Patrimoine millavois. La rue Clausel-de-Coussergues

Marc Parguel
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Large comme un boulevard, la rue Clausel de Coussergues forme un angle droit avec le boulevard Sadi-Carnot et fait communiquer la place des Halles avec celle de la place Foch. Elle fut ouverte de novembre 1896 à mars 1897.

Sa création fit disparaître une partie de la grande galerie (côté ouest) de la vieille place qui fut coupée en deux, mais aussi un labyrinthe de ruelles et de cours constituant le quartier, assez sombre, de « Tras la cour » derrière le Tribunal ou Cour Royale, qui se trouvait sur l’emplacement des Halles. Disparue aussi, la rue du four et la rue Ricord.

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La rue Ricord

Léon Roux (1858-1935) nous reconstitue la rue Ricord telle qu’il l’a connu : « En 1883, autant que je me souvienne, le Conseil municipal voulut franciser le nom de certaines rues. Il en était une tout étroite et qui n’existe plus aujourd’hui. Elle partait du couvert sur la place d’Armes, pour aller rue Solignac, en face de l’impasse-cour, où se trouvait le four banal, le plus ancien de Millau, l’ancien four de la Tour.

La dénomination populaire de cette rue étroite d’où, des fenêtres, face l’une à l’autre, les ménagères sur la pelle, se donner de la braise pour rallumer le foyer éteint, la dénomination populaire était rue du Recors, parce que, sans doute, l’aide du “sergent” chargé sous l’ancien régime de signifier les actes judiciaires et d’exécuter les jugements y demeurait.

Recors, se dit un conseiller, ce doit être un mot patois ; francisons-le, dénommons cette voie rue Ricord. Ainsi fut fait et une mauvaise langue, il y en a toujours osa prétendre que ce fut là un acte de reconnaissance, de la part du conseiller, envers l’illustre médecin spécialiste. » (Films rouergats, vieux noms de rues, l’Auvergnat de Paris, 26 août 1933)

Voici la rue Clausel de Cousergues telle qu’elle apparaissait en 1908. Sur la gauche, aujourd’hui garnie de magasins, on voit encore des murs nus, où se remarque seulement la série d’arcatures gothiques, vestige de ce que les anciens du quartier appelé « la Cour sarrasine ». © DR

Ouverture de la rue Clausel de Coussergues

Nous sommes en novembre 1896. Alors que l’ouverture du Boulevard Central (futur boulevard Sadi-Carnot) touche à sa fin, la grande galerie de la place Foch n’a plus que quelques jours devant elle avant de tomber en partie. La ville de Millau en pleine expansion doit se défaire de ces ruelles à taudis du vieux Millau qui contraste avec les nouveaux quartiers bâtis à l’extérieur qui eux, sont bien aérés.

La démolition de certains immeubles commence mi-novembre. L’étroit passage débouchant sous le Couvert, portant le nom traditionnel de « Cour sarrasine », à cause de certains détails d’architecture se défait de tous ses immeubles. Il ne restera plus qu’une porte et des fenêtres Renaissance, dans ce quartier connu sous le nom de Balmericard.

La maison Costecalde était dans cette fameuse cour sarrazine au n° 5 de l’actuelle rue Clausel de Cousergues, elle fut mise à prix 18 000 francs. Costecalde dit Coustou (ses descendants étaient appelés faussement Croustou) était roulier, et faisait le trajet Millau-Saint-Beauzely, il y tenait ses remises. On y voyait aussi des arcatures qu’on aperçoit sur nos photos dans la rue Clausel de Coussergues. Ces petites arcades moyenâgeuses ont disparu en quasi-totalité entre les deux guerres, lors de la création du magasin de vêtements Conchon-Quinette. Puis dans les années 1950, les derniers vestiges, la porte et la dernière arcature disparurent à leur tour.

Fin novembre 1896, on fait encore « Tastobi » sous le couvert. « Tasto bis. Le vin est bon cette année, nos cabarets retentissent de joyeuses chansons et il arrive quelquefois que les piliers du couvert, dont les vandales qui nous administrent vont commencer la démolition, servent d’appui à ceux qui en ont un peu trop pris. » (L’auvergnat de Paris, 22 novembre 1896).

Dernière image du couvert dans toute sa longueur (1896). © DR

Ce sentiment de vandalisme était partagé par Édouard Mouly alias Mylou du Pays maigre (1883-1964) : « Et la toute petite rue, qui venait aboutir sous le couvert de la Place. Ah ! ici je suis obligé de crier mon indignation aux vandales qui détruisirent, en perçant la rue Clausel de Coussergues, ce délicieux ensemble que formait le  « Couvert ». (Alades, par les vieilles rues, juillet 1935).

Sentiment également partagé par Ludovic Vidal alias Lud’oc (1882-1960) « Ce dont je me souviens, c’est la petite foire nocturne qui s’y tenait le 31 décembre sous le couvert (dont avec mon ami Mylou du Pays maigre, je déplore l’amputation).

