Patrimoine Millavois. Sous le couvert de la place Foch

Marc Parguel
Marc Parguel
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Le couvert de la Place en 1870. (DR)

On donne le nom de « Couverts » aux passages qui bordent la place Foch. Ces constructions, antérieures au XIIIe siècle, ont été largement remaniées au XVIIe siècle, mais conservent des vestiges médiévaux, notamment certains chapiteaux décorés de feuilles d’eau et de trèfles, d’autres de têtes arborant un sourire tandis que d’autres tirent facétieusement la langue.

Une des têtes facétieuses. (DR)

Ces galeries servaient d’abri à de nombreux marchands, aménagées pour abriter étalages et acheteurs comme encore de nos jours, mais aussi supportaient des habitations.

Certains piliers de pierre ont des chapiteaux de style différent et paraissent provenir en partie des couvents détruits à l’époque des guerres de religion. La galerie abritait au moyen âge : des ceps, pièces de bois échancrées servant à retenir les jambes des personnes condamnées à l’exposition publique : la Table ronde, en pierre, autour de laquelle prenaient place les Consuls pour prêter serment, était située depuis au moins 1344 sur le coin sud-ouest de la place.

Nos yeux se porteront aujourd’hui davantage sur la grande galerie qui a été coupée en deux dès novembre 1896 par l’ouverture de la rue Clausel de Coussergues. Six colonnes disparurent sur les 22 présentes et une nouvelle voie de 10 mètres de largeur vit le jour.

Rendons-nous sur les lieux, à l’époque où cette large rue qui mène aux Halles n’existait pas…

Le compois de 1668 nous donne de précieuses informations de ce qu’il y avait sous le couvert : l’espace sous les colonnes c’est Baume Ricard sur toute la longueur et les rues de part et d’autre de ce qui deviendra la trouée Clausel de Coussergues: à gauche rue de Montcam, à droite rue du four de Montcam (renseignements aimablement communiqués par M. Jacques Boudes)

Baume Ricard, Balmericard dont la petite rue étroite hérita du nom, renommée plus tard Rue du Recors, puis rue Ricord.

« La table du sacrifice » inscrite au verso de cette photo. (DR)

L’énigme du pilori 

On ne pourrait parler du couvert sans évoquer le Pilori, pilier où l’on attachait les condamnés à l’exposition publique pour vols et petits délits, était muni de « ceps » (pièce de bois échancrée pour maintenir les chevilles ». Celui-ci porte sur son chapiteau un entablement carré avec sur chacune des faces une inscription. La plus visible : Gara q. Faras (prends garde à ce que tu feras) n’a pas été gravé en même temps que les autres ;  celles-ci sont intraduisibles et même en partie illisibles pour la plupart d’entre nous. Le Gare q. Faras est, au contraire, très lisible. Il est évidemment postérieur aux autres inscriptions.

Nous savons par les Mémoires d’un Calviniste (1911) qu’en 1562, les couvents furent mis au pillage « à voix de trompette » ; chacun prit ce qu’il voulut. Plus tard, l’administration consulaire se servit des matériaux qui restaient pour la réparation ou la construction des fortifications.

C’est au moment où on démolissait  ces églises et couvents, qu’on eut donc un pilori tout trouvé provenant de quelques-unes des maisons religieuses. Et c’est alors qu’on y grava, outre les trois inscriptions qui s’y trouvaient cette inscription en langue d’oc.

Les autres inscriptions étaient celles du pilier récupéré dans quelques cloitres : « pregas nostre senhor, enant de comedes, vostre vianda, ano M. ». Ces trois inscriptions des faces latérales et postérieures du chapiteau doivent être des sentences religieuses, comme il en existait dans tous les monastères, « une inscription de réfectoire invitant à songer à Dieu avant de prendre son repas » (d’après Léopold Constans, 1845-1916).

