Causses et vallées
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Une journée de lessive à La Roque-Sainte-Marguerite en 1923

Nous allons aujourd’hui grâce au témoignage de Mme Juliette Ribas (1914-2018) vous donner un aperçu de ce qu’était une journée de lessive il y a 100 ans à la Roque Sainte-Marguerite, situé à 13  km en amont de Millau, sur la rive droite, au confluent de Riou Sec et de la Dourbie.

Juliette Ribas avait passé sa jeunesse dans ce village de 1921 en 1926. Originaire de Montméjean (Commune de Saint-André-de-Vézines) après avoir habité la commune, et être la petite bergère de Roquesaltes, elle déménagera à la Roque à l’âge de 7 ans.

Laissons là nous exprimer ses souvenirs :

La période de 1921 à 1926, tout ce qui s’est passé à la Roque, je m’en rappelle…

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A ce moment-là, il n’y avait pas d’électricité, il n’y avait pas, au-delà du pont de Pierrefiche ce bâtiment (Hotel). La rivière… après le pont il y avait beaucoup de gravier. On pouvait passer de la petite fontaine et traverser la rivière sur le gravier à pied. Le cours d’eau de la rivière à complètement changé depuis, ce qui fait que maintenant, ça a de l’emprise même au niveau de la source.

Il n’y avait pas besoin de prendre de chemin pour descendre vers la rivière, car au bord de la Dourbie, on pouvait passer tout au long des jardins facilement, je me rappelle qu’on allait attraper les têtards pendant que les gens  aller laver le linge, parce que tout le monde n’allait pas à la fontaine, ils allaient à la rivière.

La Dourbie qui clapote en suivant son chemin pour aller jusqu’à Millau rejoindre le Tarn.

Et puis ces belles falaises du Rajol et de Montpellier le Vieux qui abrite ce petit village et qui en font le charme !

Remontons le temps en 1923, il y a tout juste cent ans, au temps des lavandières.

A genoux aux bords de la rivière les lavandières jetaient le linge dans l’eau, le tordaient en le pliant plusieurs fois, et le battaient avec un battoir en bois afin de l’essorer le plus possible. En général, une solide planche de bois permettait de stocker le linge essoré avant le retour en brouette ou à dos de mulet vers le lieu de séchage. Le linge était bien évidemment beaucoup moins lavé qu’aujourd’hui, il y avait d’ailleurs les tenues de travail ou de tous les jours, les tenues du « dimanche » que l’on conservait propre le plus longtemps possible et le linge qui ne bénéficiait d’une lessive que deux à trois fois par an… Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, nos grands-mères blanchisseuses avaient leurs petits secrets « naturels » pour obtenir un linge d’une blancheur éclatante : elles utilisaient la cendre du charbon de bois en guise de lessive.

Les lavandières (tableau de Daniel Ridgway Knight – 1839-1924)

Poings tendus, toujours battants, courbées le long de la rivière, pour que le linge vienne blanc. Nous le frottons de cent manières. Et les échos s’en vont chantant »

(extrait de la chanson «  la ronde des lavandières »
Camille Pissaro (1830-1903)

La lessive aux cendres de bois

Laissons la parole à Juliette Ribas : « C’est avec les beaux jours que l’on envisage la grande lessive du linge blanc. Même si chaque semaine, on a lavé dans le baquet le change de chacun de nous, il faut de temps à autre organiser la journée du cuvier. Certes, ce n’est pas une farce ! c’est plutôt un gros travail. »

Il s’agit de la bonne lessive, celle aux cendres de bois. La lessive aux cendres marquait un progrès par rapport à la lessive qui, en remontant le temps, se faisait au moyen de l’urine fermentée. L’urine en devenant ammoniacale acquérait un pouvoir décapant très prononcé. Certes c’était un moyen efficace, mais ô combien répugnant !

Choisir les cendres était une opération délicate. Du cendrier où on les accumulait, certaines devaient être éliminées. Eliminées également les brindilles, les feuilles, les braises charbonneuses, etc. Seuls étaient tolérées les coquilles d’œufs susceptibles par leur chaux de rendre le linge plus blanc.

Allons à la Roque Sainte-Marguerite : « Il existe dans la cour de la maison un endroit où l’on peut se permettre d’allumer un bon feu pour chauffer de l’eau de la citerne et même la faire bouillir. Il faut posséder un grand chaudron de cuivre avec un couvercle de préférence, pour aller plus vite. Notre mère a installé son baquet (le semalou) sur un chevalet. Le linge est groupé dans des corbeilles. Le cuvier est surélevé, c’est un grand bac, un demi-tonneau cerclé avec un petit robinet ou un bouchon dans le fond qui permet l’écoulement de l’eau de lessive jusque dans une bassine. Lorsque tout est en place, dès que l’eau a chauffé, le premier travail consiste à décrasser le linge dans le baquet avec du savon de Marseille. Au fur et à mesure, il faut le disposer, dans le cuvier, sans trop le tasser, les grands draps d’abord, ensuite le petit linge (les serviettes ou les camisoles blanches, etc.). Lorsque tout est bien éparpillé, il faut étaler une grosse toile de lin assez rude et serrée sur laquelle il faut répartir de la cendre de bois.

Tout est fin prêt, l’eau de la marmite est bouillante. C’est alors qu’il faut procéder à l’arrosage de la cendre par petites quantités jusqu’à ce que l’on juge le linge bien imprégné. Après cette opération qui nécessite une bonne matinée, on laisse agir la cendre. Si cela parait suffisant, on ouvre le robinet qui permet l’écoulement de la lessive.

Deuxième opération : il faut sortir le linge du cuvier dans des corbeilles et l’amener jusqu’à la rivière ou à la fontaine qui se trouve à l’entrée du village après le pont de Pierrefiche. Pour procéder au rinçage, on se sert du batedou pour le sortir de l’eau.  

Au bord de la rivière. (DR)

Troisième opération : Si le temps est beau, c’est le moment d’étaler les draps sur le gravier bien propre où il va sécher au soleil et devenir bien blanc. Quelle journée !

A ce moment-là, il y avait du gravier en face la petite fontaine, on pouvait passer et on étendait le linge sur les pierres, en face le pont. En principe au bout d’une heure, on peut repartir à la maison avec le linge sec et replié dans les corbeilles. Au-dessus du cimetière, il y avait une grille en fer à côté d’une maison où habitaient deux vieux garçons, les gens allaient y étendre les linges de couleur. 

A la fontaine de La Roque-Sainte-Marguerite avant 1930. (DR)

Lorsque sur le Causse, il y avait la sècheresse et que les citernes étaient vides, c’était avec le cheval et la charrette qu’il fallait aller jusqu’à la rivière pour faire la journée de grande lessive très souvent dans la cour de Noémie. Que de fatigues, que de dures journées de labeur pour notre mère qui en faisait son gagne-pain. Cela on ne l’oublie pas. »

C’est en 1926 au mois d’août que Juliette et sa sœur (12 et 14 ans) quitteront la Roque Sainte Marguerite et Roquesaltes où elles aimaient passer leurs vacances. Elles iront travailler à Fondamente à l’Hotel Baldy. Le temps passa, les sœurs se séparèrent, mais pas les souvenirs qui eux restèrent intacts.

Marc Parguel

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