Sous le couvert donc venaient s’installer les petits marchands de bonbons et de jouets bon marché. Selon la coutume, ces marchands y passaient la nuit. Je les revois encore abrités derrière un écran de fortune, un brasero sous leur modeste bazar. On ne manquait pas de leur acheter quelque chose. La traditionnelle promenade se poursuivait par la rue Droite ou la rue de la Capelle selon qu’on était arrivé par l’une ou par l’autre. Ces rues si elles n’avaient pas encore les faveurs de la fée électricité, nous présentaient tout de même des vitrines rutilantes et largement pourvues » (la place, Journal de Millau, 18 septembre 1954)

Henri Arlabosse ne partageait lui pas leurs points de vue : « Nous sommes menacés de voir scinder le Couvert, qui est un lieu de réunion très fréquenté par les oisifs des vieux quartiers de la ville, et un conseiller municipal a exprimé quelques regrets au sujet de cette prochaine mutilation… Je n’éprouverais qu’une bien faible émotion, en voyant disparaître cette colonnade, tordue, ventrue et biscornue qui, sur la ville place-mage porte une huitaine de maisons très menaçantes…

Cette galerie est composée de 22 colonnes cylindriques, de différents ordres et de différents styles, aux chapiteaux ornés de monogrammes, de feuillages, de têtes, d’écussons… qu’on aligne précieusement, si l’on veut, cette colonnade ailleurs, dans le jardin de la mairie, par exemple ; les archéologues et les érudits pourront étudier là plus tranquillement et plus aisément les ornementations architectoniques des siècles passés. Mais que les Millavois ne risquent pas, un jour, d’entendre le craquement sourd de ces pâtés de maisons se disloquant et s’affaissant sur leurs têtes » (le Couvert, Messager de Millau, 18 août 1894).

Jules Artières aimait à dire que « ces grands travaux ont eu l’immense avantage de détruire de nombreux foyers d’insalubrité, de favoriser la création d’habitations agréables et saines, de dégager la place de l’hôtel de ville où se tiennent les marchés et enfin de faire de la petite place de l’ancien tribunal la grande place où vient de s’élever la nouvelle Halle » (Annales de Millau, p.322, 1899.)

La rue Clausel-de-Coussergues vue du Beffroi. © DR

Le 20 mars 1897 : « C’est maintenant chose faite. La grande Galerie couverte de la Place de l’Hôtel-de-Ville est coupée en deux par la nouvelle rue dont le percement est maintenant achevé. Six colonnes sur 22 disparaissent aujourd’hui et une nouvelle voie de 10 m de largeur relie la Place de l’Hôtel-de-Ville à celle de l’Ancien Tribunal… y a-t-il lieu de regretter le morcellement de l’antique colonnade du Couvert ? Nous ne le pensons pas.

Sans doute, la Place de l’Hôtel-de-Ville perd quelque peu du cachet d’originalité qui la caractérise ; sans doute, les habitants de ce quartier perdent eux aussi une partie de cette antique “promenade-abri” très commode et très fréquentée.

Mais, par contre, et ceci vaut bien cela, un quartier insalubre et sordide a en partie disparu ; l’autre partie est maintenant assainie et reçoit abondamment la lumière et les bienfaisants rayons du soleil ; la Place de l’Hôtel-de-Ville, absolument insuffisante les jours de marché, va se trouver considérablement dégagée par la nouvelle rue, ainsi que la nouvelle Place de l’Ancien Tribunal, sur laquelle on se propose d’élever une grande Halle octogonale ; des quartiers fort délaissés jusqu’ici vont être vivifiés par le mouvement et le commerce ; plusieurs des principaux monuments de la ville sont maintenant dégagés et mis en évidence ; enfin, la place de l’Hôtel-de-Ville, c’est-à-dire le centre de la cité, est, dès maintenant, reliée plus directement et très heureusement avec les quartiers hauts de la ville, qui deviennent de plus en plus populeux et où s’élèvent chaque jour des constructions nouvelles » (le couvert de la Place, Messager de Millau, 20 mars 1897).

Que devinrent les colonnes ?

Au total ce sont 6 colonnes qui tombèrent fin 1896. Deux d’entre elles partirent pour soutenir une terrasse de Lycée Jeanne d’Arc. Les chapiteaux autrefois visibles ont depuis été noyés dans la maçonnerie. Deux autres colonnes furent transportées au n° 12, rue de la Condamine. L’un des chapiteaux portait, coulée en plomb dans la gravure de la pierre, l’inscription, « F 1630 F », elle donne sans doute les initiales du notaire François Fajon qui était domicilié à la place autour de 1630. Ces vestiges avaient été transportés rue de la Condamine par le propriétaire de la maison, l’entrepreneur Vayssettes, qui avait assuré les démolitions de la colonnade.