Le pilori est mentionné à son emplacement actuel dans une délibération communale de 1634 : « Au lieu du pillory de la Place ceste ville seroit remis une croix avec les armes, comme il estoit de tout temps, et le carcan remis à un des piliers de la pierre (foiral)… » D’après Jules Artières : « Il ressort du texte de l’arrêt de la cour de Toulouse  (10 mars 1634) qu’à l’époque des guerres religieuses, un pilori fut dressé sur la place publique, à la place de la Croix, et qu’on y mit le carcan. Conformément à cet arrêt, il fallut, en 1634, replacer le carcan à la pierre-foiral et réédifier la Croix. Mais que devint le pilori ?

Il fut utilisé pour la galerie couverte et placé là où nous le voyons aujourd’hui.

Commencé en 1564, le Couvert ne fut, en effet, terminé qu’au commencement du XVIIe siècle. Le côté gauche du Couvert se construisait vers 1620, comme en fait foi la date gravée sur une colonne.

En 1634 ; le pilori et un autre pilier servirent à terminer le côté droit du Couvert. Le pilier portant le pilori provient, comme les autres, d’un des couvents ou églises ruinés par les calvinistes… l’inscription a dû être gravée au moment où le pilier, qui avait auparavant une autre destination, est devenu pilori. » (Feuilleton du Messager de Millau, le Pilori, 28 novembre 1896).

Les 22 colonnes hétéroclites

Outre la menaçante sentence qui apparaît sur le chapiteau d’une des colonnes dont nous venons de parler, la plupart des colonnes portent sur leurs chapiteaux, des sculptures (monogrammes, écussons, etc.) qui dénotent leur provenance ; sur quelques-unes on lit les dates, appartenant au commencement du XVIIe siècle, sur d’autres on voit des feuilles d’eau et de trèfle, une autre une corbeille lisse, d’autres portent à chaque angle une tête.

L’inscription A R et le millésime 1611 se lit sur le premier pilier du Couvert, du côté de la place Lucien Grégoire. (DR)

Sous le couvert, en 1868

Léon Roux (1858-1935) nous reconstitue le couvert tel qu’il le voyait dans ses souvenirs lorsqu’il avait 10 ans : « Le Couvert est une galerie formée par l’une des façades en retrait de la place, une colonnade surmontée de balcons ayant été établie à trois ou quatre mètres de ces façades.

Au rez-de-chaussée de sous le Couvert sont naturellement des boutiques et ces boutiques, sauf une, n’ont rien de luxueux. Voici d’abord, un boulanger sans four, Baptiste Cros ; il cuit son pain au four banal voisin. Baptiste est aussi épicier et des relents de morue salée et de sardines en caque s’échappent de sa boutique. Trois cafés buvettes. Le plus achalandé est celui de Lobobrouno, qui sert, à emporter, un sou de café sucré à la cassonade et du vin à quatre sous le litre s’il est du Languedoc et à cinq sous s’il est du pays. Voici une voie, large d’un mètre, la rue du Recors. Les voisines de face, de l’une à l’autre des fenêtres, sur la pelle, se donnent de la braise pour ranimer le foyer éteint. »

Cette rue rebaptisée à tort, rue du Ricord en 1883 partait du couvert sur la place d’Armes, pour aller rue Solignac, en face de l’impasse-cour, où se trouvait le four banal, le plus ancien de Millau, l’ancien four de la Tour.

« Au coin de cette rue, le bureau de tabac del Monchet (tenu par le père de Léon Roux qui avait été amputé du bras droit, à la suite d’une blessure devant Sébastopol) dont les vitrines-devantures sont bondées de pipes en terres, pipes Gambier de tous les types : belges, Jacob, Narcisse, à mouche, Aristophane, pot de chambre…

Les boutiques sous le couvert. (DR)

Mais voici, à côté, la boutique de luxe, de grand luxe : la bijouterie Cadet Gayraud, dont la clientèle est faite de la haute bourgeoisie millavoise – la noblesse possède assez de bijoux et n’en achète pas ; d’ailleurs, elle n’est plus riche… Aujourd’hui, en 1868, il approche de la soixantaine et est demeuré garçon. Il a la réputation, certes méritée, d’un homme d’esprit. La boutique est toute petite, mais un jeu de glace donne l’illusion de l’immensité… Dans la même maison que celle de la boutique du bijoutier Cadet Gayraud, voici le magasin du tailleur Forestier : A l’instar de Paris. Forestier a la spécialité des culottes  de moleskine, autrement dit, de peau de diable, les plus solides pour les écoliers, qui se traînent en face, le jeudi sur la place, se chamaillent, se battent. Les gosses de Paris portent-ils des culottes de « peau de diable » ?

