinés aux caves de Roquefort s’est ouvert au prix, nous dit-on, de 50, 55, 60 et 65 francs (L’Écho de la Dourbie, 20 février 1864).

1920. La foire du 18 février a été contrariée par une pluie qui a duré toute la journée. Malgré ce temps, beaucoup de monde et champs de foire bien garnis. Les prix sont toujours élevés (L’Auvergnat de Paris, 28 février 1920).

1921. La foire du mercredi des Cendres a été l’une des meilleures depuis 1914 ; cours en baisse sur les porcs gras et en hausse sur les bêtes à laine (L’Auvergnat de Paris, 19 février 1921)

1922. La foire du mercredi des Cendres a été très importante. Nombreux étrangers et nombreux marchands forains : foirail abondamment pourvu. Malgré une baisse générale sur les cours, transactions fort actives (L’Auvergnat de Paris, 11 mars 1922)

1927. « La foire du premier jour de carême qui est une des plus importantes de l’année, notamment pour la vente des chevaux, a été excellente en dépit du temps pluvieux par intermittence. Les transactions ont été actives quoique les cours soient à la hausse. Le boulevard de Bonald et la Place du Mandarous étaient littéralement couverts par les étalages des forains qui débordaient sur les boulevards de l’Ayrolle et Sadi-Carnot. La place de l’Hospice et le quai Sully Chaliès étaient abondamment garnis de chevaux et de mulets, de brebis et de porcelets. En somme, bonne journée pour le petit commerce local » (L’Auvergnat de Paris, 12 mars 1927)

Les femmes de Soulobres venaient avec le baquet sur la tête pour vendre des pérals. Les hommes étaient occupés ailleurs, ils ne les emmenaient pas avec la charrette. Mais, quand elles arrivaient à Millau, souvent, elles n’avaient plus de pérals. En route, on les arrêtait pour leur en acheter. Les gens savaient que la Pierrona descendait avec ses pérals (Al Canton, Millau).

La foire du mercredi des cendres de 1932 ayant fait trop de vacarme, on décida de réduire l’espace des forains : « Par suite du nombre toujours croissant de forains étalant leurs marchandises sur les trottoirs des boulevards de Bonald et Sadi-Carnot, la municipalité a décidé qu’à partir du 13 mars, ces installations ne seraient autorisées que sur la place de la Capelle ou place de la Fraternité » (L’Auvergnat de Paris, 19 mars 1932)

En 1939, « la foire du mercredi des Cendres a eu son importance habituelle, malgré le temps maussade, succédant à une longue période de journées ensoleillées. Les ruraux de nos environs étaient venus nombreux. Le foirail de la place de l’Hospice était bien approvisionné en porcelets et les chevaux, ânes et mulets étaient nombreux sur le quai Sully Chaliès. Devant les marchands forains, très nombreux sur le Mandarous et les boulevards, circulait une foule nombreuse » (L’Auvergnat de Paris, 4 mars 1939)

L’arrivée de la guerre mit en sommeil ce jour de fête : « Notre foire du mercredi des Cendres a eu peu d’importance. Forains clairsemés et peu de chevaux et cochonnets » (L’Auvergnat de Paris, 2 mars 1940)

La foire des porcs

Il y avait des chevaux et des porcs aussi. C’était le moment d’ouverture des laiteries et il y avait du petit lait alors tout le monde en achetait pour engraisser les porcs. Pour acquérir ou voir les porcs, il fallait se rendre Place de l’Hospice (actuelle place Bompaire), mais aussi Place de la Tine, où on se tenait en hiver des marchés aux cochons très prisés par les Millavois. On vendait outre des porcs, des dindons venus du Lévézou.

Une grande animation régnait dans ce quartier où l’on côtoyait les « habillés de soie ». On les trouvait dans des « cages ou cases à cochons » : on les appelait, en français patoisé, les « castres » ou « clastres », selon qu’on faisait dériver le mot du latin des camps militaires ou de celui des…cloîtres.

Jules Artières regrettait en 1943 sa disparition : « Depuis la guerre, hélas ! il est désert. Quand reverrons-nous ces habillés de soie, si sympathiques à nos bonnes ménagères ? » (Millau à travers les siècles, p.447).

Des charrettes aux roues solidement cerclées ébranlèrent ses « castres » peu odorants la clientèle millavoise des toucheurs de bestiaux dont la célébrité a retenu les noms, tels les Cabirou (ancien boucher au 3 avenue Jean-Jaurès devenu marchand de bestiaux), les Grousset, les Amat, les Bétou, les Valès étaient les maquignons les plus réputés pour la qualité de leurs bêtes. Tout autour, leur tâtant le lard ou les jaugeant d’un œil expert, marchands et acheteurs réfléchissaient ou palabraient.

Vendeurs et acheteurs se retrouvaient Place de la Tine. © DR

Chaque vendeur avait son « castre » et les acheteurs venaient les choisir là. Ils portaient les porcs sur le dos. Au bord, il y avait la bascule, on pesait les porcs et on mettait ses initiales sur son dos.

Les personnes vivant misérablement en profitaient pour gagner quelques sous. Le plus représentatif fut sans doute Gardette, toucheur de bestiaux « a la barbe hirsute » et à la démarche souvent louvoyante. Gardette partait pour cinq sous à travers la ville avec le porc attaché à une corde, pour le livrer au domicile de l’acheteur, et on le missionnait également pour s’occuper des habillés de soie.

La sauvagine

Mais comme nous l’avons dit plus haut, on y venait aussi pour la sauvagine, avec ses vendeurs et acheteurs de peaux. En 1980, cette foire n’avait plus son lustre d’antan, comme nous le rappelle la presse de l’époque : « Des peaux de renard, plus particulièrement, qui suscitent un marché de plus en plus restreint bien que conservant son caractère ancien place du Mandarous où un carré d’amateurs de pelleterie se retrouve encore entouré de quelques curieux. Combien les renards ? Ça dépend de la qualité du poil et de la façon dont a été écorchée la bête. Entre 50 et 100 francs…100 francs les plus belles. Un tarif loin de celui pratiqué il y a trois ans où l’on payait jusqu’à 180 francs le beau renard. Pourquoi cette différence ? Le renard est moins recherché par les élégantes qui préfèrent d’autres fourrures » (où est la sauvagine d’antan, Midi Libre, 5 mars 1981)

Même constat à Rodez pour la foire de la Mi-Carême, où en 1982, on trouvait plus de peaux de renard que de blaireaux. Pour les premières, les cours s’établirent entre 100 et 120 francs l’unité suivant l’état de conservation, et les « extra » parvenant à 150 francs pièce. Les peaux de blaireaux n’excédaient pas 60 à 70 francs l’unité, peu de peaux de lapin échangées à raison de 4 à 5 francs le kg.

Pour les premières, le Levézou a eu longtemps une grande importance par le volume de ses apports à cette foire. Cette foire « aux fourrures et à la Sauvagine » a depuis disparu.

Foire des Cendres 2022.

Désormais ce sont entre 150 et 200 exposants qui viennent pour la foire du mercredi des Cendres pour vendre aussi bien de l’alimentaire que du vestimentaire, en passant par la musique et le linge de maison. Le champ de foire ne se tient plus sur le Quai Sully-Chaliès ou la place Bompaire, mais comprend toujours la place du Mandarous, le Boulevard de Bonald et la Place de la Capelle et selon l’affluence des marchands forains, le boulevard Richard.

Marc Parguel

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