Au n° 12 rue de la Condamine, pilier provenant du Couvert de la Place. FF de chaque côté de la date 1630. © Société d’Etudes Millavoises

Victorin Bieysse, négociant en tissus à Millau, et propriétaire du domaine de Maluzerne, sur le Larzac, y avait fait transporter les deux autres colonnes provenant du Couvert de la place, il donna un chapiteau à son petit-fils Louis Balsan et qui le déposa au musée Fenaille, à Rodez. L’autre chapiteau se trouve sans doute encore à Maluzerne (d’après P.E.V. Image Millavoise n° 304, du couvert de la Place à Jeanne d’Arc).

Les travaux d’aménagements dans la rue ne furent pas de tout repos : « Un éboulement considérable s’est produit à la suite des dernières pluies dans la tranchée profonde de cinq mètres qu’on a ouverte à travers la place de l’Hôtel de Ville, pour construire l’égout du quartier neuf. On évalue à une dizaine de mètres cubes la quantité de terre qui s’était détachée au fond du fossé. Si le fait était arrivé au cours du travail, en plein jour, des malheurs auraient pu se produire. Et pour comble de guigne, le tuyau d’eau qui alimente la fontaine s’est crevé et a inondé la tranchée sur une profondeur d’un mètre » (L’Auvergnat de Paris, 13 février 1898).

À l’emplacement de la « cour Sarrasine » au numéro 5, vint s’installer Auguste Galibert qui avait là son magasin et atelier de quincaillier, plombier-zingueur et couvreur. Cette quincaillerie Galibert fut une des premières maisons nouvellement bâties à l’alignement de la rue.

Le quincaillier Galibert. © DR

Dénomination de la rue

On donna à cette rue nouvellement ouverte le nom d’un Aveyronnais dont la carrière politique fut bien remplie et fort brillante. Jules Clausel de Coussergues fut Conseiller général du canton de Laissac, président de l’Assemblée départementale, député de l’arrondissement de Millau de 1889 à 1896, Clausel de Coussergues fut élu vice-président de la chambre des députés en 1895. Il s’imposa dans les assemblées délibérantes par sa haute compétence, et mourut assez opportunément, pas forcément de son point de vue, mais du moins pour laisser son nom à une rue nouvelle qui s’en cherchait un.

Faits divers

M. Ruffin Raoul, droguiste, rue Clausel-de-Coussergues, revenait seul, en auto, de l’Aven Armand, lorsque, arrivé à un tournant dangereux, surplombant le village de Sainte-Enimie, il fit dans le vide un saut de 150 mètres. La voiture a été réduite en miettes, et le chauffeur, projeté hors de la voiture, s’en est tiré avec un tibia brisé et de nombreuses contusions qui ne paraissent pas devoir mettre ses jours en danger (L’Auvergnat de Paris, 10 août 1935).

Concours de musique de 1934. Défilé de l’espérance millavoise © Centenaire Harmonie Millavoise (1888-1988). © DR

Restauration de la colonnade (printemps 1981)

Au milieu des années 1970, certains Millavois au nom du passé évoquèrent leur rêve de revoir rebâtir le vieux « couvert de la Place » rompu durant l’hiver 1896 par l’ouverture de la rue.

Ce « rêve » devint réalité sous la municipalité de M. Diaz en 1981. Dans le cadre de la réhabilitation du Vieux Millau, décidée le 7 octobre 1977 par la municipalité, entamée depuis le 1er janvier 1980 sous les auspices de l’A.R.I.M (association loi 1901 pour la restauration immobilière) fut évoquée de rendre à la place Foch sa perspective historique d’avant 1896.

L’idée de restaurer la colonnade sur toute sa longueur avait été mûrie par M.Fonquarnie, ancien architecte en chef des monuments historiques, lorsqu’il avait mis au point plusieurs projets de rénovation, à la demande du maire de l’époque Jean Gabriac.

Ce projet spectaculaire verra le jour au début des années 1980. Comme nous le rappelle « Midi Libre » dans son édition du 30 janvier 1981 : « Les propriétaires des deux maisons, qui font l’angle de la rue Clausel de Coussergues et de la place Foch et qui viennent d’être refaites, forts des subventions obtenues, vont faire bâtir au-dessus de la rue actuelle. La mairie, elle, aménagera le rez-de-chaussée en passage piétonnier et financera les colonnades. Michel Crouzat, adjoint au maire, nous a assuré que le gros œuvre qui commencera en février devrait être achevé avant la saison touristique. Espérons toutefois que la mairie sera plus heureuse dans la restauration des colonnes telles qu’elles étaient autrefois que les propriétaires pour celles des deux maisons d’angle. Faites de demi-tambours inesthétiques et mal ajustées, certaines colonnes ne paraissent pas avoir la hauteur souhaitable, ce qui peut altérer la perspective. À rénover, autant fignoler » (l’exposition de l’A.R.I.M. sur la rénovation du vieux Millau : un pari passionnant, mais difficile, Midi Libre, 30 janvier 1981)

Marc Parguel

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