Vers la cour Sarrazine 

Nous arrivons à un porche qui donne accès à une vaste cour, encadrée de huit à dix vieilles maisons datant des Sarrazins, mais encore solides, bien que délabrées.

C’est là que demeure le père Calvet, presque centenaire. Le bon Dieu l’a oublié, disent ses voisins. Calvet, sous le Premier Empire, fit les campagnes d’Allemagne, d’où son surnom de « l’Allemand » ; de retour à Millau, vers 1814, il fut nommé garde champêtre communal, il l’est encore en 1868 et le restera jusqu’à sa mort, 1878, autant que je m’en souvienne. Il a les yeux cerclés de rouge, mais sa vue est encore bonne, ses jambes aussi. De la place d’Armes, il voit à deux kilomètres un jeune maraudeur voler des pêches dans une vigne des flancs du Puech nègre, le père Calvet part pour mettre bon ordre à cela, il ne verbalisera pas, mais il allongera certainement les oreilles du petit mistou.

Les derniers vestiges de la cour Sarrazine en arrière-plan ( petites arcades moyenâgeuses) (DR)

Au fond de cette cour, petite cité, est l’auberge des colporteurs et des trimardeurs, chez Moriounello. On y couche pour cinq sous, on y soupe pour dix. Là, encore, se trouvent les écuries et remises du roulier Costecalde, dit Coustou, qui fait le courrier postal de Saint Beauzély et de Bouloc, et, aussi, conduit, quelquefois, dans une vieille guimbarde, un bourgeois ou une famille à Laissac, Séverac, la Cavalerie ou autre gros ou petit bourg, car il n’y a pas encore de chemin de fer à Millau.

Jour de marché. (DR)

Sortant de la Cour Sarrazine et continuant à errer sous le Couvert, nous voici devant la dernière maison, la plus belle d’ailleurs. Ici la boutique est un «café » et non pas une buvette ; c’est même l’un des plus anciens, sinon le plus ancien, des cafés de la ville. Il est tenu par Oustrières, dit Miquo, et ceux qui le fréquentent sont « accusés » d’être des républicains, « des rouges » (Un coin de ville du Rouergue au siècle dernier, l’Auvergnat de Paris, 9 janvier 1932)

Mais voilà, dans un souci de désenclaver le vieux Millau, on parla d’ouvrir une large avenue pour faciliter l’accès de la Place de l’Hôtel de Ville (actuelle Place Foch), tout en amenant de l’air et de la lumière dans le vieux quartier de Tras Saint Léons,

Un programme audacieux (qui verrait le couvert et sa promenade de 50 mètres coupée en deux) vit le jour sous la municipalité d’Etienne Delmas : Désenclaver la place d’Armes (Foch) par la percée d’un boulevard de 20 m  de largeur (Sadi-Carnot) et une avenue de 14 m de largeur (Clausel de Coussergues).

La place d’Armes en 1870. (DR)

Henri Arlabosse fut le premier à évoquer dans la presse, ce projet d’ouverture de la rue Clausel de Coussergues : « Nous sommes menacés de voir scinder le Couvert, qui est un lieu de réunion très fréquenté par les oisifs des vieux quartiers de la ville, et un conseiller municipal a exprimé quelques regrets au sujet de cette prochaine mutilation. Je suis, autant que quiconque, passionné par l’archéologie et la conservation des antiquités, mais je n’éprouverais qu’une bien faible émotion, en voyant disparaître cette colonnade, tordue, ventrue et biscornue qui, sur la vieille place-mage, porte une huitaine de maisons très menaçantes.

S’il s’agissait d’une belle rue à arcades régulières, ayant un réel cachet d’antiquité… le premier je crierais : Au secours ! Mais aucun bon souvenir ne s’attache à ce Couvert. » (Le Couvert, Messager de Millau, 18 août 1894)

D’autres ne partageaient pas le même avis, nous y reviendrons…

Marc Parguel

DR
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